Après avoir longtemps cogné au mur du son avec les Spacemen 3, Jason Pierce voulut découvrir ce qui se trouvait au delà. Pour preuve, l’épiphanie de 1997 par laquelle il nous révélait que (dames et messieurs) nous étions bien en train de flotter dans l’espace… Même épaulé de comparses-argonautes, le pilote de ce voyage spirituel et spatial que représente Spiritualized est toujours resté Jason le Spaceman. Soit un mélancolique héros, longiligne et pâle, âme solitaire contrainte aux explorations lointaines. Il s’en est pourtant fallu de peu pour que la tâche auquel il s’astreignit, ne vienne le submerger.
Il y a six ans Sweet Heart Sweet Light paraissait un aboutissement. Pierce déclarait alors qu’il avait travaillé dur et seul, mais que son challenge était de trouver, en 2012, les collaborateurs qui lui permettraient d’aller plus loin. Dans le cas contraire, il ne réaliserait rien. C’est plus d’une année qui aura été nécessaire au cosmonaute lunaire des Midlands, mais le challenge est gagné. Sans heurt et rien ne fait mal.
And Nothing Hurt (sorti le 7 Septembre) est intense et profond. Neuf titres d’une superbe pop music pleine de notes et de mélodies, dans laquelle s’entendent les couleurs gospel et soul des meilleurs titres de Spiritualized, ainsi que d’époustouflants échos jazz et free. Le songwriting de Pierce, unique et reconnaissable, le place parmi les représentants les plus sophistiqués du rock indépendant. On n’arrive pas par hasard à une telle maîtrise qui sort des sentiers battus. « I’m your man » et « Here It Comes (The Road) Let’s Go » sont deux perles très écrites, évoluant en scénarios. Le tempo lent de la première, orchestrée de cuivres introductifs des refrains, s’ouvre sur un magnifique solo de guitare qu’on imagine joué par les doigts d’un Harrison à son sommet. « Here It Comes (The Road) Let’s Go » est une pure chanson pop aux guitares claires ou sous trémolos, relancées par des contre-chants en arrière plan. « A Perfect Miracle » – qui ouvre l’album par son long texte, d’abord soutenu d’un simple ukulélé puis enlevé par une orchestration qui laisse ébahi – relève du prophétique. Les séquences finales de « Damaged » sont spectoriennes, et « The Morning After » joue un riff et des cordes psychédéliques envoûtées, désorientées par un saxophone affranchi de tout. Ici tout se mêle pour entourer une voix rarement mise en avant, parfois fragile sinon plaintive, qui nous dit en phrase ultime d’un « Sail on Through » de cathédrale: «If I weren’t loaded down, I would sail on through for you». Confession ambiguë d’une charge terrestre à laquelle Jason Spaceman aura tellement tenté d’échapper.
Dépassant les formats déjà explorés, And Nothing Hurt est un très grand album. Supérieur par ses ambitions et ses réussites à ceux qui l’ont précédé. Pierce a pris son temps, avant de laisser tomber sur terre ce qui est une des meilleures productions musicales de l’année.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.