Qui a dit que les groupes gays new-yorkais devaient nécessairement ressembler aux Scissor Sisters ou aux Village People? A première vue, le trio de Brooklyn, The Ballet, ne semble pas avoir un goût très affirmé pour les talons compensés, les costumes d’indiens et les danses chorégraphiées de fin de soirées trop arrosées. Ne faisant aucun mystère de leur sexualité et se définissant eux-mêmes comme « a bunch of queers who just happen to be in a band« , Greg Goldberg, Craig Willse et Marina Miranda préfèrent se cacher derrière leurs synthétiseurs. Leur troisième album, sorti au mois de Juin chez Fortuna Pop et au nom étonnamment revendicatif au regard du son du groupe de I Blame Society, même encadré par deux morceaux à la saveur indie rock nineties (« Alright » and « All the Way » en ouverture et fermeture), officie dans la catégorie d’une électropop tranquille quelquefois paresseuse qui pousserait l’effort jusqu’à s’étirer vers de la synthpop classique, autotune et gimmicks eighties à fond les ballons (« Sorry »).
Pourtant I Blame Society ne ment pas sur son titre. L’album s’attarde régulièrement sur des problématiques classiques liées à l’acceptation de l’homosexualité dans nos sociétés: que ce soit le poids du regard d’autrui et le douloureux sentiment de culpabilité sur « Difficult Situations », l’absence de considération administrative, religieuse voire inter-personnelle sur « Meaningless », l’expérience des pressions exercées par l’entourage pour que deux amoureux du même sexe rompent sur l’enjoué au final salvateur « Too Much Time » jusqu’au single « Is Anybody Out There » (illustré par un montage vidéo du légendaire classique gay The Pink Narcissus comme l’évident reflet de l’évocation d’une masturbation homo érotique pour tromper l’ennui) qui, sur de longues notes de synthétiseurs dessine la misère de la vie dans une petite ville de province. Pourtant, il y a toujours quelque chose de profondément décalé dans ces morceaux: l’apathie de la voix est souvent contrebalancée par une électronica presque joyeuse et provoque un juste équilibre qui dédramatise la situation tout en faisant passer le message avec une sobriété rimant avec sincérité. L’exposé décrit tient alors plus d’une douce-amère description que du manifeste enflammé.
Si l’album assume donc son caractère calmement social tout en restant non conflictuel, il n’en oublie pas moins de se faire émouvant lorsqu’il dévoile tendrement et sans faux semblant, son cœur d’artichaut. Sur l’infinie douceur de « Cruel Path », Goldberg, qui écrit les textes, commence par d’abord laisser entrevoir une fêlure comme une peur viscérale (« we should go, we should go dancing« ) jusqu’à la cassure (« pretty soon, we will be gone« ): celle de l’inéluctable et dramatique destinée de toute vie humaine vécue en un clin d’œil, de la cruauté de la séparation amoureuse définitive avec la mort de l’être aimée, dessinée à la ligne claire avec pudeur et une infinie justesse. Au centre, « Feelings » rassemble avec une naïveté assumée (le groupe s’affirme aussi comme « unshamelessly sissy« ) les clichés sur la perpétuelle interrogation amoureuse tandis que de l’autre côté du disque, le juste tout à fait jubilatoire ‘Turn You » vibrant de sa boucle Casio-style à-la Au Revoir Simone, évoque, malicieux et le sourire aux lèvres, le bonheur de faire découvrir à un hétéro les plaisirs de la sexualité gay.
Si Goldberg ne possède ni la sophistication intellectuelle ni le maniérisme de Morrissey (ce qui n’est ni une bonne ni une mauvaise chose), sa sensibilité s’en rapproche dans sa constance de l’épreuve du quotidien tandis que la phrase d’introduction de « Difficult Situations » possède indiscutablement des allures de pastiche du mancunien: « I should be happy, I’ve got everything I want, I’ve got my friends and family… And a boyfriend« . De même, tandis que son discours résonne d’une façon plutôt autocentrée, l’ensemble reste suffisamment vague pour chuchoter du sens aux oreilles des paisiblement déviants. Car The Ballet manipule à la perfection, à la fois musicalement et dans les paroles, le caractère vrai de la simplicité. Le groupe esquisse un environnement où rien n’est forcé, où l’évidence du premier degré se suffit à lui-même, où la confusion et le mystère des sentiments se dénouent de manière laconique pour parfois souligner la contradiction entre le corps et l’esprit (« When I said I wanted to be alone, I never meant that I wanted to be alone » sur le single « Is Anybody Out There? »), où l’interrogation sur l’homosexualité (« Difficult Situations ») laisse apparaître en creux qu’il n’existe pas de réponse à donner.
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Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.