Comme si la neige s’était mise à tomber.
« La première fois que j’ai entendu la musique de Joy Division, j’étais à l’arrière d’une mini-Austin. C’était le mois d’août de 1981 et j’étais avec ma petite amie du moment qu’on appelait Purdey, en raison de sa ressemblance avec le personnage féminin du célèbre feuilleton anglais, The Avengers – période post 1976 – Chapeau melon et bottes de cuir en français.
Le garçon qui conduisait jouait dans un groupe de rock et moi, de mon côté, j’avais aussi le mien. Il connaissait un peu mes goûts et nous en partagions quelques uns.[…] A un moment donné , comme nous roulions quelque part dans une plaine qui n’en finissait pas, ce type qui aimait vraiment la musique , a glissé une cassette dans le lecteur de l’Austin et il a dit:
« Joy Division, mec. Le meilleur groupe du monde. »
[…] »Cet après-midi là, et c’était bien le mois d’août, brusquement la neige s’est mise à tomber. De la neige autour de moi, autour de Purdey et moi et du type qui conduisait l’Austin […]. Enfin c’était comme si la neige s’était mise à tomber. Parce qu’elle ne tombait pas vraiment, bien sûr. Mais d’une certaine façon oui. Elle tombait. »
( Le Marcheur Surpris, extraits, « Tout ce que je voulais c’était devenir un guitariste rythmique ». 2013. JN Bouet/ ed La Galerie du Platane/Hors Cadre/Atelier7)
« We were from Salford, which was a much grimmer place, and we always had this funny feeling that they (Ian and Steve) were from the countryside. »
Peter Hook, Macclesfield Evening post, Juin 2013.
En 1987 à la sortie de Brotherhood, quatrième album de New Order, j’interviewai Anthony Wilson pour le fanzine Pulp’s sur lequel je libérais des élans passionnels et musicaux. La conversation au delà de l’album gris- bleu, dériva vers les racines du groupe. Notamment la relation que je pressentais entre musiciens et villes d’origines, personnalités et créations. Wilson avec une volonté de réserve évidente, me répondit que de son point de vue et de celui du groupe, il pensait raisonnable de dissocier ces choses. Suggérant que les hommes eux-mêmes n’avaient pas d’intérêt particulier et qu’on devait uniquement s’intéresser à l’œuvre. Il émit moins de réserve toutefois quant à Manchester et au Cheshire, terres de naissance de JD et New Order.
Le 30 Juillet 2014, en arrivant à Macclesfield, il pleut et le ciel est bas et terriblement gris. Après cinq heures en Vauxhall de location depuis le sud quitté le matin sous un soleil estival bien que britannique, on a l’impression de se retrouver au mois de Novembre, dans quelque coin reculé du massif central, après une fin de trajet qui a emprunté de pittoresques routes aussi campagnardes que étroites, grimpant et descendant les collines d’une départementale conseillée par Mappy. Ma foi!
La foi il vaut mieux l’avoir, en effet. Macclesfield, de prime abord, est une ville sombre et particulière d’accès, très province profonde et un peu hors du temps. Le centre ville est juché sur une colline qui domine London Road et Silk Road, les deux artères routières principales du côté Est. A l’horizon on voit de hautes collines et des plateaux, une forêt toute proche. Le village de Rainow qui a quelque chose des grises et granitiques bourgades Lozériennes et dans lequel réside Steve Morris, s’y trouve, à quelques miles à peine. Au nord ouest c’est Prestbury et Alderley Edge. Ces deux villages que je découvrirai plus tard, sont quant à eux plus riants, mais tout aussi ruraux, bien que colonisés par la jet set locale, footballeurs de Manchester United ou stars du rock (dont Hooky et Barney). Des sortes de St Rémy de Provence mais très septentrionaux quand même.
Sous la pluie les rues pavées sont luisantes. Les maisons de briques d’un rouge-brun qui a mangé toute luminosité à la couleur rouge. At 3 pm l’hôtel de Beech Lane est fermé! Joint par téléphone le patron « I’m a Joy Division expert » vous indique comme venir récupérer votre clef. Curieux. Après quelques errements dans les ruelles en pente, vous vous perdez un peu et l’homme à l’autre bout du portable vous dit que bon, il va se déplacer alors, et qu’il sera là dans vingt minutes.
Accueil avec un humour so british caractéristique, mais un peu mi figue mi raisin, que malin vous désamorcez par une main tendue et une remarque implacable. Welcome to Macclesfield.
« I am a Joy Division expert too! »
Une marche autour du Macclesfield de Joy Division et de Ian Curtis.
En 2010 la ville a fêté les trente ans de la disparition prématurée de Ian Curtis. A cette occasion le centre d’information touristique a ouvert un rayon Joy Division qui reste toujours d’actualité. On y trouve quelques objets, des cartes postales en noir et blanc, des sacs Unknown Pleasures, ainsi qu’un livret spécial, vendu au prix d’1,5 Pounds. Le quatre feuillets de format A4 présente en couverture une vue de la ville et de son église principale St Michael Church, prise sous une lumière passée, dans le plus pur style de Kevin Cummins. Capturée depuis le quartier de la gare ferroviaire en contre bas, l’image a ceci d’intéressant qu’elle désigne implicitement le chemin qu’empruntait souvent Curtis pour rentrer chez lui à Barton Street ou pour quitter la ville lorsqu’il rejoignait Manchester, la plupart du temps par train. Le livret présente un plan des lieux, avec des annotations de la main de Déborah Curtis et de Steve Morris. On y trouve les adresses de lieux inconnus au plus expert des fans mais qui n’intéresseront également que les plus experts des fans.
Ainsi celles des clubs fréquentés par Curtis et la jeunesse locale de la fin des seventies – aujourd’hui fermés ou transformés; celles de locaux de répétitions occasionnellement utilisés par le groupe avant qu’il ne s’installe aux JT Davidson studios de Manchester. Les adresses des ex-domiciles familiaux des Curtis (Balmoral Crescent , Huddersfield ) et naturellement le 77 Barton Street, tout comme celle de la prestigieuse King’s School, collège et lycée de Curtis et Morris qui en furent des élèves pas toujours dans la norme. Les lieux de travail de Debbie en 79 et 80, sur London road, à la sortie de la ville sont également indiqués, ainsi qu’une salle de concert du même quartier, fameuse à l’époque, où Warsaw reçut un « encore faudrait-il que vous soyez suffisamment bons » sans appel lorsqu’ils sollicitèrent le gérant pour y donner un concert (notons que JD ne joua jamais à Macclesfield). L’adresse du cimetière où reposent les cendres de Curtis, sous une toute petite dalle, au bord d’une allée, est évidemment portée. Sur ce dernier point, Steve écrit que n’ayant pas voulu assister à la crémation de son ami, ni à ses obsèques, il s’était alors rendu au zoo, situé dans le parc tout à côté et qu’il y avait passé hagard, un long moment à regarder le panda qui en était une des attractions. L’endroit existe toujours. Morris l’indique comme un lieu d’intérêt. Je ne suis pas au courant pour le panda ?
Cependant, malgré toutes ces adresses données, Curtis est à la fois étrangement présent et absent de Macclesfield, ou devrais-je dire, de la mémoire de la ville. Il y a quelque chose de fantomatique dans cette marche le long de ces rues pavées. Ceci semble en voie d’être corrigé par l’activité nouvelle d’un espace tenant compte de cet héritage. Un lieu culturel Incubation arts situé sur Chestergate, dans le centre, a récemment montré sa volonté d’ honorer la mémoire du chanteur qui grandit et décéda ici. En 2013 une exposition a été consacrée à Joy Division dans cet espace mixte qui accueille également des accrochages d’artistes locaux et des manifestations culturelles. Il ne possède cependant pas de collection permanente Curtis-JD. Quand on parle avec Julie Hamer qui manage l’endroit, elle déclare que, en effet : « Le groupe n’a toujours pas reçu la reconnaissance qu’il mérite dans la ville, et qu’avec son équipe elle en est arrivée à l’idée qu’une exposition permanente s’avère nécessaire. Qui serait également un facteur de promotion de la culture à Macclesfield *. Le projet est soutenu par Peter Hook et Steve Morris. Ce serait également un élément favorable pour l’activité créative de la communauté, une salle pour l’art contemporain à Macclesfield, qui permettrait d’établir une scène future pour la ville ».
L’initiative, si elle se concrétise, sera sans doute plus efficace que le Cuba bar ouvert en 1999 et qui ne fit long feu, géré par Hooky et ses acolytes de Free Bass. Situé dans Pickford Street, près de la gare, le bar-club, tenta de ressusciter l’Hacienda. Il fut brièvement un lieu de passage obligé pour les fans.
Peter Hook ( lors d’une lecture de Inside Joy Division, King’School, Juin 2014 ): “Because of Ian Curtis and always wishing I could have done more to prevent him taking his own life, I must admit I have had a love-hate relationship with Macclesfield. »
(* Macclesfield ne possède ni théâtre, ni cinéma – celui où se rendait souvent Curtis est fermé depuis vingt ans- carence de taille pour une ville de 50 000 habitants. NDLR)
Les 108 Marches
Quand on quitte la gare de Macclesfield à pieds et qu’on veut se rendre dans le centre ville, vers le Town Hall ou Market Street et Mill Street qui sont deux accueillantes rues commerçantes et animées, on peut emprunter un étonnant chemin. Plutôt que de faire un détour, celui qui ne craint pas une petite grimpette choisira certainement The 108 Steps, qui est une ruelle en forme d’escalier pavé qui serpente entre un jardin public juché sur la colline, placé derrière St Michael’s Church et des blocs de maisons anciennes typiquement anglaises. Ces 108 marches qui font partie du patrimoine urbain local, ont fait l’objet d’une réhabilitation et, bien qu’ayant été laissées à l’abandon quelques années, ont désormais retrouvé leur charme. Curtis aimait particulièrement cet endroit, nous dit Debbie, comme il aimait se promener dans d’autres lieux de Macclesfield, parcs ou quartiers singuliers, certains associés à son enfance. Ce qui est certain c’est que le jeune homme emprunta des dizaines de fois ce passage lorsque sortant du train de Manchester, pris à Piccadilly Station Manchester, à vingt minutes de là, il descendait à Macclesfield et rejoignait le 77 Barton Street. Il dût très certainement l’emprunter au début du mois de Mai de 1980, quand il quitta sur le quai de la gare Annik Honoré qu’il voyait alors pour la dernière fois, la jeune femme devant continuer, quant à elle, son voyage jusqu’à Londres, rejointe quelques minutes plus tard par un Anthony Wilson présent dans le même train…
Symboliquement ces 108 Marches sont la porte étroite qui conduit dans le cœur de la ville de Curtis. C’est du moins comme cela que je n’ai pu m’empêcher de les percevoir. L’ascension laisse le temps de penser – à défaut de penser vite, comme le suggère Rousseau quand il évoque « L’esprit d’escalier » – et permet donc d’associer les impressions, les idées qu’on se fait des choses et de leur réalité in fine. Le tout demeure mêlé inexorablement. Car il n’y a pas d’objectivité totale. Curtis n’a pas d’objectivité face à lui-même et face à Joy Division. Quand débordé de tout côté il n’est plus l’icône rock derrière un microphone, mais simplement un très jeune homme de vingt trois ans. Quand on en a cinquante deux, vingt trois ans cela paraît très très jeune. Contrairement à ce qu’on se faisait comme idée en 1981, à l’arrière d’une Mini Austin, écoutant Atmosphere pour la première fois de sa vie. Vingt trois ans c’est par exemple l’âge de votre plus jeune fils,quand vous êtes quinquagénaire. Cela donne une échelle des choses, il me semble. Curtis, en marchant dans les rues de Macclesfield pendant quatre jours durant, on comprend assez clairement qu’il n’a rien d’un héros romantique – méprise courante – et on sait en pleine conscience une chose (qu’on avait saisie depuis longtemps): il y a une différence énorme entre intérêt pour l’art et intérêt pour le show business, voire pour ce que les anglo-saxons appellent « Stardom » et pour ce que cela suppose comme mode de vie.
Curtis qui ne conduisait pas, était un marcheur. Il n’a pas marché longtemps. Il n’a pas non plus choisi un mode de vie.
Devant le 77 Barton Street où l’on arrive ensuite, une phrase vient à l’esprit. Une phrase courte et définitive, peut -être : « Je suis au 77 Barton Street et il n’y a rien à dire ».
Il y a pourtant plus téméraire que moi qui ne bouge pas et regarde la maison dans l’angle. La porte voisine étant ouverte, on entre dans un couloir qui conduit tout de suite à une cour et cette cour est commune avec le numéro 77. Peu profond, l’espace dallé donne sur l’arrière de la maison et sur la cuisine de l’ex maison du chanteur mort de Joy Division. Exactement sur la petite cuisine. On prendra une photo rapide qu’on me montre. This is the way , step inside ? Certainement pas. Et je n’ai pas besoin qu’on me tienne la main.
De la pluie encore. Dans le parc voisin où Curtis est pris en photo en 1979 tenant son enfant et promenant son chien Candy, des jeunes gens jouent au football avec des maillots du Macclesfield Town. Des dames font courir leurs chiens. Les anglais aiment cela. Le football et les chiens.
Dernier regard sur Macclesfield: Cornelia F.
A quelques pas du mémorial de Ian Curtis, lequel couvert d’objets hétéroclites – photos et fleurs desséchées, médiators, pièces de monnaies, tickets ou figurines et bougies – fait davantage penser, ainsi décoré, à un rendez-vous d’adolescents plutôt qu’à tout autre chose, on trouve sur le même côté de l’allée, une pierre tombale de taille identique, gravée d’un prénom sans nom de famille : Cornélia F. A côté, une année : 1993. En dessous, une phrase: « take my hand and I’ll show you ». Cette dernière, sans doute aucun, est un écho direct au titre « Disorder« , introductif de Unknown Pleasures, texte dans lequel Curtis évoque ce besoin de guidance dans un chemin existentiel qu’il ne savait pas comment prendre. Elle évoque également cette ombre d’une main fermant une porte, première image de la vidéo de « Love Will Tear Us Apart », phrase gravée, chacun le sait, sur le mémorial de Curtis.
Le petit mémorial est nu et non visité, contrairement à celui de Curtis qui reçoit des visites quotidiennes et constitue paradoxalement un des attraits touristiques essentiels de Macclesfield.
Tout cela m’aurait probablement intrigué si je n’avais été éclairé auparavant par mon hôte de Beech Lane, l’autre Joy Division expert.
« Vous verrez, me dit-il, lorsque vous irez au cimetière. Juste après Ian Curtis il y a une autre dalle . Avec le prénom d’une jeune femme, Cornélia. Il s’agit d’une allemande. Elle était fan de Joy Division et surtout de Ian Curtis. En 1993 j’ai eu des gens qui arrivaient d’Allemagne, ici à l’hôtel. Ils venaient pour des obsèques. Je leur ai demandé s’ils avaient de la famille ici ? Mais ils m’ont dit que non. Ils m’ont alors parlé de leur fille. Qui s’était suicidée… un dix huit mai… et qui n’était jamais venue à Macclesfield, mais qui avait émis la volonté d’y être enterrée. Près de Ian Curtis. Et elle avait demandé qu’on inscrive cette phrase «Prends ma main et je te montrerai». C’est une histoire étrange, n’est-ce pas? Très triste.»
Pour le moins. Je ne saurai pas si la rencontre entre les parents de Cornélia F. et mon hôtelier est réelle – bien que très probable – ou résultat de sa verve, mais les faits eux sont exacts.
Avant de quitter Macclesfield j’ai tenu à retourner au mémorial. C’est l’endroit de la ville qui me dérangeait le plus. Me procurait un sentiment très contrasté. Cet après-midi là le soleil était revenu. Des jeunes gens et des familles jouaient ou saisissaient la douceur de l’été dans le grand parc entre King’s School et le cimetière de Prestbury Road. Adolescent, Curtis allait faire le caddy au golf de Macclesfield et de Prestbury qui se trouve par ici. Dans une campagne verdoyante, moins austère que les monts de Rainow, peuplée de superbes cottages aux vastes jardins bien entretenus. Ses anciens amis de Joy Division y vivent désormais et circulent en luxueux 4×4 dans les petites routes qui mènent à Alderley Edge.
Avant de quitter ce coin du Cheshire où je ne reviendrai très certainement jamais, j’ai eu ce besoin de dire au revoir à Ian Curtis. J’ai filmé mes pas. Je lui ai dit deux ou trois choses assez simples, dont une que je peux écrire parce qu’elle n’a rien d’intime: Tu as vécu dans un tout petit monde, je crois…?
Macclesfield/Nîmes Juillet/Août 2014. (photos Dark Globe.fr)
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
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