Passons sur les circonstances qui m’ont amené à déclarer forfait sur Russian Circles et These Arms Are Snakes samedi soir, il est des fois où la flemme, la fatigue et la lassitude ont tout simplement raison de toute forme de motivation (quatre groupes, c’était définitivement trop pour moi, surtout après la semaine de malade que je venais de me cogner). Mais la venue en France d’Aidan Baker et Leah Buckareff – duo plus connu sous le patronyme Nadja – constituait, elle, une alternative tout à fait potable à la soirée vingt-huitième saison de « Atlantic City, Les Experts » ou des flics de la crim de je ne sais quelle autre ville paumée des Etats Unis.
C’est Pierre alias Zozzal qui organise les deux dates, et c’est donc sans trop grande surprise qu’on le retrouve sur scène en première partie avec Carne, son nouveau projet depuis le split de Llorah – sans doute celui dont il m’avait parlé lors du concert d’Enablers il y a quelques semaines. Carne est donc un duo guitare / batterie qui fait du bruit, beaucoup de bruit; ça pétarade, ça larsen à tout va, la tête Sunn crache bien tout ce qu’elle peut et la balance guitare batterie fonctionne, même si la jeunesse du projet – si j’en crois mon hypothèse un peu plus haute – laisse entrevoir pas mal de potentiel de progrès. Nul doute qu’on reverra ça très bientôt.
Place à Picastro pour la suite, trio dark folk composé d’une guitariste / violoniste / vocaliste (Liz Hysen), d’une batterie et, remplaçant du violoncelliste issu du line-up original, d’Aidan Baker (encore lui) à la guitare électrique. Ce dernier officie d’une façon assez discrète puisque sa contribution se limite en grande partie à quelques bruitages et autres grattements sonores distordus, assez discrets mais néanmoins influents – à l’exception des deux derniers titres (mention spéciale pour le tout dernier, un régal) ou les arpèges viendront admirablement épouser les notes de guitare folk de Liz Hysen. D’une voix fluette et introvertie, la chanteuse vient habiller la folk sombre livrée par le trio avec des textes assez dépressifs mais tout à fait de rigueur. Excellente mise en bouche qui donne ma foi envie d’en savoir un peu plus sur le groupe… Et heureusement, pour ça il y a monspace.
Place à Nadja après une trentaine de minutes de set de Picastro et une bonne petite pause. Il est déjà tard lorsque le duo monte sur scène. Pour situer sa musique, il s’agit d’un mélange habile des genres, entremêlant metal, sonorités ambiant, effets de guitare à la shoegazer, chant monocorde, un ensemble qu’on pourrait rapprocher facilement de Jesu même si là où l’anglais Justin Broadrick cède volontiers du terrain à des beatboxes aux rythmes plus légers, voire « pop » (brrr mais qu’est ce que ce mot fait ici?!), la volonté clairement affichée de Baker et Buckareff est de plomber l’ambiance de la façon la plus appuyée possible, et d’aller chercher au plus profond des sons aplatis les climats les plus opressants.
Si l’on en croît les quelques forums qui relatent les exploits du duo, la qualité de ses prestations s’avère assez variable, puisqu’ils ne passent même pas par des amplis sur scène et se branchent donc directement dans la table de mixage, laissant à « l’homme derrière les manettes » l’entière et délicate mission d’assurer à lui seul la qualité du son. Dans ce genre de musiques, qui fait une utilisation on ne peut plus extrême de saturation des guitares, l’exercice peut se révéler vraiment « casse-gueule ». C’est visiblement ce qui à coûté cher a Nadja la veille, à Metz. Mais ce soir, sans offrir un son vraiment digne de ce qu’on peut espérer, la technique limite la casse, offrant un son dense, puissant et gonflé à bloc, bien relayé par les subs situés sous la scène (On confirme, ils servent bien à quelque chose). Seul problème, il faut donc choisir entre porter des bouchons – filtrer les moyennes et hautes fréquences pendant que les basses se chargent de te chatouiller le canal du colon (désolé pour l’image) – ou bien opter pour le gros son tout entier sans protection, et assumer avec force et fierté l’acouphène persistant qui te suivra encore le lendemain matin au boulot (tout le monde ne fait pas le pont) pendant que machin t’explique au téléphone que oui, on est obligé de changer de référence sur les raccords 90°, question de traçabilité.
Après un premier titre d’une dizaine de minutes, Baker annonce qu’ils s’apprêtent à jouer le dernier morceau, pour ce soir, oui mais un long s’il vous plaît messieurs dames. Et c’est parti pour un déluge de gros son. Séparés par une table sur laquelle les effets du couple sont posés, que les manches de leurs instruments font ressembler à un étrange centre de symétrie, Baker s’éclate stoïquement sur sa Kramer (dont le corps ressemble étrangement à celui d’une stratocaster, filou va) alors que Leah, elle, tourne tout simplement le dos au public, isolée qu’elle est dans ses parties de basse dont Baker augmente ou diminue le volume à volonté, à partir d’une petite console, esquissant un sourire dans sa direction lorsqu’il use de ce pouvoir. Le son délivré par Nadja a définitivement quelque chose d’hypnotique, la lenteur, l’apesanteur des rythmes, leur disposition dans le temps qui semble parfois presque aléatoire, brisant la notion même de tempo, la puissance de ces fréquences qui viennent titiller les tripes… Tout transforme une demi heure de musique en un voyage de quelques secondes. On se réveille brusquement lorsque les deux musiciens posent leurs instruments et que les lumières du sonic se rallument. Le courage de quelques uns, pour qui quarante petites minutes d’un show qu’ils attendent depuis plusieurs mois ne sont définitivement pas satisfaisantes, convaincra B&B d’offrir en rappel un court The Long Dark Twenties dédié à tous les trentenaires.
Après un détour par le superbe stand merchandising (on a rarement vu plus bel appanage de disques « fait maison » depuis les passages des groupes constellation – un de mes proches amis y aura laissé quelques plumes), retour à la maison, et une bonne nuit de sommeil après lesquels une constatation s’impose: après un concert de Nadja, le silence n’a plus tout à fait le même visage…
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).