L’extrait de naissance de Tear Talk semblait juste un peu trop roman rock’n roll pour être vrai: des potes, musiciens néophytes, qui, lors d’une virée a Berlin décident de monter leur propre groupe et s’achètent des instruments d’occasion pourris dès leur retour sur Liverpool. Ces origines étaient encore plus difficile à croire après l’écoute de l’excellent « Breathe », leur premier single sorti en 2013 chez Bleeding Gold Records: cold wave minimaliste et anesthésiante sous influence The XX jusque dans la vidéo. Les jeunots ont depuis pris leur temps pour peaufiner pendant six mois dans un studio un EP quatre titres intitulé Ruins.
Alors bien entendu, il parait compliqué voire malhonnête de ne pas évoquer à nouveau The XX lorsque l’on se penche sur Ruins: cette inflexion apathique de la voix, quelque part entre le parlé et le chant, ces squelettes de mélodies, ces chansons joliment effacées comme des ombres musicales jusqu’à l’écho graphique du jeu sur les initiales; une esthétique idoine pour une mélancolie sourde, sèche et hébétée.
Élégiaque, ténébreux, hagard et atmosphérique comme il faut, « Realise », le morceau d’ouverture de Ruins s’affirme d’ailleurs comme le digne représentant de cette tendance. Mais là où The XX avait tendance à tourner en rond dans une formule impressionniste hype, Tear Talk lui préfère une approche plus viscérale et sans doute plus « working class ». « Decades », tout en nervosités, ne se cache pas derrière des ambiances vaporeuses; le regard y est droit, la rythmique en introduction syncope dans un style très Joy Division (avec un tel titre, on n’en attend pas moins) tandis que la voix presque indolente crée un contraste surprenant avec le bouillonnement des instruments.
Car sur ce disque, les songes de chansons ne sont souvent qu’un point de départ vers des fuites en avant, un passage vers des développements dans lesquels l’agitation trouble la surface. Et c’est lorsque le style se démarque d’une langueur hypnotique, sombre et réconfortante que le groupe découvre sa personnalité. « Ruins » s’abime avec bonheur sur des notes d’organe et « Ariel » s’achève sur un déluge de guitares comme un écho post rock.
Mais c’est le chemin pour en arriver à ces conclusions qui enchante. Il existe dans la musique de Tear Talk cette formidable impression d’avancer sans s’en rendre compte, naturellement et imperceptiblement. Et si le final est toujours chavirant, il l’est par rapport à son départ. Il ne se construit jamais dans une perspective aérienne ou grandiloquente mais toujours pour creuser l’intime et l’introspection. Tout nouveau venu de la progression invisible, Tear Talk est devenu le plus jeune spécialiste des voyages immobiles.
[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/playlists/60116025″ params= »auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true » width= »100% » height= »450″ iframe= »true » /]
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.