Bob Mould est un vétéran, du punk, du hardcore, de l’Amérique anxiogène des 80’s comme de celle, perdue et rageuse des 90’s. A peine remis de la fin sans tambours ni trompettes de son groupe devenu culte Husker Dü (qui oeuvrait justement à la croisée du punk, du hardcore et du… bruit) sieur Mould met sur pieds un groupe qui cette fois mêlera sens mélodique imparable et guitares en fusion, overdrivées à l’extrême: Sugar.
Qui s’est vraiment remis de ce premier album chauffé à blanc, à la pochette et au titre bleu cuivré comme une Stratocaster ramonée jusqu’à l’os, Copper Blue ? Les titres, courts pour la plupart rendent hommage dans un seul et même mouvement au punk ravageur des Buzzcocks (« Un morceau ne doit jamais excéder 3 minutes« , je cite de mémoire, ici certains morceaux de 5 minutes paraissent en durer moins de deux, magie) et à la ferveur mélodique des premiers R.E.M.. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les répétions de Sugar se déroulent dans les mêmes studios que ceux du gang d’Athens sus-nommé. C’est une réussite pour l’auteur, une réussite pour l’auditeur: la rage est si bien contenue (et continue) que chaque morceau appelle le suivant et (ceux qui savent le reconnaîtront aisément ) ad libitum. Les trois premiers morceaux de l’album laissent pantois : « The Act We Act » vous empêche de respirer tant les instruments ne font qu’un, le refrain de « A Good Idea » et sa batterie martiale est si « bon » que l’on passerait à côté des paroles acides : de l’art de cracher sa bile avec classe et précision (cette basse ! Ce gimmick de guitare reconnaissable entre tous! « She said ! She said!« ). Arrêtons-nous sur « Changes » : de quoi est-il question ? D’un tube, en acier trempé.
Tout Copper Blue est à l’avenant et le succès est au rendez-vous : le NME l’élit album de l’année en 1992 et il fait partie des «100 albums qu’il faut avoir écoutés dans sa vie».
Mais ce petit article n’aurait pas de sens sans le EP qui fit suite à cet album : le magistral, glaçant et jouissif Beaster. La tounée qui suit Copper Blue est triomphante mais la rage de Bob Mould, bien que palpable sur scène, reste insondable. Pourquoi un tel déluge de décibels? Pourquoi un tel refus du star system alors que la presse et les fans de guitares telluriques lui tendent les bras? Parce que les blessures sont si profondes, si intimes qu’il faut tenter quelque chose: ce sera Beaster.
EP ou plutôt mini-album jusqu’au boutiste, il sera l’occasion pour Bob Mould de régler ses comptes avec la solitude absolue qu’il semble ressentir depuis toujours dans le monstrueux mur de guitares empli de mélancolie du morceau d’ouverture « Come Around ». Ecouter ce morceau au casque peut changer une vie. Les titres « Judas Cradle », et peut-être plus encore « JC Auto », viennent éclairer la pochette sanglante : la religion est omniprésente et torturante dans la vie de Bob Mould; elle entrave, elle culpabilise, elle tue. Jamais le rock américain n’aura-t-il, avec ses deux morceaux, donné à entendre une telle force dynamique pour contrer les démons intérieurs. Le mix dépasse l’entendement, la folie est à l’œuvre, quel bonheur (!). Jouissif Beaster : de la douleur naît la lumière pour l’auteur et l’auditeur, aucune musique authentique n’est gratuite, elle remue, vous remue. Le dernier titre est « Walking Away », aérien: la paix existe mais, n’oubliez pas, elle est précaire.
Merci Bob Mould, tu peux continuer ta carrière (prolifique et toujours enthousiasmante) en paix.
Né en 1976 (Station to Station!), professeur, lecteur, musicien, skater, papa, ne jure actuellement que par le son clair des Gretsch, à l’affût de toutes les rééditions et boulimique de nouveautés (teintées nineties quand même). Il adore rêver éveillé.