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Live Reports

Sufjan Stevens + Austra – Le Radiant-Bellevue (Caluire), 27/09/15

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Les places sont parties en quelques semaines : annoncé complet, le concert de Sufjan Stevens au Radiant-Bellevue était donc attendu avec autant d’impatience que pouvait présager le succès du superbe Carrie & Lowell sorti quelques mois plus tôt.

C’est Austra, formation canadienne qu’on suit depuis qu’elle a été rejointe par Maya Postepski à la batterie (contrainte à l’époque à quitter Trust, laissant Robert Alfons seul maître à bord), qui accompagne Sufjan Stevens sur l’ensemble de la tournée et se voit donc confier la lourde tâche d’assurer la première partie, devant un public qu’on imagine malheureusement, par un à priori assumé, un peu hermétique à ce que le quatuor s’apprête à livrer. Assise sagement, la salle écoute sans bouger ; un peu déroutant quand on connait la pop éléctronique d’Austra, dont la dimension dansante ne se cache pas – mais le chant millimétré et la voix impeccable de Katie Stelmanis, collés aux titres du dernier album, Olympia, plus lyrique et tourné vers une pop synthétique moins technoïde que ses prédecesseurs (« Home », « Hurt Me Now »), remettent le set sur les rails. On remarque aussi la batterie très présente (charley ouvert et pads électroniques) qui soutient la voix avec une énergie contagieuse. Concert très réussi au terme duquel je reste un peu sur ma faim – même si en regardant autour de moi j’ai un peu l’impression d’être le seul dans ce cas…

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Stevens et son groupe entrent sur scène et livrent en guise d’introduction un instrumental aérien (dans l’esprit de celui qui clôt « Drawn To The Blood » sur le disque), dont l’ambiance pose le décor sonore de la première partie du set qui va suivre : joué dans son intégralité – et à peu de choses près dans l’ordre – l’album Carrie & Lowell et sa folk mélancolique se voient revêtus de nappes de claviers, de percussions discrètes et de lignes de lap steel guitars étirées. Exercice de style remarquable : les chansons parviennent à garder le minimalisme du disque, mais l’orchestration multiplie pourtant leur impact émotionnel (à l’exception peut-être de « 4th of July » réarrangé ambitieusement et agrémenté d’une boîte à rythme trop binaire et métronomique). Le travail sur les lumières (partie intégrante du show !) est méticuleux au possible : images projetées sur de hauts et fins écrans disposés en colonnes, faisceaux pastels multicolores éclairant la scène comme filtrés par les vitraux d’une église. Musique et visuels se mélangent dans une ambiance quasi-religieuse.

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Le chant de Sufjan Stevens, si sa voix est parfois fébrile lorsqu’elle se démarque des chœurs (l’overdubbing vocal est fréquemment utilisé sur ses albums), garde toute la fragilité et la profondeur qu’on aime chez le personnage. Souvent, il entame seul les premières arpèges de ses chansons (« Death With Dignity », « Carrie And Lowell », le monumental « No Shade In The Shadow Of The Cross ») avant d’être rejoint par ses musiciens, qui l’attendent discrètement dans le noir : un batteur intermittent, une belle choriste en robe noire, un grand chevelu et barbu complètement habité par ses nappes de clavier, et un guitariste polyvalent (les trois derniers changent d’ailleurs régulièrement de poste – piano, claviers, chœurs, banjo – tout le monde met la main à la pâte).

Une heure s’écoule, clairsemée d’une émotion palpable (on a vraiment le sentiment d’assister à quelque chose de spécial), alors que le set s’apprête à prendre une toute autre tournure quand Stevens entonne « Vesuvius », revisitant la pop baroque qu’il expérimentait à l’époque d’Illinoise et de The Age of Adz (dont une version réarrangée du titre « I Want To Be Well » viendra un peu plus tard). Sur quatre ou cinq titres, on glisse alors doucement vers d’autres décors, plus pop eux aussi, jusqu’à cet instrumental spatio-temporel près de quinze minutes où vont venir s’entrechoquer multiples fréquences sonores, harmonies vocales et claviers psychotropes : quinze minutes de total délire musical et visuel (deux énormes mirrorballs font tournoyer d’innombrables faisceaux lumineux qui envahissent littéralement tout l’espace autour de nous), au cours desquelles le songwriter perdra visiblement une partie du public, mais convertira définitivement les quelques ahuris qui restent bouche bée par ce final épique (dont je fais partie, NDLA).

Le groupe quitte la scène quelques secondes avant de répondre à l’ovation de la salle et de venir retrouver ses instruments. Davantage que la cérémonie du rappel, c’est presque un autre concert qui commence : lumière blanche, son épuré, Stevens vêtu d’une chemise à carreaux et coiffé d’une casquette de redneck : on semble loin de la mise en scène classieuse et travaillée du set auquel on vient d’assister. Les musiciens sont plus détendus aussi, et c’est la spontanéité qui donne maintenant le ton. Le groupe livre une version sublime de « Sister », suivie par une interprétation généreuse et appliquée de « The Dress Looks Nice On You », « Heirloom » et « Futile Devices ». Cette fois, le chanteur ose s’adresser au public, le remercie et exprime son plaisir de « partager des chansons, des mots, de l’énergie ». Jusqu’à une éblouissante version acoustique de « Chicago » offerte en guise d’au revoir, l’ambiance restera alors légère et chaleureuse, même si l’émotion, elle, est toujours bien présente.

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C’est donc bien à deux concerts que l’on a assisté ce dimanche soir, peut-être l’un au détriment de l’autre au regard de certains (le rappel aura duré une petite demi-heure en tout et pour tout)… Mais la justesse de ton et l’équilibre sont à ce prix : car comment mieux retranscrire la dimension cathartique et la profondeur d’un album aussi personnel que Carrie & Lowell qu’au moyen de ces arrangements symphoniques, et d’une mise en scène totalement dédiée à éclairer la spiritualité du disque ? Stevens aurait-il pu, seul avec sa guitare et sa casquette, honorer la densité et l’intimité de ses textes comme il l’a fait sur la fin de « 4th Of July », scandant « We’re all gonna die » comme pour dédramatiser la mort ? Enfin, comment mieux apprécier le retour à la lumière du rappel qu’après avoir traversé la pénombre de la première partie du set ? Chaque mise en lumière, chaque variation semblait avoir été posée pour une raison précise : c’est en cela peut-être, que Stevens et ses musiciens ont touché la perfection du doigt.

Le premier concert de Sufjan Stevens à Lyon aura bien marqué les esprits, très largement à la hauteur des espoirs qu’il avait suscités : il paraît que même la lune a rougi cette nuit là, parée d’une éclipse totale qui ne devrait se reproduire qu’en juin 2018. Espérons que nous n’aurons pas aussi longtemps à attendre avant le retour du songwriter dans notre bonne vieille ville.

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