En 1971 Nursery Cryme est le troisième album studio de Genesis. Son titre est un jeu de mots avec « Nursery Ryhme » qui, bien loin de l’idée de crime, désigne les berceuses britanniques chantées aux tout jeunes enfants au XIX siècle par leurs nourrices ou leurs mamans attentives. Nous verrons combien ce titre fait sens avec l’album et tout particulièrement avec « The Musical Box » , pièce maîtresse qui débute la face A d’un disque essentiel du rock anglais.
Genesis en 1972.
Nursery Cryme correspond au moment de sa carrière où Genesis connaît un changement de personnels qui ne reste pas sans conséquences notables. Deux membres s’en vont, laissant leur place au guitariste Steve Hackett et au batteur et vocaliste Phil Collins. Le quintette est renouvelé mais aussi enrichi. Le jeune Phil Collins complète la voix de Peter Gabriel, front man et performer hors pair, tout en offrant de plus un possible second chanteur de belle qualité. La guitare d’Hackett, virtuose et amateur d’effets – dont la pedale fuzz- libère Tony Banks aux claviers, qui n’a plus à se soucier d’imiter des chorus de guitare. Mike Rutherford se concentre sur les séquences de basse – avec pédalier et guitare Shergold-, ainsi que sur celles de guitare rythmique pour lesquelles il utilise une douze cordes riche en harmonies. Le groupe est alors dans une de ses meilleures configuration. Il le restera pour Foxtrot , Selling England by the pound et le célèbre The Lambs Lie down on Broadway en 1975, albums qui vont suivre et asseoir la notoriété du groupe. Ceci jusqu’au départ de Gabriel à la fin de la tournée promotionnelle de ce dernier album.
Nursery Cryme est enregistré à Londres, aux studios Tridents dotés de superbes équipements. La table seize pistes satisfait les ambitions du quintette de rock progressif, amateur d’ envolées lyriques et de longues pièces musicales. Le mois d’août 1971 est consacré aux sessions, pour une sortie prévue en novembre sur le label Charisma. Ce dernier, fondé en 1969, propose sur son catalogue les groupes et artistes Nice, Van Der Graff Generator , Hawkwind, Peter Hammill, Alan Parsons Project, entre autres, tous inscrits dans la vague progressive qui se développe et émerge en Angleterre après le psychédélisme de la fin des sixties. Les musiciens de Genesis y diffuseront également leurs albums solos des années 1980 jusqu’à ce que le label soit repris par Virgin.
Peter Gabriel sur scène en front man performer
Nursery Ryhme qui n’est pas encore le disque d’un groupe très connu à sa sortie, est caractérisé par l’alternance de longues pièces musicales dont « Musical Box », « The return of the Giant Hogweed » et « The Fountain of Salmacis » qui clôture le disque . Les trois titres sont séparés par des balades plus courtes. Ils sont les pierres d’angle d’une œuvre dont l’ atmosphère générale est particulière. Cette impression d’ étrangeté qui domine l’ensemble sur une quarantaine de minutes, n’est évidente ni à cerner ni à définir. Elle a pu dérouter critiques et public à la sortie du disque. Si on l’examine de près, on observe le mélange d’une musique ambitieuse , d’influences venues du classique mais aussi du folk anglais. Nursery Cryme est d’autre part, du moins me semble t-il, un album éminement britannique qui tient compte d’un héritage. On y trouve des éléments culturels littéraires, musicaux ou folkloriques particulièrement typés et précieux . Ils ne peuvent être connus que de jeunes gens qui ont fait un certain nombre d’études et passé du temps dans les vénérables établissements scolaires britanniques…Ce qui est le cas des membres de Genesis, dont la moyenne d’âge n’est toutefois que de vingt et un ou vingt deux ans à ce moment de leur histoire commune. Mais chaque groupe est aussi le reflet d’un milieu social.
Il y a beaucoup d’ambiguité dans les titres co-écrits. « The Musical Box » en est l’exemple le plus marquant, avec son développement de séquences sur plus de dix minutes.
Le disque ne va pourtant pas séduire immédiatement le public prog,quand bien même est- il intéressé, en ce début des années 1970, par les sophistications musicales et les réminiscences culturelles mêlées au rock. Genesis attendra ainsi trois ans avant l’entrée de l’album dans les charts. Le groupe, sous sa nouvelle forme, est il trop complexe? Trop ambitieux ? La question ne se pose pas aujourd’hui , mais à ce moment là le public n’était pas encore tout à fait prêt. Il faut l’admettre. L’adhésion ne se fit pas. La reconnaissance de Nursery Cryme viendra lorsque le succès de Genesis explose après 1973. Cet envol du groupe est remarquable au travers du live enregistré et publié la même année. C’est en effet en concert que la musique de Nursery Cryme prend toute son ampleur.
Album Live 1973
En ce qui concerne l’album et l’organisation des sept pistes, l’alternance de titres longs et de balades plus courtes permet un impact plus fort pour les trois titres structurants . »For Absent Friends », placé en piste deux, ne dure qu’une minute quarante. Il est chanté par Phil Collins âgé de seulement vingt ans, aussi bon batteur que percussionniste. Il avait travaillé avec George Harrison un an plus tôt ( All Things Must Pass ) , diplômé en direction d’orchestre il est un musicien accompli et un très bon chanteur solo. Son registre en complétant celui de Peter Gabriel, apporte de la profondeur aux parties vocales du nouveau Genesis. Après les dernières mesures du final de « Musical Box » qui cogne très fort, « For absent friends » se trouve à la place idoine pour faire redescendre la pression . Les guitares douze cordes de Rutherford, les arpèges de cordes, constituent un accompagnement très agréable, fait d’harmonies qui évoquent un folk maniéré et stylé, en opposition aux folk singers américains. Nous sommes loin du blues ou de la country. Loin aussi des protest songs. Le domaine de Genesis 1972 est celui de l’imaginaire et il construit son univers avec ce nouveau disque studio.
La formation prog plonge dans la tradition anglaise avec délice. « Harold The barrel » deuxième chanson la plus courte, est dominée par le piano de Tony Banks et le chant narratif de Peter Gabriel. Elle narre la curieuse histoire de Harold la Barrique, patron d’auberge s’étant coupé les orteils avant de les servir à l’heure du thé! Un vrai délire…Le personnage est poursuivi par l’opinion publique et diverses figures d’autorité de la société civile. Son acte est jugé fou – ce qu’il est effectivement-, l’homme dangereux, qu’on retrouve au dernier couplet prêt à sauter du rebord d’une fenêtre n’écoutant que fort peu les suppliques de sa mère de 67 ans , précise le texte, appelée à la rescousse . Le titre est évidemment une peinture sociale caricaturale, tout autant qu’une farce pleine de bouffonnerie. Musicalement on pense aux Kinks, avec leurs concepts albums qui suivirent la furie de leurs débuts. Bref, là aussi Genesis est indéniablement so british ! « Harlequin », à nouveau chanté par Phil Collins, est proche de « For Absent Friends », balade folk au texte obscur, néanmoins dans l’air du temps qui évoque Fairport Convention ou Jethro Tull.
« Seven Stones » a une structure plus charpentée, et la chanson se termine avec une envolée lyrique caractéristique du Genesis du début des années 1970. La dimension théâtrale est apportée ou plutôt renforcée, par le chant et les expressions de Peter Gabriel. La flute traversière du front man propose des mélodies, comme autant de digressions aux motifs principaux. Elles sont un lien mélodique parfois empreint de mystère, entre les nombreuses séquences de chansons qui n’ont rien de basique.
Mais je voudrais maintenant en venir à « The Musical Box », titre phare de l’album , que Genesis reprendra souvent en live, joué en entier ou cité dans des medley. Ce titre raconte une bien curieuse histoire. Une fable effroyable et surréaliste, dont la musique joue sur des contrastes d’un bout à l’autre. C’est un mélange inquiétant d’une ambiance enfantine , d’un meurtre horrible par décapitation lors d’ une partie de cricket, puis du retour d’un fantôme via l’air joué par une boîte à musique , laquelle est enfin détruite pour éloigner à jamais ce qu’on ne veut pas voir mais surtout ce qu’il ne faut pas voir. Il y a là de quoi terrifier les auditeurs. Tout cela sur fond de paysage anglais qu’on imaginait paisible et verdoyant, à l’instar de la pelouse colorée de nuances vertes sur l’image réalisée pour la pochette de l’album. Sauf qu ‘on y observe au centre une fillette figée, le regard fixe, jouant au cricket avec des têtes arrachées roulant au sol sur cette même pelouse si impeccablement entretenue. En arrière plan une nurse, vêtue à la façon des employées de maison de la fin du XIX ou du début du XX eme siècle, se hâte vers la scène de premier plan, juchée sur une étrange paire de patins à roulettes. C’est le monde d’Alice au pays des merveilles en version cauchemardesque. Genesis avance dans un labyrinthe d’images tortueuses, ainsi que dans une possible critique camouflée des conventions ou rituels d’une société d’apparence si bien réglée . Si le propos est peu banal parmi les textes et sujets habituels du rock, la forme est tout aussi originale. En cela le morceau est exceptionnel.
En 1971/72 les textes comme les musiques, sont cosignés par tout le groupe. Il y a osmose dans ce nouveau quintette qui monte en puissance créative grâce à Hackett et Collins. Cette ascension va durer quatre ans encore. Avant le départ de Peter Gabriel qui ambitionne une carrière en solo et laisse Genesis aux mains des autres musiciens, sinon de Phil Collins en particulier.
« The Musical Box » est un chef d’œuvre, bien que peu remarqué à sa sortie. Les raisons de sa sous-estimation relèvent probablement d’une production insuffisante de tout l’album, réalisé avec un budget réduit. On s’attendrait effectivement à un mixage tout autre, alors qu’ il y a une sorte d’uniformité du son qui ne colle pas aux structures changeantes des trois pièces maîtresses de l’album. De mon point de vue la production de John Anthony, également aux manettes de Trespass , faute de moyens, est en dessous de chansons qui auraient dû exploser sur disque. Embauché par Charisma, Anthony travaillera plus tard avec Queen, Peter Hammill ou Roxy Music , devenu une cheville ouvrière des studios Tridents. En 71, âgé de 24 ans, il n’a peut-être pas acquis l’epaisseur nécessaire pour la tâche qui lui est confiée? Et Genesis n’a pas toute l’expérience voulue.
Quoi qu’il en ait été les chansons vont prendre vie sur scène, quand le groupe se déploie et joue à fond sur les oppositions qui structurent ses titres. De la batterie aux chorus de guitare et au chant tout gagne en relief . Les réinvestissements studio viendront très vite pour les albums qui vont suivre.
En 1971 Genesis est au premier tournant de ce qui sera une très longue carrière. Né à la toute fin des années 1960, le groupe anglais deviendra cette formation majeure de la décennie 1970 que nous connaissons tous, que nous apprécions ou pas le rock progressif. Nursery Cryme est un album fondateur. Il pose certaines des composantes d’une musique encore en devenir . « The Musical Box » est un des premiers sommets du rock progressif, pièce intrigante, saisissante et rageuse à la fois. A écouter absolument.
Genesis ou une révolution victorienne.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
Paul
Dès les premiers coups de batterie sur Musical Box, Colins démontre déjà toute sa classe et l’immense batteur qu’il sera plus tard, il est un de ceux qui ont créé ce jeu de batterie avec Bruford et Michael Gilis .cet album est fondateur du rock progressif , Genesis avec Yes , King Crimson, Van der Graff et Caravan ont créé une musique des plus creative et complexe de cette fin du vingtième siècle , et ils ont ouvert la voie à des groupes comme Rush,Marilllion , IQ , Transatlantic et bien d’autres. C’est un groupes majeurs . Super article , merci
Jean-Noël
Merci de votre lecture. Oui c un grand album. Une étape majeur pour Genesis. Après 1975 j’ai moins accroché au groupe…All the best