Ce soir, dans la très belle salle du Trianon, le français est minoritaire. Ce sont les américains, domiciliés à Paris, étudiants ou de passage qui tiennent la place. Il faut dire que l’évènement est de taille mais force est de constater qu’il a plus de valeur pour les citoyens d’outre-atlantique: un concert de The Postal Service pour commémorer les dix ans de la sortie de Give Up, le premier et unique (!) album du super groupe electro pop imaginé par Benjamin Gibbard (Death Cab for Cutie) et Jimmy Tamborello (Dntel et Headset). Mais même avec peu d’hexagonaux, le Trianon n’en est pas moins rempli comme un oeuf, à l’exception des barrières de protection qui repoussent de deux bons mètres la scène des spectateurs et paraissent incongrues au regard du style de l’assistance réunie ce soir.
Venues de Liverpool, les trois demoiselles de Stealing Sheep ouvrent le bal: claviers, batterie, guitare et voix à l’unisson ou à tour de rôle. Elles soufflent une pop folk saupoudrée de doux psychédélisme, très légèrement expérimentale, caractérisée par des sauts de l’ange entre refrains et couplets : une musique en équilibre constant et fuyant la facilité, difficilement assimilable directement; chaque morceau semble en contenir trois autres différents. La rythmique basique et très en avant offre un gros son à l’ensemble et un contraste assez étrange avec ces l’aspect physique de ces trois jeunes femmes.
A neuf heures, Gibbard et Tamborello montent sur scène accompagnés de Jenny Lewis, déjà croisée au chant sur Give Up et d’une ravissante jeune femme très mince aux longs cheveux blonds qui s’occupera de certaines parties des claviers et des choeurs. Tous sont de noir vêtus et Jenny Lewis se la joue sexy avec une robe courte à bustier. Comme une évidence, le set débute avec « The District Sleeps Alone Tonight », chanson belle à en pleurer sur la solitude existentielle. Soupir de soulagement et sourire aux lèvres teinté d’une vraie émotion, l’équation Postal Service, même dans sa forme live et dix ans après l’album, fonctionne toujours. L’electro minimaliste de Tamborello plus les mélodies et la voix de de Ben Gibbard, le chant crève-coeur en contrepoids de Jenny Lewis, le résultat reste dévastateur. La guitare parfois en bandoulière, Gibbard s’amuse sur scène, ne se force pas dans un rôle et ressemble au chanteur de Death Cab for Cutie dont on se souvient. Il s’installe quelquefois sur une batterie posée dans un coin de la scène comme sur la conclusion de « We Will Become Silhouettes ». Tamborello s’est, lui, caché au fond de la scène, derrière un mur illuminé par des séries de couleurs changeantes en fonction des chansons. Le nez derrière ses machines, il souffle parfois dans un melodica, chante avec une voix robotique à la fin de « Recycled Air ». Jenny Lewis, quant à elle, représente mieux que la choriste de luxe: ses parties vocales souvent totalement bouleversantes et son jeu de guitare la positionnent comme une pièce essentielle du groupe. C’est d’ailleurs elle qui s’assoit à son tour à la batterie pour le « Our Secret », une reprise de Beat Happening, morceau le moins électronique de la soirée mais qui s’insère sans difficulté dans le répertoire du Postal Service. Elle n’hésitera pas non plus à danser avec Gibbard sur leur réinterprétation d’une rupture amoureuse pendant le duo du charmant « Nothing Better ». Si les morceaux sont exécutés sans grand écart par rapport à leur structure originale, le groupe n’oublie quasiment aucune de ses compositions: même les titres plus obscurs comme « There’s Never Enough Time » ou « Be Still My Heart » seront interprétés ce soir. Seule absence à signaler celle, plutôt heureuse finalement, de leur reprise du « Against All Odds » de Phil Collins.
« Turn Around » et « A Tattered Line of String », les deux dernières chansons composées par le groupe, prennent le parti de l’électro pop hédoniste de qualité et décomplexée en comparaison des morceaux plus anciens. Sur la fin, « Such Great Heights », l’un des favoris du public, remue encore les murs du Trianon suivi par « National Anthem » qui termine le concert (avant le rappel). Ce dernier morceau s’écrase dans un mur du son apocalyptique, totalement bruitiste, comme un appel du pied à My Bloody Valentine qui a pris rendez-vous dans la même salle deux semaines plus tard. Jenny Lewis se retrouve alors à genoux à jouer de la guitare avec les dents et Gibbard se rapproche du public pour le dernier couplet du morceau et en profite pour serrer quelques paluches. Tout un symbole, le rappel débute avec « (This Is) The Dream of Evan and Chan » la première collaboration entre Gibbard et Tamborello pour l’album de Dntel Life Is Full of Possibilities avant de se conclure sur le sautillant « Brand New Colony » dont les paroles « Everything will change » sont reprises en choeur par le public.
Du Postal Service sur scène, je connaissais uniquement l’enregistrement sonore d’un concert à Minneapolis en 2003. Etait-ce à cause de la pauvre qualité de l’enregistrement, de la jeunesse des musiciens, de leur manque de préparation ou d’une combinaison de tout cela mais le rendu me semblait alors maladroit et sans grand relief. Ce soir à Paris, c’est tout le contraire. Le résultat est exceptionnellement professionnel, juste et puissant tout en laissant filtrer un véritable sens de l’humain pour retrouver ce qui avait tant séduit sur Give Up: un équilibre chancelant et miraculeux entre la mélancolie lumineuse et la danse meurtrie, une naïveté désabusée, un bonheur amer et une tristesse salvatrice.
Photos : orimyo
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.