Notre première rencontre avec Ben Shepard remonte à dix ans. Nous découvrions alors le deuxième album de son projet de l’époque, Uzi & Ari (dont le nom est emprunté aux jumeaux Tenebaum, fils de Ben Stiller dans le film de Wes Anderson). Sorti sur Own Records, label luxembourgeois à qui nous devons quelques belles découvertes (et que nous sommes heureux de savoir toujours en activité), It Is Freezing Out avait sensiblement marqué l’année 2006, offrant une electronica fluette, faussement lo-fi, saupoudrée de pop et d’un soupçon d’expérimentation.
Shepard montrait deux facettes intéressantes, celle du bricoleur sonore (qu’on imagine passer des heures en studio, à bidouiller pédales d’effets et samplers, et à en sortir des sonorités improbables) et celle du guitariste / lead singer, s’exprimant plus volontiers en live, aux vocalises fluides et envoûtantes (dont les débuts rappelaient parfois un certain Thom Yorke, mais qui se sont rapidement émancipées de leurs influences). Après un passage chez Arms & Sleepers en 2011, le temps de participer à l’enregistrement de l’album The Organ Hearts, Shepard se réincarne dans YEYƎY (prononcer Yi-Yi) et livre une vision de son projet qui paraît plus mûre et aboutie.
Dès les premières notes de « Wild Things », son introduction au synthé et ses beats appuyés, on constate l’ampleur que la musique de Shepard a gagné au fil des années et on comprend, après l’évolution d’Uzi & Ari au fil de sa discographie – pour partir de la pop introspective mâtinée de post rock de Don’t Leave In Such A Hurry (2004) aux élans mélodiques de Headworms (2009), en passant par l’électronica discrète d’It Is Freezing Out – qu’un nouveau patronyme était aussi légitime que nécessaire. L’écriture et l’enregistrement de The Vision auront duré près de cinq années, une gestation longue et lente que Shepard attribue principalements aux barrières techniques : « Les obstacles sont venus pour la plupart de l’apprentissage de la production et de l’enregistrement d’un disque, de A à Z – j’ai au final du recevoir l’aide de deux ingénieurs pour le mix, car je savais exactement ce que je voulais. La réalisation de ce disque fut un processus long et stressant ». (son titre en est donc d’autant mieux choisi).
Entraînantes, désormais plus denses, dans des structures qui ont malgré tout réussi à conserver leur construction simpliste et spontanée, les chansons de The Vision fourmillent de détails : claviers, choeurs, cordes – envoyés de façon directe et précise, de couplet en refrain, comme si les années d’expérimentation avaient finalement fait place à la maîtrise et la virtuosité. The Vision s’écoute d’autant plus facilement que sa direction artistique semble en effet plus claire ; si le coté fragile et mélancolique d’Uzi & Ari, mené par la voix de Shepard, avait son charme, l’assurance du chant – qui semble avoir trouvé son rôle au milieu de l’instrumentation – pose les accords de façon plus affirmée, définit des contours plus contrastés et présente une identité plus forte. Après réflexion, cela n’est sans doute pas tant lié à l’écriture qu’à la finesse du travail de composition et d’enregistrement, qui comme on le disait plus haut s’est avéré particulièrement long, et a également fait appel à plusieurs intervenants d’origines diverses (Mercury Rev, M83, Gregor Samsa). Le titre éponyme, « The Vision » – sans doute le plus abouti du disque – en est un bon exemple et montre bien le niveau de détail que Shepard a voulu obtenir. La question maintenant, et de savoir quel costume ces chansons vont revêtir en live : Ben Shepard a toujours défendu ses compositions sur scène et une tournée prochaîne dans nos contrées n’est pas à exclure…
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cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).