Slowdive, ou les rois sans royaume du shoegaze, viennent de sortir un nouvel album le premier septembre. Belle surprise dans une discographie – interrompue plus d’une décennie – qui n’en compte pas tant, faute d’un succès véritable qui tourna un peu le dos à cette formation proche de Ride ou My Bloody Valentine, éclipsée par la déferlante grunge des années 1990.
Formé en 1989 le groupe de Reading mené par Rachel Goswell, Neil Halstead et Simon Scott ( quel batteur!), pourrait pourtant obtenir aujourd’hui avec ce Everything is Alive, la consécration qui lui a trop longtemps été refusée. Soit un succès autre que d’estime, qui dans sa maturité le placerait à sa juste valeur. Cette attente parait aussi légitime que méritée pour plusieurs raisons. Pour la durée de vie du groupe et sa résilience – quand bien même fut il brusquement boudé du public avant d’être tout bonnement viré de Creation records en 1995- , mais surtout par sa capacité à réactualiser sa musique, tout en restant fidèle à des fondamentaux stylistiques, y compris après son retour sur scène de 2014. Les guitares de Slowdive 2023 ont toujours autant de reverb, les séquences de batterie roulent des fills qui nous relancent hypnotisés dans le groove et la voix de Rachel Goswell conserve cette douceur consolante qui convainc de l’écouter jusqu’au bout, ému…
Sur Everything is Alive, on apprécie les synthés modulaires, aux sonorités vintage, dont les premières utilisations par le groupe soulignèrent, entre 1995/2014, l’ambiguïté de l’ambient/folk/country/alternatif de la période Mojave 3, consécutive à l’éjection du label Creation. Les machines reviennent ici avec pertinence – écouter « Skin in the Game » suffit à le prouver. Sur ce nouvel opus, les musiciens mêlent intelligemment les claviers à leurs traditionnelles guitares éthérées, aux mélodies égrainées en mode chromatique, parvenant tout aussi bien que The Cure, pourtant grands spécialistes du genre, à créer ces associations qui parlent à nos capteurs sensibles. Tout fonctionne, teinté par cette mélancolie des anglais qu’on aime encore, bien des années après leurs débuts. L’ensemble évite le déjà vu, sans réveiller un doute ressenti parfois avec Mojave 3, lorsque pouvaient se questionner, ces années là, les choix de musiciens désireux d’un changement mais lequel? Crainte d’auditeur pointilleux, je le concède, puisque l’impression n’eut pas force de preuve et n’engagea aucun diagnostic/ pronostic. CQFD.
A l’écoute de Everything is Alive – beau titre d’album vivant, malgré quelques thèmes endeuillés – on a le sentiment de connaître les Slowdive comme le fond de notre poche. Restriction qualitative? Surement pas. Cet album de fin d’été 2023 fait du bien et ne laisse pas indifférent. On y entend des stimulations nouvelles sur un terrain connu. Une prouesse. Je le redis, Slowdive mérite enfin la consécration qui lui est due en géant du shoegaze, style mal défini il est vrai. Pas moribonds du tout, Neil Halstead et Grace Goswel ne sont pas étrangers à la réussite de ce second lp depuis 2014. Ils ont donné beaucoup d’eux mêmes pour rendre vive une suite d’atmosphères ( « Catch The Breeze » sublime), fruits d’une longue gestation. Sur les huit titres d’ Everything is Alive, le quintet démontre son savoir-faire mais surtout sa grandeur certaine. Evidemment quoi que je puisse écrire et quelle que soit la manière de le tourner, nous ne sommes plus en 1989… C’est un fait. Les jeunes rêveurs éveillés, co-inventeurs du shoegazing dans ces années lointaines, qui regardaient leurs pieds tout en songeant à Siouxie & The Banshees, ont vu passer décennies, déboires et réussites. Ce qui s’appelle une carrière. Artistiquement cela impose le respect et donne accès à une place plus qu’honorifique à celle et à ceux à qui on prédisait début 1990 que » d’ici six mois vous rangerez des caisses chez Tesco ».
« Slowdive pourrait obtenir aujourd’hui avec ce Everything is Alive, la consécration qui lui a trop longtemps été refusée…«
Dans le détail, parmi les huit morceaux enregistrés en deux ans, se détachent assez spontanément
« The Slab » titre rageur et « Kisses », ep accompagnant l’album. Si elles n’ont pas – me semble t- il – la prétention de révolutionner le répertoire du groupe ni le monde de la pop actuelle, ces nouvelles chansons qui planent, s’emportent ou tourbillonnent, sont des points de ralliement fixes que j’entends comme des repères dans le flux de cette autre rentrée. Les cycles du temps n’en finissent pas, reviennent sans cesse même s’ils nous largueront un jour dans le néant – quel qu’il soit. Mais pour l’heure tout est en vie ! Voici des œuvres de quinquagénaires absolument pas hors du coup. Des référents – pas vétérans – qui n’ont rien perdu de leur inspiration, de leur sensibilité singulière et ont acquis beaucoup de maîtrise dans leur art qu’ils signent magnifiquement. Pour le reste, entre les sillons, il faudra que je creuse un peu plus, persuadé que Halstead et Goswel ont semé des perles rares qui me restent à découvrir. Ainsi que très surement dans le jardin de Rachel Goswel, quelque part dans un minuscule village de l’ouest anglais.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.