Il aura fallu tout ce temps, et surtout ce deuxième album – qu’on attendait avec impatience, et aussi avec quelques craintes étant donnée l’étrange fascination que le premier album du canadien a suscité chez nous – pour qu’on se décide enfin à écrire sur Trust. Le quasi-éponyme TRST sorti en 2012, premier effort electro-pop remarquable tant par les tubes en puissance qui le composent que par la face cachée obscure et douce-amère de certains morceaux (« Candy Walls » et « Heaven » en tête) avait déjà des airs de pavé dans la mare : une mare où pataugent, souvent sans parvenir à tirer leur épingle du jeu, bien des projets solo/electro/laptop music.
Etrange fascination donc, illustrée on ne peut mieux par l’artwork du premier et précédent album : nocturne, ténébreux, androgyne et protéiforme. Sous des airs affichés de morceaux clubbesques, piochant allègrement dans la dance/techno des nineties, Robert Alfons injecte à sa musique des mélodies obscures, floutées à grandes nappes de synthés et de beats house, empruntant ici à la no-wave electro de Gary Numan, ou là, à la cold wave monochrome de Joy Division (qu’elle rappelle étonemment davantage que la pop de New Order, sans doute à cause du timbre de Robert Alfons, plus proche d’un Ian Curtis que celui d’un Barney Sumner). Le chant, grave, hybride et décomplexé, androgyne lui aussi lorsqu’il va chercher des sonorités plus aigues, sur le titre éponyme de ce nouvel opus par exemple – est totalement indissociable de la musique de Trust tant il en assure l’identité et la rend reconnaissable instantanément.
Avec Joyland, Robert Alfons, désormais livré à lui-même donc (Maya Postepski, aux percussions, a quitté le duo peu après la sortie de TRST pour rejoindre Austra à temps plein), va encore plus loin dans ses expérimentations vocales transformistes, détournant lignes de claviers et beats technoïdes à des fins plus mélodieuses (« Recue, Mister ») et pour engendrer une musique plus affirmée, moins complexe, aux contours pop plus prononcés encore (« Are We Arc »). Un costume pas si nouveau pour le canadien puisqu’on retrouve sur ce deuxième disque des ambiances déjà évoquées sur un album sorti en 2006 sous le pseudonyme Robert Hiley, intitulé Night Music – où la production bien moins léchée, certes, laissait déjà entendre quelques morceaux de Joyland (« Peer Pressure », dans une version aux arrangements plus discrets). Mieux encore, n’en déplaise à certains (pas nous, incontestablement!) la production s’étoffe et les instruments gagnent en densité (« Capitol », titre phare porterait à lui seul l’évolution de TRST vers Joyland). Le chanteur admet qu’il s’est laissé davantage de liberté, et avoue cette fois avoir misé sur l’approche émotionnelle de ses chansons plus que sur la recherche sonore – un choix judicieux si l’on considère toutefois que l’électronique peut permettre de se délester substantiellement de ce deuxième aspect de la composition. Quoi qu’il en soit, l’ensemble est une réussite : l’effet de surprise en moins, la musique d’Alfons a incontestablement trouvé de quoi garder sa place bien au chaud dans nos oreilles.
L’album s’écoute en intégralité sur Pitchfork et sortira le 4 mars sur Arts & Crafts.
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).