Dans le temple des labels indépendants anglais se joue presque chaque soir un combat : livrer à une audience avertie et par delà le monde entier, le meilleur groupe du moment. La bataille est rude mais tous les participants s’y jettent avec une envie furieuse d’en découdre et de savourer un moment unique.
En cette soirée d’octobre, au moment où Londres se prépare à fêter Halloween dans la vraie tradition anglo-saxonne, Rough Trade Records East London va produire trois groupes pour un showcase. Notons que votre serviteur réalise un petit rêve en y participant, tant Rough Trade est l’un des fondements de sa culture musicale et plus particulièrement anglaise. Réservation en poche (obligatoire et grâce à l’application DICE), fébrile, je me tiens prêt.
Le quartier mythique de Brick Lane, pas encore totalement gentrifié, a gardé son âme de repère avant-gardiste où se côtoient fripe vintage, restaurants indiens et shops tendance. Après avoir gouté la bière artisanale locale dans le pub en face, le disquaire mué en petite salle de concert (jauge à 300 places tout de même…) ouvre ses portes à la file d’attente qui s’est agglutinée dans le froid humide si typique de Londres.
Les rangées de disques ont été soigneusement déplacées pour faire place nette devant la scène, très bien équipée et l’on peut remarquer une belle quantité de matériel dans la petite réserve attenante. Un ingénieur du son s’active pour effectuer les derniers réglages et accueillir les trois groupes de la soirée : Uzumaki, Phoque et Genn.
Les formats de ces showcases étant calibrés, presque à l’heure dite (petit problème de cymbales), le quatuor londonien Uzumaki composé de deux guitaristes, un bassiste et un batteur, prend possession de la scène. Les looks (mention spéciale au guitariste grimé en Dude) ne laissent que peu de doute au style musical attendu … et les premières notes le confirment immédiatement: du gros grunge directement venu des années 90s. La maturité du groupe est réellement impressionnante pour leur âge. Les morceaux s’enchaînent avec un belle fluidité et le son, bien réglé, nous rappelle que sous l’appellation grunge, se cache un réelle étiquette musicale, qu’il faut savoir ré-écouter. Pour avoir échangé avec le chanteur à l’issue du concert, j’apprendrais qu’ils sont fortement influencés par Pixies, Nirvana et L7, ce dont je me doutais quelque peu … Uzumaki venait défendre sa boutique autour de son nouveau titre « Loserella » et il l’a fait avec talent.
Le temps de faire place nette et le trio Phoque (un batteur, un bassiste, un guitariste) s’installe à son tour et ça sent bon le rock/punk au gros son. Pas d’erreurs, ce trio franco-britannique (trahi à la fin du premier morceau par un « Merci » so frenchy) venu en voisin de St Brieuc, envoie un set tambour battant et remet les pendules à l’heure: le punk c’est fait pour être entendu haut et fort et comme le dit le tee-shirt du chanteur qui sonne le slogan du groupe: « What is Pop Music Anyway ?« . C’est efficace, c’est mordant, c’est énergique et c’est très pro! Petit échange amusant avec l’ingénieur son qui n’a pas bien saisi la nuance entre Phoque et F*ck … Tout juste remis du show, le groupe me dit que c’est seulement leur troisième concert et que celui-ci s’est décidé au dernier moment, sans balances! Belle opportunité saisie de venir se produire dans ce temple et présenter leur EP sorti quelques jours plus tard.
A peine remis de cette déferlante sonore, un autre quator nommé Genn, entièrement féminin, investit les lieux. Nous voilà face à un Riot Girls à l’ancienne, dont l’énergie aide à faire oublier les erreurs de synchro du groupe. La voix frêle et douce de la chanteuse est étonnamment démultipliée lors du chant, tout en puissance et n’est pas s’en rappeler celle de Jehnny Beth. Musicalement, il faudra encore quelques séances de répétitions et de showcases pour que le groupe se cale mieux et fasse honneur à son talent en devenir. Le public connaisseur, ne s’y est malheureusement pas trompé et a rapidement déserté la salle pour aller déguster le café spécial de Rough Trade.
En définitive, cette soirée Showcase a combiné trois de mes plaisirs : de la bonne musique, en live et dans un lieu emblématique qu’est Rough Trade East. Je ne saurais que trop vous recommander ce type de soirée lors de votre prochaine excursion à Londres et de la compléter par un détour un peu plus au sud de la Tamise, au Pub « The Windmill » à Brixton, dans l’antre de Shame et Fat White Family.
Le rock anglais se porte bien et c’est tant mieux !
Élevé dans les contrées bretonnes, biberonné au rock indé anglais sous Tatcher, fan de montagne et de guitares (peu compatible, ce qui n’en fera jamais un guitar hero), amateur de grands voyages et de bon vin, FX aime à partager ses goûts pas toujours objectifs et discutables avec, parfois, un sens aigu et maîtrisé de la mauvaise foi assumée.