Le plus français des hawaïens, Troy Von Balthazar, est installé près d’Angoulême depuis plusieurs années et il a choisi de poursuivre en France une carrière intimiste que nous apprécions particulièrement pour son caractère peu commun. Est-ce en raison d’un tempérament bien particulier, qui a fait de lui une personnalité à part dans le paysage musical, que TVB préfère l’exil à sa terre natale ? Artiste cultivé, à la fois musicien et poète, il semble en tous les cas, aujourd’hui, très éloigné dans ses projets solos, de débuts plus iconoclastes avec le groupe grunge Chokebore qu’il décida de laisser il y a maintenant vingt ans.
Nous l’avions vu en solitaire il y a quelques années, performer maître de son art, lors d’une soirée très réussie avec Shannon Wright, capable sans artifices de délivrer sur la scène de la salle club de la Smac Paloma ( Nîmes), un set convaincant , empreint d’une mélancolie suffisamment contrôlée pour qu’elle devienne art et non humeur envahissante. Nous avions alors pensé que cet artiste là était d’une nature particulière, intègre , éminemment émotionnelle, peu intéressé par les sun lights et le vacarme parfois intempestif de la scène rock , plongé , à contrario , corps et âme dans son œuvre musicale introspective.
Aloha Means goodbye vient de paraître chez Vicious Circle , le label bordelais, et il s’agit de son septième album solo. Il a été composé et écrit dans une période de vie difficile, apprend t-on, marquée par des soucis de santé qui ont affecté TVB en 2024. En interview on lit que la musique fût une aide pour sortir d’une très mauvaise passe éprouvante jusqu’à l’extrême, les moments consacrés à la création ayant constitué les rares temps de plaisir connus durant des mois…
De fait, les chansons enregistrées en home studio ( habitude désormais du musicien ) traduisent une fragilité qui fût réelle, et ne sont pas le résultat d’une écriture en exercice de style, que l’auteur compositeur aurait stylisée sans qu’un vécu la sous tende . Le paradoxe du comédien ( en l’occurrence du chanteur), n’est pas pour notre homme… Ainsi, tout ici est en clair-obscur, dans un équilibre qui paraît fragile comme sur « Swimmer, Please? », « Let’s Not Forget to Panic ». Il y a beaucoup de charme dans tout cela, mais il paraît davantage celui de l’incertain et de l’aléatoire plutôt que la recherche d’une séduction volontaire et calculée. TVB s’en est sorti comme il a pu, et les chansons sont des bouées auxquelles il s’est raccroché.
Le musicien est un multi instrumentiste doué qui aime jouer de tout ce qui se présente sous ses mains, et les arrangements lo-fi ont ses faveurs. Chez lui pas de grandiloquence ni d’ostentation. On entend sur Aloha Means Goodbye un ukulélé, du piano, un violoncelle et des guitares éclatantes à l’instar de celles de « Hammertime » qui ouvre l’album et évoquent les sonorités cristallines de Vini Reilly. L’ensemble des orchestrations profondes et sensibles, toujours très proches de nous , accompagne des textes chargés d’états d’âme qu’on sent souvent douloureux. L’instrumentarium utilisé fait ressortir la beauté des compositions, voire leur absolue pureté. A l’écoute des 12 pistes de l’album nous sommes intrinsèquement plongés dans l’art de TVB et, dirais je, dans son essence même. Pour la manière utilisée on pense évidemment à Léonard Cohen – ce qui n’est pas un hasard en regard de la proximité qui exista un temps entre les deux artistes -, comparaison qui situe une nouvelle fois le travail de TVB bien plus dans le domaine poétique que dans celui du pop/rock au sens strict. Du moins sur le fond.
Il y a beaucoup de demi-teintes dans cet Aloha Means Goodbye ( titre – hasard ou volonté?- par ailleurs éponyme d’un film de David Lowell Rich réalisé en 1974), qui revient de loin mais réussit à activer beaucoup de ressources chez un artiste souvent aux limites. Soit autant de signes de talent que d’humanité.
https://viciouscircle.bandcamp.com/album/aloha-means-goodbye

Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.