C’est ce qui pourrait ressembler à un renversement des valeurs. Dans un monde où tout se nivelle. Jusqu’où ? Ainsi Patti Smith, musicienne, auteure et poétesse new yorkaise, influente depuis les années 1970, ouvre t- elle la soirée du 19 juillet aux arènes dans le cadre somptueux du Festival de Nîmes, pour le ( certes) très respectable Etienne Daho, devenu gloire hexagonale (adoubé par les artistes de bon goût) depuis ces eighties frenchy but chic où il nous narra ses aventures de week-end romain… N’aurait on pas imaginé l’inverse ? On se souvient et on frémit alors, se projetant rétrospectivement dans le mitan lointain des années 1980…
La loi du marché a ses règles. C’est évident. Mais n ‘enlevons pas à qui de droit ce qui lui revient. Car Daho ( indéniable star du soir) a tenu son affaire et a réussi avec élégance, talent et savoir-faire, la conduite d’une aventure artistique tout à fait digne. Daho fût Dahesque. Cependant reste une question : en quoi a t- il modifié l’ordre établi, les formes de l’art? Par des gestes et actes qui pourraient justifier sa place sur la première marche. Cherchez….
Patti Smith, septuagénaire toujours rock et mordante, c’est une autre histoire. Très convaincante, à 77 ans , l’américaine tient toujours un discours engagé. Patti épate ! Au travers d’elle on a connu l’émergence de la contre culture post années 1960, on a entendu les riffs proto punks du CBGB ( NYC). L’artiste a accompagné les mouvements d’émancipation de la femme et d’autres minorités, puis a dans sa maturité revisité Rimbaud, écrit et pris position à sa manière d’artiste. Elle a su à son heure , ce que voulait dire « jouer du rock and roll « . Smith et son groupe, c’est du vrai son, direct, avec des guitares dedans. N’est-cepas ce que nous voulons en fans d’indépendance ?
Chez Daho, avec style certes, on a recyclé. Il accélère le tempo et dénature ces titres qui, à l’origine, furent des monuments pour leur temps. Quand bien même la chose est elle faite avec conviction, on se dit que certaines orchestrations sont taillées pour le « goût du moment ». Sommes nous intéressés en regard de nos propres exigences ? Pas certain. Alors ?
Le festival de Nîmes est un faux festival, c’est une évidence. C’est une très grande scène pour très grandes vedettes, qui anime chaque été le cœur de la Rome française et rapporte à l’économie locale. La soirée du 19 juillet était sans doute, parmi celles de la programmation, une date des plus intéressantes de la saison 2024. Une chose claire en résulte: la loi du marché ne place plus la poésie rock avant l’entertainement. Une nouvelle fois, nous avons la démonstration de l ‘intrinsèque relation entre musique rock et capital. Nul n’en doutait. Le show prend le pas sur le poème. Les utopies ont pris fin en 1969 à Altamont. C’est acté par un coup de flingue et la fuite anxieuse et impuissante des Stones en hélico backstage.
Est-ce une pitié ( ou pas? ). Décidez selon vos croyances et critères esthétiques. Mais il n’y eut pas de rappel pour le set du Patti Smith Quartet. Par ailleurs un peu moins fougueux ( c’est logique) que ce qui fût donné par le passé, il est vrai. Moins immédiatement mordant, moins produit avec moins de son que Daho , ok, ou que moults groupes actuels. Il n’y a pas photo. Les temps changent. L’effet sonore en 2024 a cet impact qui peut primer sur un contenu, quand bien même la forme et l’enveloppe font elles parties du contenu, comme le cadre du tableau. Mais quid d’une échelle des valeurs, de certaines hiérarchies ou verticalités également? Nous ne sommes plus dans un monde de poètes. Mais nous n’y fûmes jamais. Je le concède. Quant à Daho ( tout de même tête d’affiche du soir) , et bien voilà : Etienne vaut mieux que deux tu l’auras.
« People have the Power« …Vous croyez ?
photo mise en avant Jean Claude Azria ( Objectif Gard). Video Lionel Bec / Sugarcane ( Youtube)
Report établi en collaboration avec François Dufour pour Dark Globe.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.