Egérie pop des sixties britanniques, dans la ( grande) proximité des Rolling Stones qui lui écrivent sur commande son premier titre et succès immédiat « As Tears Go By » en 1965, Marianne Faithfull qui vient de décéder à 78 ans le 30 janvier, était devenue après ces années 1960 où elle côtoya plusieurs fois les sommets du Top 10, une artiste indépendante et une femme libre, dégagée de la prégnance de ses premiers mentors. Compagne de Mick Jagger de 1966 à 1970 ( pour lequel elle avait quitté son mari un an à peine après leur union et la naissance de son fils), elle se retrouve avec cette rencontre au centre d’un univers rock où l’on vit tout avec intensité et sans reconnaître de limites. La belle jeune femme blonde et élancée, montre très vite trop de personnalité pour être réduite à la position de « chanteuse et groupie » et se brouille avec Jagger dont elle perd l’enfant qu’elle portait.
Faithfull est une véritable artiste, à la fois actrice, auteure et chanteuse pop, qui possède à ses débuts une voix de contre alto cristalline. C’est cette tessiture qui la fit remarquer par Andrew Oldham, manager des Stones, alors qu’elle se produisait dans des clubs et bars londoniens. Cette voix, encore presque celle d’une adolescente sur ses albums des années 1960, se cassera très vite, dès la décennie suivante, devenant rauque, parfois râpeuse et nettement moins fluide ou légère. En cause de trop nombreux excès, ainsi qu’un tabagisme excessif ( dont elle gardera des séquelles jusqu’au bout de sa vie). Par ailleurs les addictions dans lesquelles elle va plonger à partir de 1969, seront un fardeau durant les deux décennies suivantes… Quoi qu’il en ait été, la jeune fille de « bonne famille » précipitée sous les lumières du Swinging London par Oldham qui lui trouva immédiatement un contrat chez Decca, avait bien trop de tempérament pour rester dans le seul sillage des Stones, ou devenir soumise aux aléas d’un milieu artistique souvent cruel, à l’instar de son amie Nico…
En 1966, égérie pop du Swinging London (Getty Image)
Sa vie personnelle, lorsqu’on en découvre les étapes au travers de ses écrits autobiographiques, paraît néanmoins plus que chaotique et douloureuse. Particulièrement dans les années 70 et 80, marquées par des chutes au plus bas, heureusement ponctuées ou suivies de rebonds artistiques brillants. Un des plus remarquables sera le premier, en 1979, après les années d’errance et de précarité qui suivirent les succès précoces et les égarements de la fin des années 1960. La parution de l’album Broken English – anglais (e) brisé (e) – est hautement significative. L’album est un des sommets de son œuvre. Le ton en est , presque pour la première fois, véritablement personnel. La chanteuse sixties et pop, à la fin de cette décennie 70, devient une personnalité singulière, sorte de Marlène Dietrich new wave qui se glisse dans une nouvelle vague musicale naissante. Sur cette lancée, elle gagne même un procès contre Jagger/Richards, démontrant qu’elle était effectivement co-autrice de « Sister Morphine », titre en bonne place sur cet album d’un retour. Etre spoliée par ceux qui l’avaient certes mise en avant, mais en avaient aussi profité plus d’une fois, n’était pas au goût de l’artiste devenue trentenaire et moins malléable que dix ans auparavant.
Si Marianne Faithfull a pu traverser les décennies c’est également parce qu’elle a toujours su choisir son répertoire et s’entourer avec pertinence. Ses célèbres reprises de Lennon « Working Class Hero », de Patti Smith « Because the night » ou des Stones « Ruby Tuesday » furent souvent des réussites, appropriations plus qu’interprétations. Ce qu’elle chante elle le fait sien, même si elle déclarait : « La plupart des chansons que je chante ne sont pas de moi, et elles parlent de quelqu’un d’autre. » Sa voix brisée aura toujours emporté l’affaire.
D’autre part, en débutant sa carrière au moment où émergeait la tendance des Girls alone ( après celle des groupes vocaux féminins), Faithfull a indirectement posé la double question de la position et de la place des femmes dans un univers rock, longtemps resté majoritairement masculin. Son talent et sa force de caractère lui ont permis avec d’autres de sa génération ( Joan Baez, Janis Joplin, Jackie Deshanon, Joni Mitchell ou Françoise Hardy en France) de démontrer qu’un rôle de premier plan n’était pas l’apanage exclusif de la gente masculine. En ce sens elle fût une pionnière, qui ouvrit le chemin aux chanteuses et musiciennes qui suivirent et qui s’imposèrent à leur tour.
Ses duos et collaborations des années 2000 avec, entre autres, Damon Albarn, Jarvis Cocker, Nick Cave , PJ Harvey, Etienne Daho, font date. Ils traduisent l’intérêt continu que des générations de musiciens rock lui ont porté. Il suffit, pour en être convaincu, de regarder ou écouter son premier duo célèbre avec David Bowie, dès 1973, en pleine mode glam. Cette performance la remit temporairement dans le circuit musical, au cours d’une période particulièrement sombre pour elle. Fait notable sur ce « I Got You Babe » avec Bowie, la voix de Faithfull ( déguisée en nonne pour un show télévisé filmé sur scène!) a radicalement changé. Tout comme l’artiste elle-même, née à Hampstead (Londres) 27 ans plus tôt seulement, qui ne paraît plus du tout la jeune ingénue des années 1960… C’est le moment où le public se rend compte combien elle est devenue grave: écouter Dreaming My Days (1976) est édifiant. Au fil de ses albums qui seront nombreux, Marianne Faithfull va acquérir ainsi de l’épaisseur et une intensité expressive qui demeurent remarquables. Ceci bien après son retour au premier plan de 1979…
En 2002, concert à La Coopérative de Mai, Clermont Ferrand. Photo JL Gorce
En 2010 pour l’album Horses and Wheels elle collabore avec Lou Reed et…Laurent Voulzy. Un grand écart à priori! Qui n’est cependant rien d’autre que le signe de son entregent et surtout de sa reconnaissance internationale. Faithfull est particulièrement appréciée en France. Elle chantera en français du Serge Gainsbourg, « Hier ou demain » ( qui lui réalisa un clip), du Hugues Aufray, du Michel Legrand et « La complainte de la Seine » de Kurt Weil…
Au delà de la musique, la carrière cinématographique de Faithfull fût riche, nullement anecdotique ou confidentielle. Quand bien même passa t-elle à côté de belles propositions dans les années 70/80 en raison de ses problèmes d’addiction, elle donne dès 1969 la réplique à Alain Delon , partageant l’affiche avec l’acteur français pour le film La motocyclette de Jack Cardiff , où elle interprète un premier rôle important après être apparue dans Made in USA de JL Godard (1966) et aux côtés d’Orson Welles en 1967… Elle joua bien plus tard une mère folle dans The Wall live in Berlin du Pink Floyd en 1990, concert et film sous la direction de Roger Waters. Plus récemment on la vit interpréter la reine Marie Thérèse d’Autriche dans Marie Antoinette de Sofia Coppola (2006). Elle tourna pour Patrice Chereau , Intimité ( 2001) et Sandrine Bonnaire lui consacra un long métrage en 2017. En 2007 elle était Maggie, une grand mère ne reculant devant rien pour sauver son petit fils atteint d’une maladie rare, premier rôle d’ Irina Palm film du du réalisateur belge Sam Garbarski.
Marianne Faithfull qui partageait sa vie entre Paris et l’Irlande, avait été nommée Commandeur des arts et lettres en 2011. Elle a enregistré 23 albums studios, dont le dernier en 2021. En 2015, la nuit des attentats contre le Bataclan, résidente parisienne, elle écrivit « They Come at Night », en grande dame et artiste concernée. Son dernier album She Walks in Beauty (2021) a été co-écrit avec le compositeur Warren Ellis, collaborateur régulier de Nick Cave.
image mise en avant, Marianne Faithfull.org
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.