C’est assez rare que je ressente l’envie de parler (et d’écrire à propos) d’un concert auquel je viens d’assister il y a à peine quelques heures. Mais les émotions encore fraîches, c’est sans doute la meilleure façon de rendre hommage au concert de Prohom et Fradin qui avait lieu ce soir à la MJC Vieux Lyon (Salle Léo Férré). Un peu comme Dominique A, Prohom apparaît comme un OVNI au milieu de ces pages et de ma discographie. Mais depuis l’album éponyme en 2002, il y a toujours eu dans sa musique, et dans ses textes, quelque chose de sincère et d’unique qui parle à mon moi profond. La formule sous laquelle il se présente aujourd’hui est un duo, piano – guitare – machines avec Christian Fradin, qui l’accompagnait déjà sur l’album et la tournée « Allers Retours ». N’en déplaise à certains, sans doute, il s’éloigne aujourd’hui un peu plus de la scène rock pour privilégier le coté « chanson », se présentant sous un jour intimiste et confident… Mais sans totalement tourner le dos à ses premières amours.
Posons le décor. La salle Léo Ferré est une petite salle de spectacle, une grosse centaines de sièges en velours rouge (parenthèse, on repense à ceux du CNP odéon volés cet été par leur propre propriétaire… lamentable) et une scène qui pourrait à peine abriter une formation de plus de quatre musiciens. Les deux qui montent sur scène pour assurer la première partie se présentent sous le nom « Le Grand Doryphore ». Le duo, mixte, a un coté déjanté – ou plutôt décalé – vraiment séduisant : investissant la scène en se brossant les dents (oui madame) ils utilisent des loopers , d’une façon certes de plus en plus « orthodoxe » de nos jours, pour enregistrer bruits, frottements, cliquetis, et les amonceler en tas de sables mélodiques, jouant autant d’une mise en scène un peu grand-guignolesque que de leurs talents de composition. C’est plutôt super en place, malgré quelques tout petits écarts subtils (on leur pardonne volontiers, j’apprendrai un peu plus tard qu’il s’agit de leur première représentation et qu’ils n’ont pu répéter ensemble qu’en deux occasions – et à ce sens leur prestation fut des plus honorables). Certains des titres dégagent un véritable charme, le dernier notamment, qui ferait presque regretter que la voix féminine du duo soit si peu mise à contribution sur les autres. A suivre (je ne vous donne pas le myspace, je n’en ai pas trouvé).
Montant sur scène sur un extrait envoyé en intro, le duo Prohom semble déjà plus assuré que lors de la dernière répétition publique à laquelle il nous avait convié en mai dernier dans un petit troquet croix roussien, et même qu’aux Trois Baudets (dont on peut toujours voir le concert en video ici). Pas grand chose à voir ce soir, une résidence de trois jours au marché gare est passée par là et un travail substantiel sur les machines se constate déjà. C’est sur le deuxième titre, « La Vie Sans », qu’on se rend compte de tout ce que cette nouvelle formule a à offrir : la couleur des machines, nuancée avec celle de l’interprétation résolument « unplugged », amène aux chansons le relief et l’énergie scénique qui auraient pu leur faire défaut autrement ; pendant un peu plus d’une heure trente, se succèdent les chansons réarrangées des trois premiers albums, de nouveaux titres et puis toujours ces petites interactions artiste / public pleines d’humour entre les morceaux. C’est pas grand chose, ce truc-là d’ailleurs, on est pas devant un one-man show non plus – mais on a pas toujours l’occasion de rire ou sourire à un concert de rock – et en l’occurrence de chanson. Avec Philippe Prohom et ses vannes on a un peu l’impression d’être chez un vieux pote et c’est très bien comme çà.
Mais revenons à nos moutons. Si les textes de Peu Importe n’ont rien perdu de leur véracité, leur beauté, ou leur pertinence – selon les cas – et si la réécriture des anciens titres pour les adapter à cette nouvelle configuration n’ôte rien à leur charme, ce sont vraiment, à mon sens, les nouvelles chansons qui forment le ciment de ce nouveau spectacle. Difficile de dire si c’est parce que le piano est arrivé sur une partition vierge et n’a pas eu a « s’imposer », ou si c’est parce que les textes et instrus de « La vie sans », « Isadora » ou « Mon âme or » sont tout simplement magnifiques. Seul petit regret au terme du spectacle – si le set se déroule maintenant, dans les propres mots du chanteur, « comme du papier à musique » (« Vous avez vu hein? C’est bien foutu! »), les machines et les parties electro – omniprésentes – étant envoyées, on trouve par quelques rares instants le duo comme prisonnier de ces pistes enregistrées. La plupart du temps, comme sur la partie instru qui termine « De Face » notamment – la présence du chanteur et l’aisance de son pianiste suffisent à faire oublier cette malheureuse contrainte (Prohom n’en est pas à son premier essai avec la programmation). Mais la petite configuration de la salle, places assises, rend l’exercice un peu plus périlleux. On se rendra compte au marché gare dans deux mois si une salle plus grande, public debout, laissera percevoir le travail du duo sous un nouveau jour. Pour l’heure, c’est un superbe moment de musique et de chanson que nous offre Philippe Prohom avec Christian Fradin, loin du tumulte des concerts rock de ses débuts, mais non moins remplis de sens. Un moment simple et atypique, émouvant et plaisant, au cours duquel on se sent privilégié de faire partie du public. Et un public, ça aime bien, se sentir privilégié. Merci encore monsieur Philippe Prohom, et bonne route…
Photos : Stéphanie J.
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).