On pourrait dire de Snowman que c’est un groupe qui brûle les étapes, avec tout ce que cela présente de positif – comme de négatif. Surgis de nulle part (ou à peu près, originaires de Perth en Australie ses membres ont émigré à Londres pour donner un peu plus de chances à leur projet) et découverts – pour ma part – il y a environ deux ans avec un premier album (qui en était en fait un second) surprenant de maturité et d’originalité, mariant combustions post punk et classicisme arty, dandysme sombre et grandiloquent, expérimentations aux formes tribales ou gothiques, le tout avec un charme froid et instantané.
Pourtant, quelques singles d’éxcellente facture (dont le superbe « We Are The Plague »), une reconnaissance quasi-unanime et une flopée de concerts mémorables ne suffiront qu’à apporter au quatuor un succès relatif. S’en suit une remise en question qui amènera le groupe, probablement entre autres doutes et raisonnements, à se séparer en début d’année, une fois achevé l’enregistrement de ce disque – Absence – enfanté comme son prédécesseur dans une douleur certaine et évidente. Snowman a cependant pris soin de ne pas se répéter, et si les ambiances lancinantes, anxiogènes, les mélodies de six-cordes tendues et pesantes sont une fois encore au menu, les quatres musiciens se sont prêtés à un excercice de style assez différent de The Horse, The Rat and the Swan, réinventant le coté sombre et énigmatique de leurs compositions en leur ôtant tout motif superflu, les refaçonnant à l’aide d’atmosphères noircies et malades, mélangeant les styles et brouillant les pistes avec la classe d’un Extra Life. L’instrumentation se veut elle aussi étrange, à l’image de ce titre d’intro et de ses voix entrelacées, de « Hyena » et de ses empilages de chant monastiques, ou bien lorsqu’elle se repose sur d’épaisses nappes de claviers aux contours post-industriels, sur fond de BO à la Blade Runner (l’intro de « A », pièce maîtresse fascinante du disque). Les titres d’Absence se déclinent un à un, tissant progressivement le décor d’un cauchemar dans lequel on se retrouve totalement enfermé, attendant avec appréhension la scène finale qui doit abréger nos souffrances ou nous sortir aussitôt de la torpeur: le titre éponyme, achevant ou libérateur selon le sens qu’on choisira bien de lui donner.
On ne devine jamais trop clairement quelle « absence » le titre évoque, mais ce dont on peut être sûr c’est que l’ombre de la solitude et de l’inquiétude plane juste à ses cotés (« Memory Lost »). C’est en tout cas celle de Snowman à laquelle il va maintenant falloir s’habituer, d’absence. Comme un dernier pavé dans la mare qu’ils auraient balancé pour enfoncer définitivement le clou et donner à leur disque un sens absolu dont il n’avait pourtant pas besoin, le groupe a choisi de s’auto-saborder à la veille de la sortie de son chef d’oeuvre. Dans une démarche plus extrémiste, certes, difficile de ne pas penser au livre Suicide d’Edouard Levé, dont l’auteur avait mis fin à ses jours juste après avoir envoyé le manuscrit sus-cité à son éditeur. Si la mort ne fait pas partie des thèmes (en tout cas explicites) du disque, il y est bel et bien question de fin et de déchirure. Cette ombre malsaine fait d’Absence un disque dérangeant et difficile; dire que c’est aussi ce qui lui donne sa beauté et en fait une oeuvre ultime et incontournable, c’est à vous seul d’en juger.
En écoute: « Séance »
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).