Sorti le 27 octobre 2023, l’album Bauhaus Staircase, annoncé comme quasiment testamentaire par Andy McCluskey (cofondateur du groupe avec Paul Humphreys) comporte tout ce que l’on attend généralement d’Orchestral Manoeuvres in the Dark : influences « kraftwerkiennes » (« Bauhaus Staircase » / « Anthropocene » / « Don’t Go » / « Evolution Of Specie »s), compositions synthpop accrocheuses (« Look At You Now » / « G.E.M. » / « Kleptocracy » / « Aphrodite’s Favourite Child » / « Slow Train ») et ballades (« Where We Started » / « Veruschka » / « Healing »).
OMD use de recettes que nous ne renierons pas – et qui rendent le groupe immédiatement reconnaissable, telles ces nappes de chœurs qui remontent à 1981, période « Joan of Arc » – toutefois, il manque un zeste d’audace (à la manière de l’album Dazzle Ships, 1983, ou plus récemment avec « La Mitrailleuse », 2017) pour faire de Bauhaus Staircase un album parfait, au demeurant servi par une production impeccable.
Mais alors, si c’était pour ne prendre aucun risque, qu’est-ce qui a motivé OMD à travailler à un nouvel album après six ans de silence ? S’agissait-il seulement de briser l’ennui du confinement pendant la pandémie de Covid19 ? Certes, McCluskey a déclaré avoir mis, durant cette période, son oisiveté à profit pour achever des titres inédits et y ajouter de nouvelles compositions proposées par Internet à son acolyte Humphreys. Mais une telle explication serait un peu courte… Alors, qu’en est-il de cet opus ?
Nous pensons tenir la réponse dans la pochette de l’album : Bauhaus Staircase fait figure de manifeste politico-esthétique par lequel OMD paraît vouloir achever son parcours.
A première vue, les barres qui ornent sobrement la couverture sont un histogramme statistique. Elles évoquent l’idée de croissance démographique et économique infinie, que notre société industrielle et consumériste s’évertue à porter à bout de bras, à coups de développement « durable » et autres arguments pseudo-écologiques, sans voir le risque d’épuisement final du système, faute de ressources naturelles pour l’alimenter. C’est pourquoi, sur la pochette, la dernière barre de l’histogramme est rouge, signe que la cote d’alerte est d’ores et déjà atteinte.
Fort de ce constat, OMD aborde franchement la question de l’avenir du genre humain dans « Anthropocene », menacé de disparation totale dans un avenir plus proche qu’on ne pense. Cette perspective importe tant à OMD que ce titre devait initialement donner son nom à l’album.
Ce thème est également présent dans « Evolution of Species », qui se conclut par le mot terrible d’extinction, prononcé par une voix ressemblant à celle de l’ordinateur Hal lors de son débranchement dans « 2001, l’Odyssée de l’espace ».
Le versant politique de cet «album-manifeste » est complété par le titre « Kleptocracy », réflexion sur la nature réelle des régimes politiques de nations qui se veulent démocratiques (on vous laisse deviner lesquelles…).
Revenons à la pochette, clef de toute l’affaire : il suffit de la faire pivoter d’un quart de tour pour voir que l’« histogramme » est en réalité un escalier (ce que révèle parfaitement la pochette du single « Bauhaus Staircase » ci-dessous).
Cet escalier a été inspiré au concepteur de la pochette, l’artiste et professeur d’art liverpuldien John Petch (déjà auteur du visuel de Punishment of Luxury en 2017). A l’origine, il s’agit d’une oeuvre d’Oskar Schlemmer, intitulée « Bauhaustreppe » (1932), qui représente la cage d’escalier de la célèbre école d’art créée par Walter Gropius.
Le « manifeste politique » tourne alors au « manifeste esthétique » : en opérant cette simple rotation, OMD nous invite à modifier notre optique, c’est-à-dire notre approche du problème. Dans « Evolution of Species », il est souligné que « l’extinction d’une espèce crée une opportunité pour une autre ». OMD nous annonce que si l’humanité est vouée à disparaître, elle cédera la place à une autre espèce, qui n’est pas nommée. OMD ménage le suspens, mais laisse entendre que viendra le temps d’une autre intelligence sur Terre. Rien n’exclut que cette intelligence restera humaine, mais d’une humanité « augmentée » spirituellement plutôt que matériellement.
C’est en privilégiant une vision esthétique du monde, et réconciliée avec son environnement, que l’espèce humaine se succéderait à elle-même, sans nécessairement recourir à d’illusoires artifices (voir notre article en rubrique « Insight » sur les rapports critiques d’OMD avec la technologie : https://www.darkglobe.fr/omd-synthpop-et-cravate-club/).
Eh oui, les amis, il suffit (peut-être) d’incliner la pochette d’un quart de tour pour tout changer !…
Prêts ? Tournez !
Mon nom est « Personne », en portugais « Pessoa », tel le Lispoète « immobilis in mobili ». Telle devrait être la devise du Nautilus, puisque pour voyager, « il suffit de fermer les yeux » (L. F. Céline). Et ouvrir les oreilles, ce que je fis de prime jeunesse avec les paternels 45 t. des Shadows, suivis du déclic-klang Kraftwerk en 1978, puis vint 1983 : découverte de Joy Division, Marc Seberg… Puissé-je de temps en temps refaire surface ici et vous ouvrir mon carnet de bord.