Ou de l’art d’être dandy ?
« Un dandy est un homme se voulant élégant et raffiné, se réclamant du dandysme, courant de mode et de société venant de l’Angleterre de la fin du XVIIIème, mais aussi d’une affectation de l’esprit et de l’impertinence. » Wikipédia .
1 Antoine Masy-Perier, alias Tony Truant.
En clôture de sa saison 2014/15 le Huit Bis, galerie associative et espace mixte, proposait le 29 Mai « Cascade « , présentation foisonnante d’œuvres résolument contemporaines, réalisées par plusieurs artistes régionaux, peintres et plasticiens. Poursuivant la ligne artistique initiée en Novembre avec le concert de Gil Rose, l’espace associatif a également eu l’idée lumineuse d’offrir au public, venu en nombre pour la soirée de vernissage, un live set de Tony Truant. L’événement musical est joyeusement annoncé d’un tonique « Maximum Booga Wooga« , écho de la cascade visuelle, prédisant, qui sait, une culbute rock and roll (holala!) et pourquoi pas une résonnante chute à tout cela (patatras?).
Tony Truant, DarkGlobe l’a déjà rencontré en avril 2014, dans le cadre d’une longue interview Sétoise et filmée. Un an plus tard, l’homme, qui vit désormais dans le Sud, reste égal à lui même. Il est une figure comme on dit en Languedoc. Un singulier du mundillo rock hexagonal, dont le talent se situe largement au delà des traditionnels attributs du genre. Un rocker nerveux, certes, mais surtout un personnage original – au sens noble du terme – qui se présente en costume brun ajusté, coiffé d’un couvre chef à plume, façon Dylan Desire 1975. Un esthète sélectif qui, dans le lecteur cd de la voiture, glisse Exile on Main Street des Stones,- écouté attentivement -, puis Modern Times de Dylan – commenté – mais néglige le nouvel album de Blur. Ce qu’on appelle un choix.
Sur les tapis épais recouvrant l’espace scénique du Huit Bis, généreux et d’un jeu de guitare plein de vigueur, il a donné en solo affable une performance d’une heure trente. Jouant sans temps mort – ce qui en ferait pâlir plus d’un -, il a interprété plusieurs pages de son répertoire personnel. Le tout repéré backstage sur un petit cahier d’écolier annoté où la tonalité des chansons se trouve précisée en lettres manuscrites, l’objet conférant au travail du musicien une couleur quasi artisanale qui lui sied bien. Celle de celui qui aime.
Ce répertoire de Tony Truant, on ne saurait le réduire à une évocation des Dogs ou à un reliquat de sa collaboration, depuis le début des années 2000, avec le groupe de Didier Wampas. L’œuvre personnelle n’est pas anecdotique; elle se situe musicalement entre rock, blues, folk-rock et country. On citera en vrac des titres de la setlist: » La campagne », » Je me régale », « Une dose de cheval », »Trop de classe pour le voisinage », le mordant « Basset artésien », les hilarants « Elle est raide » ou « Merci » et l’incontournable « Le taxidermiste ».
Faussement dilettante, Tony (Antoine Masy-Perier pour l’état civil) est au contraire un exigeant. Qui joue rythmique et rock sur Telecaster noire millésimée et ampli Fender idoine. Dandy rock (nous y sommes), il sait donner dans les nuances et évite les poncifs. Ainsi, les textes chantés impeccablement de sa voix particulière, sont incisifs, drôles et truffés de clins d’œils. Parfaitement écrits, maîtrisés dans le chant et l’interprétation, ils constituent une des marques de fabrique de l’ex Dogs, cet « Alphonse Allais à la guitare électrique »(je vais finir par déposer la formule tant je l’ai retrouvée, depuis un an, repiquée dans la plupart des articles publiés).
Ceux qui ont su l ‘écouter se sont aperçus de toutes ces qualités. Ceux qui écoutaient peut être moins dans le détail, mais uniquement parce qu’ils se déhanchaient sur le tempo binaire, ont crié : » La classe rock à la française ! ». Un bel éclair de lucidité, je n’en doute pas. Le set performance qui aura vu plusieurs saillies dans le public guitare en avant, deux courtes pauses thé et rien d’inutile, s’est conclu par de francs et nourris applaudissements, bissant Tony, trop bon!
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Le magazine TV Tracks prévoit un sujet sur Tony Truant. Le guitariste est actuellement en tournée avec les Wampas.
2 Neil Hannon, alias Divine Comedy
« Pour avoir eu le privilège (et le nez aussi) de découvrir l’Irlandais dans les premières heures de plages déjà numériques et des lives émotionnels (Espace Julien, salle Victoire 2, Rockstore, Marsatac et sur la scène Flamingo du festival This is not love song 2015,) Neil Hannon reste un cru d’exception. Hors du commun. De ceux que l’on souhaite jalousement partager, savourer uniquement avec le cercle d’amis. Un élixir des dieux pensé, concocté, maturé par un maître de chai ou de chaire. A votre très bonne et durable santé Mister Neil Hannon. Revenez-nous vite, très vite. Et si vous ne venez pas à nous, c’est nous qui viendrons à vous. » (Didier Bagnis- Neil Hannon, le divin breuvage.)
En terme de breuvages, divins ou non, Neil Hannon semble s’y connaître ( comme tout bon Irlandais ?), qui poste le samedi 30 Mai après-midi, quelques heures avant son concert du soir, un selfie pris dans un pub irlandais de la préfecture gardoise, ventant d’une ligne les mérites du patron (ou de la patronne) et de l’établissement. Il arrivera sur scène aux alentours de 23h45, une bouteille de rouge et un verre à la main. Le quadragénaire aurait-il grand soif ? Il n’apparaît, au travers de ce geste, rien de provoquant, mais davantage le signe d’une cool et élégante attitude. Celle d’un dandy pop plutôt que rock, relaxé, à l’aise et sans pression. Hannon en est là aujourd’hui, dans sa carrière probablement, et puis la soirée presque estivale se prêtait à la décontraction. Pour autant il ne faudrait pas s’imaginer que le barbu blondinet se ficherait un peu de tout. Il y a là un pas que je ne franchirai nullement. Car le leader de Divine Comedy, serein, reste attentif et ne néglige rien. A l’instar d’Antoine Masy-Perier, Neil Hannon porte lui aussi grande attention à son allure vestimentaire. Ceci est poussé dans le détail bien que l’approche demeure plus sobre, plus discrète que celle de l’ex Dogs et inspirée d’autres conventions. Costume noir cintré mais sans excès, cravate sur chemise pourpre ou rouge brun, Neil a le look d’un gentleman on stage, comme tous les autres membres de son groupe. Et ces derniers, soit quatre musiciens – bassiste, clavier, accordéoniste (mention spéciale) et batteur (idem) – pour ce qui est de l’attention portée à la chose musicale, se montreront au dessus de tout soupçon. Chez Divine Comedy, la précision et la musicalité sont de mise. Sauf – cocasserie des circonstances – les quelques erreurs de Hannon lui-même, lequel se trompe de tonalité sur un titre ou loupe la fin d’un chorus. Ce dont il sourit et rit volontiers, commentant ses loupés avec le public par un « la musique est une terre étrangère pour moi ». British touch. Dandy attitude.
Hannon est par ailleurs un romantique. Comme Tony Truant qui l’exprime autrement. Ce qui le rattache au dandysme et à cette caractéristique inhérente du mouvement. Les histoires chantées sont toutes pleines de sentiments intenses, mais dits sans effets caricaturaux ni forcés, ce qui est une marque de qualité pop. Sur scène, c’est dans et par l’ interprétation que le chanteur ajoute quelques intentions aux propos. Mimiques teintées d’humour, moues pince sans rire ou visage rigolard, finalement, Hannon reste accessible et proche de son public. La voix est reconnaissable entre toutes, capable d’envolées poignantes. Le lyrisme de Divine Comedy et sa grande richesse, c’est évidemment dans la musique du groupe qu’on les trouve. Les orchestrations et les arrangements – ici toutes les subtilités de l’accordéon – enlèvent l’affaire haut la main, même en formation relativement réduite. Tout comme le jeu du batteur d’une rare précision et d’un véritable intérêt, associé aux notes de la basse. On pense évidemment à Burt Bacharach ou à Scott Walker, ainsi qu’à une tradition musicale européenne revendiquée. Hannon est sans doute le plus continental des chanteurs britanniques. «Absent Friends » « Summerhouse » « Our Mutual Friend » « Everybody Knows I Love You » « Lady of a Certain Age » « Generation Sex » et « Tonight We Fly » qui terminera le concert, seront parmi les titres les plus remarquables joués sur la grande scène Flamingo, devant un public aux anges, enthousiaste et reprenant les paroles d’un chanteur souriant, délicat et élégant ( on le répète car la chose est rare ) .
Assister à un concert de Neil Hannon avec Divine Comedy est un moment de bonheur. D’un bonheur pop et un peu chic mais qui sait rester simple et humble. On oublie le rappeux, le rugueux, l’anguleux. On vole dans la nuit, pratiquement. Poétique. . [youtuber youtube=’http://www.youtube.com/watch?v=wLH75gcfiPI’]
« Que ces hommes se nomment raffinés, incroyables, beaux, lions ou dandys, tous sont issus d’une même origine ; tous participent du même caractère d’opposition et de révolte ; tous sont des représentants de ce qu’il y a de meilleur dans l’orgueil humain, de ce besoin, trop rare chez ceux d’aujourd’hui, de combattre et détruire la trivialité. » (Charles Baudelaire, à propos du dandysme.)
Photos et vidéo Tony Truant: Jacques Moulin
Photo, vidéo et texte incipit Divine Comedy: Didier Bagnis
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.