C’est dans notre époque si idéologiquement merdique que The Radio Dept a décidé de signer son retour. Et loin de se planquer face au désarroi politique actuel, les suédois ont décidé d’y faire face… à leur manière. Si la dimension politique n’a finalement jamais été occultée dans leur histoire musicale, le groupe scandinave, avec ce nouvel opus intitulé Running Out of Love, impose au centre de l’attention ses opinions anti-fascistes et anti-racistes. Le discours politique s’étale ici sur un registre qui tient tout à la fois du syndicalisme intimiste (l’attaque en mode rafale automatique contre leur label Labrador Records sur « Occupied ») en passant par l’hypocrisie du pays des Prix Nobel pour l’une de ses industries les plus florissantes (l’armement dans « Swedish Guns ») jusqu’à s’inspirer de l’histoire avec un grand H avec « Sloboda Narodu »; derniers mots d’un résistant croate communiste sur le point d’être pendu par les nazis et qui pourrait être traduit par « Mort au fascisme, liberté pour le peuple ». Mais malgré la pochette maquisarde de l’album (une peinture de Geli Korzhev datant de 1976), la violence du propos tient plus de l’état des lieux froid et désabusé, presque détaché dans son exécution, que du manifeste révolutionnaire; à mille lieux d’une grandiloquence revendicatrice et donc finalement tout à fait dans la tradition du groupe.
Ainsi même si l’électronique s’impose en grand maître d’oeuvre sur cette galette, le groupe est suffisamment malin ou peut-être retors pour ne pas se laisser entraîner dans le piège bien putassier des dance floors et de l’EDM. Sur Running Out of Love, les beats électroniques oublient d’être d’agressifs; leurs angles ont été arrondis avec doigté pour proposer une rythmique lancinante, qui tient plus du rebond fainéant mais singulièrement charmant que du gros coup de poing dans le gueule. Si les inspirations semblent souvent loucher du côté des années 80 avec en point d’équilibre la ville de Manchester (les Stone Roses sur « Commited to the Cause », New Order souvent), une electro bien commerciale (l’intro très Inner City de « We Got Game ») ou télévisuelle (le Angelo Baldamenti de Twin Peaks sur « Occupied »), elles affleurent à la surface avec régularité et restent encadrées par le souffle volontairement court de la production pour produire des joyeux pop atrophiés: la voix de Johan Duncanson est toujours joliment étouffée dans un mix où il murmure plus qu’il ne chante tandis que rarement une musique ne se sera autant employée à trouver un aussi délicat équilibre entre le dépouillement et suffisamment de production tressaillante. Avec cette distance évidente entre les paroles, le propos du disque et le traitement général privilégié, l’impression générale devient plus floue, prêtant directement à la rêverie, jusqu’à provoquer une polysémie déconcertante et constamment trébuchante pour l’auditeur entre la déclaration politique et de possibles désordres amoureux sur certains morceaux (« This Thing Was Bound to Happen » et « Teach Me to Forget »).
Running Out of Love propose sans se forcer un exercice de style certainement involontaire, d’une modestie (fausse?) paradoxalement un peu crâneuse. Ainsi, rarement un discours aussi vindicatif et politique aura été proposé avec autant de douce langueur, comme si le groupe comprenait directement le peu d’écho qu’aura celui-ci ou ne s’en préoccupait pas vraiment. Le résultat est tout à la fois tranquillement déroutant et d’un plaisir souvent immédiat. Sans doute que finalement, il n’a jamais été question pour les Radio Dept de s’énerver, ils ont très certainement préféré repartir se coucher.
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.