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Insight

Pink Floyd, Sapporo, Japan broadcast 1972 : on a marché sur la lune

Oldies but goldies? Voici , en effet, un enregistrement qui ne remonte pas à hier. Et « Pink Floyd n’existe plus » , répond avec un sourire en coin David Gilmour quand on l’interroge sur ce sujet. Et bien sûr, le rock prog a été balayé en 1977 par la vague punk, etc etc… C’est loin. Je sais.

Pourquoi donc parler d’un vieux concert de Pink Floyd au tout début des seventies ? J’assure que le temps n’est pas ici un critère. C’est l’histoire qu’il faut regarder. Mais pourquoi s’intéresser particulièrement à ce live du Floyd à Sapporo en 1972, me demanderez vous encore? Que peut on bien en faire aujourd’hui ? A moins d’être fan ou nostalgique d’un son et d’un temps, la chose ne peut-elle paraître anecdotique? C’est possible. Mais ne trouve t- on pas anecdotique tout ce à quoi on ne sait porter suffisamment attention? Et quand il est question d’art, il en faut. Alors voyons plutôt notre sujet dans le détail. La vue au microscope deviendra certainement macroscopique.

La première visite au Japon des quatre anglais date de 1971. Le Pink Floyd existe depuis 1966, et il est en passe de devenir une des formations les plus importantes de la nouvelle décennie. Lors de ce premier séjour très loin d’Albion, le groupe participe à deux festivals puis donne un concert de plus petite envergure. Ces trois dates suffisent pour lui assurer un réel following au pays du soleil levant. Et l’audience y est particulièrement attentive.

A ce moment là, les quatre Pink Floyd qui ont vingt cinq ans de moyenne d’âge sont à un tournant de leur carrière. Pas forcément facile à négocier. La fulgurante période Barrett , pop et psychédélique, est derrière eux, une transition s’est opérée et Waters amorce sa prise de leader ship. Des albums psychédeliques, prog et expérimentaux ont été réalisés : Atom Heart Mother, Meddle notamment. Les musiques des films More et Obscured by Clouds ont représenté des expériences intéressantes, mais les rockeurs progressistes veulent aller vers autre chose. Ceci fait, entre autres raisons, tout l’intérêt de ce disque lequel est en relation avec ce point particulier. Les musiciens en 1972 ont les moyens de leurs ambitions. Ils en ont les compétences, en tant qu’instrumentistes, en tant qu’artistes. Cependant aller vers quoi ? Rien n’est jamais totalement explicite quand on sent venir l’heure d’une autre étape. Roger Waters apporte la clef. Ce sera celle de l’élaboration d’un song writing ambitieux, parfois impressionnant qui restera typique, sinon inégalé pendant toute une décennie. Dark Side of The Moon va ainsi bientôt devenir une pierre d’angle du répertoire floydien. Il vient d’être composé et écrit dans ses grandes lignes au début de l’année. L’album – par contre – ne sortira que quatorze mois plus tard, le 1er mars 1973. Preuve que du temps est encore nécessaire ( dont celui de l’enregistrement) et qu’au sortir de l’hiver 1972 quelques paliers restent à grimper pour le plein envol floydien. La scène en est un. Le groupe va y expérimenter ses nouveaux titres. Très peu de temps après la composition du corpus musical, au tout début du printemps, une tournée est organisée. Elle emmènera à nouveau les anglais vers le Japon.

Six dates sont programmées au mois de mars, deux à Tokyo et deux à Osaka, auxquelles s’ajoutent celles de Kyoto et de Sapporo. C’est sur cette tournée que le Pink Floyd fait véritablement entendre pour la première fois des versions entières de l’album à venir. Elles permettront de nécessaires ajustements. Un des intérêts du disque se trouve dans leur découverte et leur écoute. Des extraits ont été joués en janvier, dans le cadre d’une tournée anglaise qui a culminé avec la prestation du London’ Rainbow Theatre. Cette dernière date a donné lieu à une véritable prise de risque pour le « travail en cours », puisqu’elle fût la toute première présentation de Dark Side of The Moon dans son entièreté. L’accueil du public et de la presse réunis pour l’occasion a été plus que positif. A partir de là, Pink Floyd devait marcher sur la lune ( ou sa face cachée pour être exact).

Février oublie temporairement Dark Side , consacré à More commandé par Barbet Schroeder. Une parenthèse dont les sessions se tiennent en France aux célèbres studios d’Hérouville de Michel Magne qui accueillent les grands noms du pop rock. La bande son du film tourné à Ibiza a de belles qualités, cependant l’affaire d’importance se situe toujours ailleurs. C’est au Japon qu’elle va reprendre place, avec le rodage en live de ce qui est à présent désigné par son nom, chaque soir joué en entier différence majeure des dates anglaises. Les Pink Floyd débutent leur tournée à Tokyo le 6 mars et la termineront le 13 à Sapporo. La set list est composée par tous les titres de « Dark Side », joués dans l’ordre exact, pour une durée totale de quarante minutes. Waters, Gilmour, Wright et Mason y ajoutent de longues pièces telles que « One of These Days », « Careful With That Axe Eugene »( déchiré par son cri primal et son avalanche de guitares et de batterie), « Echoes » masterpiece de Meddle, toutes ces pièces déjà iconiques faisant chacune plus de dix minutes. On imagine l’ambiance de concerts qui ont tenu de l’exceptionnel !

Le set de Sapporo, donné au Nagazhima Sports Center, est retransmis sur les ondes japonaises. Il est considéré comme le show le plus réussi de ces six dates. Le groupe joue avec beaucoup de modulations et de subtilité. Il y a une souplesse certaine dans les interprétations de ces titres qui , un an plus tard, marqueront définitivement l’histoire du rock. Quelques passages sont joués dans des tempos légèrement plus lents, ce qui ajoute une impression de mystère et d’intériorisation du propos. Le Floyd ne délivre pourtant pas un message net ou clair, ne revendique rien. Il fait objectivement de l’art. C’est toute son ambition, en utilisant les moyens du rock. Ce qu’on entend pourrait illustrer la fameuse phrase de Nabokov , donnée dans une interview d’un vieux magazine Playboy : « L’art n’est jamais simple et sincère. Quand il atteint des sommets, l’art est fantastiquement trompeur et complexe ». En ce sens, cet enregistrement -témoignage est une aubaine. Il démontre les possibles de la musique rock, quand elle s’en donne la peine en dépassant la production de riffs pulsions et d’énergies posées sur un rythme. Les Floyd ne renient pas une seule seconde le rock mais considèrent la possibilité sur ses bases d’un langage sophistiqué , sensible et percutant.

Après ces six dates, le groupe ne retournera au Japon que quatorze ans plus tard. La tournée de mars 1972 reste un moment fondateur de son histoire musicale, qui fût nécessaire à la mise en place d’un album majeur. De juin 1972 à janvier 1973 le groupe s’enfermera à Abbey Road pour enregistrer ce qui a été testé , affiné, affirmé sur scène.

Uniquement disponible en bootleg, le concert de Sapporo est sorti officiellement en juillet 2023. Il était temps de parler de cette pièce maîtresse, écho lunaire du rock en train de se faire.

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