Désormais figure de proue de la galaxie Constellation, The Silver Mount Zion Memoria Orchestra & Tra-La-La Band (on les appellera ASMZ par la suite, histoire de pas passer pour des intellectuels mazos) a quelque chose de mythique. Un ensemble de petites choses en fait. A commencer par celui que ses membres fondateurs sont issus d’un des groupes les plus influents des dix ou quinze dernières années (Godspeed You! Black Emperor s’il faut le citer), également par le charisme de son leader Efrim Menuck mais aussi par sa sympathie et sa foi inébranlable en la nature humaine, enfin par la beauté bouleversante de l’avalanche de décibels que leurs guitares et leurs violons s’attèlent patiemment à abattre sur nous.
Berg Sans Nipple commence son set avec un peu de retard (rien de grave, juste le temps de s’installer au balcon et retrouver les amis). Le duo franco-américain délivre un rock électronique très axé sur les percussions (la batterie vient accompagner les samples pour progressivement prendre la tête de la section rythmique, appuyée par des claviers assurant la mélodie de la chose). Une partie du public semble acquise à la cause du groupe, et ce dernier remporte visiblement un franc succès. Pour ma part, je relèverai quelques passages vraiment intéressants, et un travail sonore imposant mais qui ne suffiront pas à rendre l’univers des deux acolytes suffisamment accueillant pour moi. Néanmoins un plaisir de jouer qui inspire sympathie. A écouter sur disque lors du prochain accès aigu de curiosité.
Vingt-deux heures quarante-cinq, le Mount Zion investit la scène. Traditionnellement disposé en demi cercle (le mot « collectif » prend ici tout son sens) la formation atypique – deux violons, violoncelle, contrebasse, deux guitares, batterie – se présente, alors qu’Efrim demande (déjà) au spectateurs les plus éméchés de se comporter avec respect, et annonce Metal Bird en introduction. Le groupe prend son temps, on sent un peu cette retenue de « début de concert », mais rapidement il lâche les rennes. « This is a song about big cities self alienated bullshit » lance Efrim pour présenter Black Waters Blowed / Engine Broke Blues. Déjà, la magie opère. Lentement d’abord, on s’immerge patiemment dans le déluge sonore des Montréalais; cette espèce de clacissisme punk qu’inspirent le quatuor de cordes, secondées par des guitares criardes crachant larsen sur larsen: parfois la pression retombe, laissant le chant choral prend le relai, la voix plaintive de Menuck surplombant celles des autres avec humilité et discrétion. Puis arrive l’inévitable Thirteen Blues for thirteen moons. « La prochaine chanson parle du fait de passer l’hiver à regarder la guerre dans son poste de télévision. Ce pourrait être l’hiver dernier, ou bien l’hiver avant celui-là… » Les interludes sont employés à propager, appuyer le message du disque, avec un peu de légèreté sans pour autant le dénuer du moindre sens. Leader idéologique, profondément humaniste, Efrim l’est sans conteste: difficile de ne pas adhérer à son discours, alors que les sept entonnent les premières lignes de 1.000.000 died to make this sound, et sa complainte contre le trou noir social qu’internet représente à leurs yeux. Un message qui peut paraître naïf, rétrograde, mais motivé par une telle foi en l’être humain qu’il en devient émouvant et surtout convaincant.
La force de leur musique prenant peu à peu le pas (impossible de ne pas repenser à GY!BE tant on a encore une fois ce sentiment de vivre un moment privilégié), convertissant les nouveaux initiés à leur cause sans le moindre pli (excepté ceux du bar…) les Québecois quitteront une première fois la scène avant de revenir interpréter There’s A Light, puis en deuxième rappel, livrer une version époustouflante de BlindBlindBlind.
Seul regret de la soirée, on aurait vraiment apprécié que les abrutis du fond fassent preuve d’un peu plus de respect (qu’ils ferment leur grande gueule quoi, au moins pendant les morceaux!). C’est un problème récurrent, les gens qui payent pour aller voir des concerts et qui passent la soirée à parler pour qu’on n’entende qu’eux… Je sais pas moi, je comprends pas!.. Mais pour tout le reste ce concert a été tout simplement magnifique. ASMZ est et reste un groupe à part. Il fait partie de ces formations uniques, traçant leur propre chemin, faisant fi des modes et des conventions, des étiquettes, des rumeurs, des attentes. Il creuse un sillon sans se retourner sur ceux qui tentent de le suivre. On aura encore vécu un grand, grand moment de musique ce soir…
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).