La porte enchantée d’un monde rêvé.
En ce milieu d’après midi, la rue du Rhône à Roquemaure a quelque chose de paisible et de mystérieux. Le silence de la bourgade sise entre vignobles et plus grand fleuve de l’Hexagone, n’est guère perturbé que par le passage de quelques automobiles sur la départementale. Quand on s’en éloigne, on se retrouve dans des rues calmes dont quelques-unes remontent vers les berges herbeuses, au pied de la digue haute, construction tricentenaire semblable à celles qui protègent la plupart des cités du sud du tumulte des eaux, quand le fleuve vient à s’enrager. Le passant égaré qui se retrouverait par ici, à cette heure où l’activité semble arrêtée, pourrait être alors étonné d’entendre une douce mélopée provenant de l’angle de la rue et de la bâtisse aux portes grises. Celle d’une voix féminine et des notes d’une flûte traversière, flottant sur les arpèges d’un clavier. A l’intérieur, derrière les murs épais, il se passerait quelque chose? S’il jetait un œil par une porte entrebâillée, découvrant une salle aux murs blanchis baignant dans une lumière orangée, il apercevrait alors trois musiciens en train de jouer. Ce passant égaré, il se trouve qu’il existe. Je l’ai rencontré, comme je me tenais dans l’ouverture de la porte du Huit bis, rue du Rhône, à l’origine galerie d’art vouée aux œuvres contemporaines, à présent lieu alternatif présentant des expositions associées à des concerts de musique actuelle. J’ai salué l’homme lui expliquant qu’il s’agissait des Tara King Theory réalisant leur soundcheck en préparation de leur concert du soir. Le promeneur a hoché la tête, il m’a souri et il a eu cette phrase que lui inspirèrent les lieux et le son: « Alors cette porte, c’est la porte enchantée d’un monde rêvé ? ». Je n’ai pas démenti.
Il était une fois.
« Il était une fois » est le nom donné à l’exposition et au concert qui rassemblent jusqu’au 11 avril, les Lyonnais de Tara King Th. et la photographe Virginie Blanchard (Arles). Tout d’abord pour une soirée où le groupe interprètera Hirondelle et Beretta, leur dernier album, paru en 2013 pour le label US Moon Gliph; concert inscrit dans un ensemble plus vaste de réalisations photos et de mini clips, parties intégrantes du projet. Avec l’accrochage What’s happened to Martha? de la photographe arlésienne Virginie Blanchard, ce sont deux histoires racontées. Deux narrations qui se rejoignent artistiquement. Ainsi, des similitudes dans l’esthétique retenue par les artistes, un caractère vintage, doublé d’une poésie indéniable, pour une impression générale de mystère, d’attente et de quête incertaine. Qu’est il arrivé à Martha? Mais où vont donc et que se veulent les duettistes d’Hirondelle et Beretta ?
Tara King th. qui existe depuis une dizaine d’années, est un groupe à géométrie variable. D’abord bercé d’influences trip-hop, il a bifurqué vers une musique pop et psyché millésimée. C’est Arnaud Boyer, compositeur, multi-instrumentiste, également producteur, qui semble aux commandes générales de l’affaire, laquelle paraît l’absorber beaucoup. Quand on parle avec les musiciens, on découvre leur parcours et leurs side projects, tout en comprenant la gestation du travail particulier que constitue Hirondelle et Beretta. Tara King Th, au nom choisi parmi les personnages féminins du so british Chapeau melon et bottes de cuir, a voulu réaliser ici une sorte de concept, devenu objet musical et visuel. Comment les titres de cette histoire roman-photo ont-ils été composés? Arnaud et Josselyn Varengo (claviers) répondent : « Nous avions des chutes de compos accumulées dont nous ne savions quoi faire. Nous les avons rassemblées pour Hirondelle et Beretta. Des riffs jamais utilisés « . Et si on fait remarquer que l’auditeur a davantage l’impression d’entendre des musiques plutôt que des chansons, les musiciens acquiescent : » Certains titres sont courts. On est hors du format habituel. » En développant l’idée et questionnant le rapport entre images (photos, mini clips) et sons, on en arrive logiquement à parler de cinéma. En écoutant les titres d’Hirondelle et Beretta, on pense à une époque et un genre précis: celui des années soixante-dix françaises et italiennes. Ainsi qu’à ceux qui en ont composé les bandes sons les plus pertinentes. A Francois de Roubaix (notamment avec Dernier domicile connu), à Serge Gainsbourg (La Horse en particulier); l’ombre d’Ennio Morricone n’est jamais très loin. Jean Marc Junca (basse) : » Le cinéma a fait beaucoup pour la musique, il y a eu des demandes qui ont obligé les compositeurs à sortir de certains formats. Tu imagines la bande-son d’une scène où deux types se regardent longtemps et ne parlent pas. » On saisit l’allusion. Il était une fois… Film culte. On demande: « Hirondelle et Beretta est un objet-culte? ». Réponse en riant, de Josselyn Varengo : »On aimerait bien. » De notre côté, on pense que l’oeuvre est quoiqu’il en soit ou adviendra, cultivée, et que oui elle est pour le moins l’objet d’un culte. Celui d’une certaine idée de la musique et d’un ses aspects, poussé ici dans le souci et l’amour du détail et du style.
Un Roman photo sonorisé.
Sur les épais tapis de l’espace scénique du Huit bis, on retrouve la basse de Jean Marc Junca, le Wurlitzer et le Korg de Josselyn Varengo et celle dont on n’a pas encore parlé, mais qui a été évoquée au début de cet article, Béatrice Mourel-Journel, Tara King ?, chant, flûte traversière et mini orgue Farfisa. Arnaud Boyer reste à la table de mixage, veilleur attentif. Tous les instruments sont datés (positivement) et typés (basse Hofner 60´s, boite à rythmes sans doute sortie d’un old Curiosity shop) pour une couleur musicale qui s’en voit indéniablement marquée. En écoutant attentivement les notes de basse, j’entends l’écho de celles de « Melody Nelson », les accords du Wurlitzer m’évoquent « The Walrus » du Magical Mystery Tour, pour ne retenir que deux exemples. Au centre du groupe la figure féminine des TKth est la voix de l’histoire et notre guide, dans ce roman photo, course poursuite d’Hirondelle et Beretta. Assise sur un haut tabouret, la chanteuse, peu mobile, se découpe sur le fond des images animées projetées en arrière plan, aux couleurs Polaroïd, qui accompagneront la durée du set de cinquante minutes. Quand on parle au groupe de leur posture physique pour ce concert – neutralité, relatif retrait du corps et de la présence directe – on obtient en réponse qu’ils se mettent au service de l’ensemble constitué. Incarnations discrètes des personnages dont l’histoire est racontée en musique et chansons – textes français et anglais. Ils sont les accompagnateurs des aventures amoureuses (et peu explicites) des deux espions stylisés (forcément) Sparrow et Beretta, lesquels se traquent et s’aiment tout à la fois – roman photo sonorisé à la noirceur imprégnée d’eau de rose nostalgique, dirait-on, d’une époque où d’un genre désuet, d’un monde plus rêvé que réel certainement – la phrase du promeneur égaré (mais l’était-il et exista-t-il même, vraiment ?). En une douzaine de titres tout se déclinera musicalement du registre choisi, mais ne se dira pas pour autant les mots restant parfois en suspens. On retient particulièrement ceux là: « Le matin », « L’hirondelle », « L’envol », « L’enquête », « Drôle d’oiseau », « Vague à l’âme et ses vocalises », « Il en aura fallu du temps »… On pourra regretter que « Mutuelle appréciation », morceau parmi les plus accrocheurs du concept album, ne soit pas joué parce que dit Béatrice: « Nous ne sommes pas arrivés à l’adapter pour la scène. » L’absence de guitare, en effet. Un peu dommage tout de même selon mon humble point de vue.
Applaudissements et bravos de la centaine, dépassée de vingt, des spectateurs qui re-ouvrent du moins différemment leurs yeux à la fin du set, sortant du rêve comme, un peu, on se relève de son fauteuil à la fin d’un film. Et ce dernier mot d’ailleurs n’est pas écrit innocemment, puisque qu’Arnaud et les membres du groupe entreprendraient bientôt une suite plus large à cette première forme d’Hirondelle et Beretta. « Les musiques ont été composées en amont, l’histoire et les images se sont posées dessus. Ce que nous envisageons maintenant c’est de procéder à l’inverse. Réaliser un long métrage avec les bases d’Hirondelle et Beretta, puis composer. » (Arnaud Boyer).
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Il était une fois… Exposition visible jusqu’au 11 Avril, au Huit bis, Roquemaure.
Un accrochage de photographies extraites des clips est proposée en salle 2.
Expo Virginie Blanchard en salle 1- What’s happened to Martha?
Site TKth: http://petrolchips.bandcamp.com/album/hirondelle-beretta
Photographies et vidéo: Jacques Moulin
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.