Après s’être récemment davantage impliqué dans la composition de bandes-son (The End of The F****ing World – 2017/2019), plutôt que dans le monde pop rock dont il est issu, Graham Coxon revient aux affaires cet automne 2022, à quelques semaines du grand retour de Blur. Si la réunion des héros brit-pop s’annonce déjà comme le buzz musical britannique de 2023, le binôme historique de l’extrêmement doué Damon Albarn ne semble pas avoir souhaité s’y limiter. C’est uni (en studio comme à la ville) avec Rose Elinor Dougall, chanteuse et multi instrumentiste originaire de Brighton, qu’on le retrouve aujourd’hui dans un nouveau projet, désigné par le nom de The Waeve, dénomination mystérieuse que je ne traduirai pas dans ces lignes. Le duo dont on a pu entendre trois titres ces derniers mois, se situe à première écoute entre new wave, electronica, ambiances jazz et rock sonique. Soit tout un programme, qui tient aussi bien de la pop qu’on aime écouter que d’une volonté expérimentale dépassant largement ce format originel. On a pu se rendre compte de cette intention avec « Drowning » et « Something Pretty », deux premiers extraits d’un album à paraître dès le trois février 2023. Sur ces titres qui relèvent d’une ambition art rock (territoire favori d’Albarn), les voix de Coxon et de Rose Elinor Dougall se mêlent ou se répondent. Les structures comme les phrases mélodiques échappent aux conventions et montrent une tendance à l’emportement. Ceci, essentiellement, en raison des guitares rageuses de Coxon qui n’a pas perdu la main, on le constate avec plaisir, ou des influences jazz convoquées par le musicien réutilisant le saxophone qui fût son premier instrument. Ces productions de The Waeve que nous découvrons et qui portent une marque Coxon perceptible, sont, par contre, relativement éloignées de ce que Rose Elinor Dougall, très convaincante ici, proposa au sein de The Pipettes. Le girls band était, en effet, une formation empreinte de légèreté et d’une humeur qui flirtait parfois avec le pastiche sixties. La jeune artiste y participa de 2003 à 2008, et on aurait pu penser que cette expérience teinterait la musique du duo. C’était sans compter avec le fait que Dougall quitta le groupe pour une carrière solo d’un tout autre ton.
Paru à la fin du mois de novembre, « Kill Me Again » est une musique pour temps incertain pouvant virer au mauvais, mais qui évite finalement cette dommageable extrémité. Produit par le groupe et James Ford (Artic Monkeys, Foals, Haim), le EP est illustré d’un clip du photographe et réalisateur David J. East. Celui-ci a fait le choix de plans rapprochés sur les visages des deux protagonistes, rarement fixes et souvent flous, montrés dans une décomposition du mouvement ou donnant une impression de vision double. Les couleurs uniformes des images qui se succèdent, s’opposent et s’allient dans une déclinaison de complémentaires des tons vert et rouge. L’histoire d’un couple? On peut y songer, mais il reste difficile de le savoir vraiment. Musicalement ce « Kill Me Again », au titre menaçant sinon masochiste, avance sur le tempo médium et régulier d’un séquencer krautrock, progressivement complété par le jeu de basse. Coxon qui chante le premier couplet, se fait jazzman avec des motifs de saxophone en introduction, lesquels reviendront différemment après un refrain ambigu chanté en duo. La voix féminine suit sur le second couplet, répondant à celle de Coxon, poursuivant le propos amorcé dans un registre qui n’est pas exactement celui de la douceur ou du romantisme. Pour autant il ne semble pas qu’il soit ici question d’amour vache ou de conflit larvé, mais plutôt d’une confusion qu’on s’efforce de combattre. Elle serait, si on décrypte les mots, celle des forces négatives à l’œuvre et non le résultat d’une banale problématique amoureuse. Au final les guitares – qu’on attend un peu – sont moins présentes que sur les deux autres réalisations connues, et on ne sait trop si on le regrette? Gageons qu’on les entendra beaucoup parmi la dizaine de titres enregistrés pour l’album que diffusera le label Transgressive Records.
The Waeve nous promettent-ils quelques rendez-vous aussi stimulants que le furent certaines réalisations de Coxon en solo, telles Happiness in Magazines (2004), Love Travels at Illegal Speed (2006) ou le très beau et acoustique The Spinning Top(2009)? La possibilité semble bien engagée.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.