On ne connait pas grand chose de Still Corners, si ce n’est que ce tout jeune quatuor londonien fait déjà parler de lui depuis quelques mois suite à quelques singles particulièrement aguicheurs qu’on a pu écouter sur Bandcamp. Après une longue attente c’est sur le label Sub Pop que sort le premier long format, Creatures of an Hour. Le disque a été enregistré au studio de Greg Hughes, compositeur du quartet, avec un soin minutieux: on imagine que le groupe a su prendre le temps qu’il lui fallait.
C’est presque un casse-tête de parler clairement d’un disque empreint d’autant de mystère: si Hugues lui-même préfère ne pas s’étendre sur les thèmes et les significations de ses textes et de sa musique, il laisse entendre que ce premier album évoque de façon récurrente le sentiment de confusion: « Est-ce que je deviens fou? Que se passe t’il? Est-ce que cette personne m’aime aussi?« . Des thématiques déjà quelque peu érodées, c’est vrai (et on a même parfois l’impression qu’il s’agît là du thème commun aux trois quarts des chansons depuis les trente ou quarante dernières années) mais peu importe, ce n’est pas là que réside l’atout de maître de cet album. Au delà de cette confusion « sémantique », c’est d’une sensation délicieuse de vertige, de perte d’équilibre et de repères qu’il est question ici.
Creatures of an Hour semble en effet ne chercher à repousser aucune autre limite que celle de notre imagination – et ce n’est là déjà pas une mince affaire: mais on ne pouvait pas rêver mieux comme parfum d’éther pour jouer à s’enivrer que le timbre frêle de Tessa Murray, souvent à la limite entre chant et soupir, et le songwriting de Greg Hugues – aux apparences trompeuses de simplicité et de minimalisme – pour nous emtraîner dans l’épais brouillard d’un songe demi-éveillé. Car si l’étiquette « dream pop » sied comme un gant aux dix chansons du disque, on y entrevoit aussi et surtout l’élégance épurée et un goût certain pour le travail sur les ambiances, les textures sonores brumeuses et légèrement obscures qui plairont aux amateurs d’Epic45 et de Piano Magic (qui eux-mêmes foulaient encore, il n’y a pas si longtemps, les pas entremêlés de Felt et Dead Can Dance) que nous sommes. La voix de Tessa habille l’écriture de Hugues avec finesse, fragilité et grande classe – en écoutant « Cuckoo », on n’avait d’ailleurs pas été séduit à ce point par une voix féminine depuis celle d’Angèle David Guillou (Klima). Et puis, en filigrane, il y a aussi ces images Morriconniennes (reconnaissables entre mille dès les premiers accords de « I Wrote In Blood » ou derrière l’orgue de « Velveteen ») qui achèvent de donner à Creatures of an Hour son irrésistible caractère: celui de la bande sonore d’un voyage céleste, un vol au dessus de paysages aux couleurs trop vivaces pour être réelles, mais juste assez peu pour laisser planer le doute. Still Corners livre un « debut album » superbe à écouter de préférence la nuit: le plaisir n’en sera que plus durable… et égoïste.
En écoute: « I Wrote In Blood »
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).
[DARK GLOBE]
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