Le 6 février 2025, Spotify m’informe qu’un nouvel EP de Supergrass vient de sortir. L’objet musical (virtuel) est agrémenté d’une pochette vaguement psychédélique mais accrocheuse pour l’œil: je me précipite! Diantre, aurais-je raté quelque chose ? Gaz Coombes fait une belle carrière solo, est-il à ce point nostalgique de son groupe ?
Mon espoir est malheureusement douché lorsque le titre me saute aux yeux : Mansize Rooster... Cet EP n’est qu’une réédition, selon la formule consacrée « remasterisée en 2015 », de trois (très bons) titres du premier album I Should Coco. Je prends donc un plaisir non dissimulé à (ré-)écouter « Mansize Rooster », « Sitting Up Straight » et « Odd? », mais rien de neuf n’entre dans mes oreilles… Une question se pose, petit à petit : pendant cette écoute, en sentier balisé, je me demande pourquoi cet EP ? Et pourquoi maintenant, en 2025 ? La réponse est d’une simplicité tellement évidente qu’elle aurait dû m’apparaître illico : I Should Coco fêtera ses trente ans le 15 mai et une tournée est planifiée un peu partout au Royaume Uni, ce printemps, pour jouer l’intégralité de l’album et quelques bonus qui vont forcément satisfaire les fans.
Deux constats s’imposent à ce stade :
– La volonté de rejouer des albums intégralement (dans l’ordre pour les puristes), en guise de célébration d’une publication essentielle des nineties (comme récemment nous l’avons vu avec Franck Black).
– Trente ans … pffff!
Si le premier des constats m’interroge partiellement sur la pertinence de la chose : est-ce bien nécessaire d’assister à ce type de concert? A part pour satisfaire un plaisir de fan? Le second me rappelle que 1995 a été une très grande année pour le rock indépendant, porté par l’incroyable presse anglaise et son goût du sensationnel, à l’affût de la découverte hebdomadaire du meilleur groupe du monde. Pêle-mêle, Pj Harvey, Radiohead, Oasis, Vic Chesnut, Elastica, Pulp, The Smashing Pumpkins, Elliot Smith, Low, The Boo Radleys, Sonic Youth, Echobelly, Yo La Tengo et tant d’autres ont contribué à façonner le paysage musical au milieu des 90s, avec des albums majeurs ou annonciateurs de chef d’œuvres à venir.
Et, finalement, c’est bien là que je me rends compte de l’utilité de cet EP de Supergrass . Il vient pour me rappeler que trois décennies en arrière, ces satanés anglais d’Oxford (temple de la société traditionnelle anglaise) ont mis un sacré coup de pied dans l’Angleterre que Tony Blair allait bientôt sortir des années conservatrices de John Major, non sans dégâts. Avec du piano, des guitares, des mélodies imparables, des clips déjantés et des rouflaquettes improbables! Artisans infatigables, avec des groupes venus de toute l’Angleterre, de la révolution permanente culturelle, Supergrass ont apporté une grosse pierre à l’édifice. Pour l’anecdote, je me rappelle ma stupéfaction de faire mes courses dans un supermarché britannique et d’avoir en fond sonore The Stone Roses, The Smiths, Supergrass, Blur, Pulp …Un rêve sonore, improbable en France où nos programmes radios et télévisuels étaient (et sont toujours) sclérosés dans un passé lent à la moindre ouverture. Cet exemple concret du supermarché, montre combien les anglais ont toujours porté haut la valeur musicale, avec une certaine exigence et connaissance. Grâce au NME, au Melody Maker, à Bernard Lenoir ici, depuis mon sud français, j’habitais Sheffield, Oxford, Manchester ou Londres quelques heures dans la semaine.
Les rééditions ont ainsi du bon et se justifient. Mansize Rooster est un retour du passé dans le présent qui lui donne des couleurs ravivées. Merci donc, en ce début d’année, d’avoir réveillé une belle madeleine de Proust, de me rappeler que j’étais dans un temps qui n’est pas perdu, au bon moment au bon endroit. Si vous connaissez mal Supergrass, écoutez et découvrez ce répertoire, porte d’entrée accessible vers cet immense terrain de jeu que sont les 90s. L’herbe en deviendra plus verte, le printemps est en avance.
Élevé dans les contrées bretonnes, biberonné au rock indé anglais sous Tatcher, fan de montagne et de guitares (peu compatible, ce qui n’en fera jamais un guitar hero), amateur de grands voyages et de bon vin, FX aime à partager ses goûts pas toujours objectifs et discutables avec, parfois, un sens aigu et maîtrisé de la mauvaise foi assumée.