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Insight

The New York Dolls, l’anarchie comme projet

Au début des années 1970 deux styles  dominent le paysage musical. Le rock progressif et le hard rock squattent les ondes et les platines. D’un côté  on trouve des musiciens qui  rêvent  d’une évolution de la musique rock et complexifient leurs titres à n’en plus finir, se voyant comme les nouveaux Mozart. De l’autre, des hard rockeurs chevelus distordent les accords du blues, focalisant l’attention du grand public par des démonstrations de force.  Dans ce tableau écrasant on peut se demander comment un groupe comme les New York Dolls a pu trouver une place  deux années durant, de 1972 à 1974, dans une courte aventure secouée de remous ? Si les musiciens des formations prog ou hard du moment sont perçus comme des demi-dieux qui tiennent à leur place sur le devant de la scène, les NYD sont , quant à eux, bien loin des projecteurs.  Ils ressemblent plutôt à une bande de  frimeurs grandes gueules mais sans gloire, issus des mauvais quartiers new yorkais. On ne voit pas, a priori, qui pourrait s’intéresser à eux? Pourtant ils ont une idée, voire un projet qu’ils testent dans  une  première mouture de formation précèdant les Dolls: celui de faire descendre le Rock des hauteurs qu’il cherche à atteindre en le ramenant à sa place, c’est à dire dans la rue. Ils s’y appliqueront. Pour les NYD il faut retrouver une énergie perdue, injecter de l’adrénaline où il en manque et réanimer cette forme d’innocence et de transgression inhérentes au Rock’n’Roll des origines. 

Les New York Dolls se forment en 1971 et s’essaient d’abord aux reprises de classiques du Rhythm’n’Blues noir, choisis dans le répertoire des années 60. Rien d’original jusque là, sauf que leur front man, David Johansen, nourrit une fascination pour l’avant-garde théâtrale décadente et toutes les formes d’excentricités de l’époque. Le transgressif l’intéresse et il veut l’utiliser comme une image forte qu’il associe au groupe. Pour cela il trouve ses modèles dans la Factory d’Andy Warhol et ses « créatures » ou personnages mis en scène par l’artiste et agitateur. Les extravagances vestimentaires et marginales sont convoquées pour devenir une partie du show. Comme au théâtre, les NYD se déguisent et n’hésitent pas à s’habiller comme des drag queens , avec  boas et plumes, maquillages outranciers en supplément,  provoquant volontiers leur public  la plupart du temps anti-conformiste il est vrai. A première vue les NYD seraient une bande de grandes folles qui jouent un rock direct, brutal, suintant la sexualité malsaine.  Le côté fashion, consciemment mis en avant, fonctionne ou interpelle a minima. Un début de hype se fait autour du groupe qui navigue pourtant à contre courant. Elle va s’amplifier, devenant un phénomène qu’on pourrait percevoir, selon l’angle de vue, comme un numéro de foire. Mais qu’importe le flacon quand on recherche l’ivresse…

Johnny Thunders et David Johansen en 1973. Photo Bob Gruen


Les NYD n’ont ni single ni album quand leur manager Marty Thau les envoie en Angleterre, où ils font la première partie des Faces qui connaissent alors un énorme succès. C’est l’époque du glam rock, de T Rex et David Bowie. Les new yorkais, lachés sur les scènes anglaises, créent un phénomène de surprise qui colle parfaitement à la tendance. La presse musicale, dont le rôle ne sera pas négligeable dans ce qui suivra, prend de plein fouet  l’agression sonore des Dolls. Que rêver de mieux que cette équipée outrageuse qui déstabilise les usages et joue un rock dérangé ? Les journalistes relaient ce qu’ils voient. Une nouvelle hype rock secoue le monde musical britannique et intéresse le public branché. Le jeune Stephen Patrick Morrissey est de ceux là. Il écrit depuis Manchester des lettres enflammées, où il loue les mérites du groupe, les adressant au NME ou au Melody Maker qui n’hésitent pas à les publier. Quand il formera The Smiths avec Johnny Marr au milieu des années 80, il leur arrivera de reprendre « Trash » un des titres célèbres du premier album des New York Dolls. Morrissey en gardera l’habitude dans les premières années de sa carrière solo. La hype New York Dolls ne fût pas sans laisser de traces.


Sans le batteur Billy Murcia, définitivement sonné par les événements sur le sol britannique qu’il conclue abruptement d’une overdose d’amphétamines,  le groupe rentre aux Etats Unis. Jerry Nolan prend la place vacante et les Dolls , forts de leur nouvelle experience, se mettent en quête d’une maison de disques. L’agitation médiatique ne facilite pas les choses et les labels ne se précipitent pas. Le look de travestis, la grossiéreté et la toxicomanie affichées, le rejet des valeurs morales n’incitent guère. Finalement, c’est Mercury Records qui prend de pari  de signer le groupe. Un premier album est en préparation .  Rien n’est simple car les Dolls sont avant tout un groupe de scène.  Comment traduire l’énergie et la morgue des musiciens ? Comment aussi  les canaliser quand ils n’ont aucune  expérience des studios ? C’est Todd Rundgren qui est choisi comme producteur par Mercury .  Celui ci, multi-instrumentiste de génie, vient de publier Something/Anything ? véritable chef d’oeuvre de créativité.  Il a de plus produit les albums de Badfinger et des Sparks ce qui rajoute à sa crédibilité . Rundgren a la lourde charge de coordonner ces garçons sans école que sont les NYD. Il doit gérer et contrôler les écarts des uns et des autres, comme s’assurer que Johnny Thunders accorde correctement sa Gibson Junior. Il va surtout faire en sorte de trouver le son idoine pour un groupe pas comme les autres et donner au futur album intitulé New York Dolls , une dimension appropriée.

David Johansen et Todd Rundgren au Max Kansas( NYC). Photo Bob Gruen

Son mixage met en avant la batterie énorme de Jerry Nolan,  ainsi que l’entité bicéphale Johansen-Thunders, ersatz huileux de Jagger-Richards. La Gibson de Thunders va inventer  la guitare punk. Rundgren a repéré le jeu non orthodoxe du guitariste, plutôt irrégulier et désordonné mais toujours furieusement tranchant. En ce sens, les albums Raw Power des Stooges et celui des New York Dolls ont des points communs. A eux deux ils posent cinq ans auparavant les code musicaux qui serviront de repères au mouvement de 1976. « Looking for a Kiss », « Bad Girl » ou « Jet Boy » sont les illustrations fulgurantes d’un son nouveau, grace au savoir-faire d’un producteur qui capte l’esprit d’un groupe hors normes. Steve Jones s’en inspirera  quand il prendra la guitare au sein des Sex Pistols. Pour toutes ces raisons, l’album initial des NYD est un grand disque de rock , pierre d’angle pour la déferlante punk .

Le groupe continue de se produire de 72 à 74, prenant sur scène toute son ampleur. L’attitude des Dolls,  leurs tenues vestimentaires, seront des influences pour les groupes de  Metal qui vont jouer dans les années 1980.  Motley Crüe en est le meilleur  exemple. Le look de vêtements moulants de très mauvais goût fait école. A l’époque du glam rock et du glitter, les NYD représentent un grand cirque rock, certes caricatural mais surtout provoquant. Le projet implicite devient explicite.

La posture est tout autant recherchée qu’assumée par Johansen et ses comparses. Les Dolls jouent et mettent en scène l’ image exacerbée d’une luxure et d’une débauche permanente. Ils seraient une sorte de fête orgiaque du rock n roll. En premier lieu du moins. Pour autant, on peut aussi entendre chez eux  l’expression de  questionnements des jeunes gens de leur génération.  Sans que le groupe ne se fasse  porte-parole. Ainsi « Personality Crisis » exprime t-il un trouble adolescent autour de la sexualité .  La fuzz de « Vietnamese Baby » illustre la désapprobation de la guerre du Vietnam, appuyée par le jeu bruitiste de Jerry Nolan à la batterie. Les Dolls sont connectés au monde autour d’eux.

Étonnamment, « Lonely Planet Boy » est une ballade qui renoue avec la tradition  new yorkaise d’une pop léchée . Au travers de ce titre, le groupe confirme ses influences  sixties , des girls group et du rythme n blues. « Trash » qui ose mêler histoire d’amour et relents de poubelles, est une adaptation à peine déguisée de « Strange Love » de Mickey and Sylvia. Le couple de guitaristes chanteurs, originaires de New York, connut quelques hits entre 1955 et 1965. Il est à peu près certain que les NYD les entendirent, avant d’adapter ce titre  innocent dans sa première version. Les influences des années 1960 se retrouveront à nouveau au programme du second album Too Much Too Soon . Enfin l’irrésistible « Jet Boy » présageait , en fin de face B, un avenir prometteur pour ceux qui s’étaient voulus  révolutionnaires et iconoclastes… Les choses ne vont pas se passer exactement de cette façon…

Too much too soon , est  enregistré un an plus tard. La situation du groupe a changé. Les NYD sont  connus et ils subissent  une grande pression de l’industrie  musicale. Elle aura un effet délétère sur les new yorkais tiraillés entre l’envie de succès et celle de n’ en faire qu’à leur tête.  Too much, too soon, traduire « Beaucoup trop, trop vite »,  album justement intitulé , est sans rapport avec la première production de Rundgren. C’est un disque avec moins d’éclat sur bien des points. Les Dolls en sont  eux mêmes déçus et le public boude ce nouvel opus. Du moins à sa sortie. Thunders et Nolan sont devenus accros aux drogues dures et leurs comportements deviennent erratiques. Le premier manager du groupe  jette l’éponge et c’est l’opportuniste Malcolm McLaren qui se met dans l’idée de s’occuper d’eux. Son intervention surréaliste n’arrange rien, surtout par son choix de transformer le groupe en militants situationnistes et politisés, ce qu’ils ne sont pas. Lors d’un tournée en Floride, les Dolls arrivent sur  scène en uniformes rouges sur fond de drapeaux rouges !  L’idée saugrenue de Mac Laren enfonce davantage les NYD dans leur propre désordre. La focille et le marteau ne sont pas pour eux et ils n’ont rien à faire des arnaques spectaculaires manigancées par le londonien qui  fabriquera bientôt les Sex Pistols. Déjà mal en point sinon à l’agonie, le groupe implose. Thunders et Nolan partent de leur côté former The Heartbreakers. Ils connaitront une carrière  chaotique et un personnel changeant, avant la disparition de Johnny Thunders en 1991 dans des conditions obscures , retrouvé mort dans sa chambre d’ hôtel de la Nouvelle Orléans.
Johansen et Sylvain restent en contact et se réunissent au début 2000 pour une reformation passagère qui connait un vrai succès.

Quelles qu’aient été  les affres de leurs carrières et de leurs vies personnelles – Johansen est aujourd’hui le seul survivant du groupe – les NYD ensemble ou en solo, ont marqué l’histoire. Ils ont délivré  un message sauvage et irrévérencieux, loin des conventions , signifiant que la musique qu’ils voulaient serait synonyme de révolte et non de compromis. Ce qui s’appelle un choix.

Les Dolls renouvellèrent, sans prendre de pincettes, le sens originel du rock. Ce que firent les Stooges de Detroit au même moment, d’une façon moins théâtrale et plus âpre. Les deux groupes font la paire. De ce point de vue, on considérera  le projet initial New York Dolls comme réussi. Sans toutefois compter les pots cassés et ceux qui sont restés prématurément sur le carreau de Murcia à Sylvain. L’addition est lourde… En 1976, deux ans après la fin d’un groupe qui n’hésitait pas à poser symboliquement assis sur des poubelles ou devant des impasses interlopes, l’anarchie et l’irrévérence rock deviendraient un hymne, chanté par un certain Johnny Rotten. Enfin, le choc provoqué permettrait la naissance de formations aussi variées que Kiss, Blondie, The Clash, Ramones, Dead Boys, Mötley Crue , Guns And Roses. Le chaos peut être paradoxalement fructueux.

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