Le Las Vegas accueille concerts de rock ou pièces de théâtre burlesques, lit on sur sa programmation. A deux pas des zones techniques du port c’est un ancien dancing agrémenté d’un jardin d’été. C’est ici que nous nous retrouvons au milieu de la journée, sous un soleil d’août qui ne faiblit pas. Dans un coin de l’espace extérieur on découvre une petite scène bien équipée, entourée de plantes vertes, face à un bar vintage où ceux qui vous accueillent sont débonnaires et affables. Par la large entrée du jardin, ouverte sur la carrer Christofo Colom, on sent l’air marin qui s’engouffre par souffles d’une fraîcheur bienvenue à cette heure de concert si peu habituelle. Il y a des cadres plus désagréables et moins pittoresques.
Les organisateurs du festival Porta Ferrada, n’ont pas oublié dans leur programme d’investir des lieux différents des grandes scènes ( infrastructures du port et arènes) pour présenter des artistes régionaux ou émergents. Ainsi, programmée à 13h – horaire finalement compatible avec les habitudes de la côte catalane – Mar Pujol, auteure/compositrice et guitariste originaire de Prats de Lluçanes ( province de Barcelone) fait partie de ceux-là. La jeune femme de vingt cinq ans vient de publier en février son second album, Cançons de Rebost ( Hidden Tracks records), opus d’ un style hybride entre folk et musique classique. On pourrait en traduire le titre par Chansons de cuisine , ce qui est un programme en soi. Découverte sur le bc de l’artiste, la belle matière musicale et poétique a motivé ce déplacement.
Sur scène, assise sur un siège tapissé de velours pourpre, la guitariste s’installe après l’annonce en catalan du début de concert par un des organisateurs du festival qui engagea spontanément avec nous une conversation enjouée dix minutes plus tôt: « Des français qui s’intéressent à la pop folk catalane ? Voilà qui est formidable ! » Mar joue en picking ou du bout des doigts sur des cordes nylon, campée derrière son micro et une guitare electro acoustique. Elle est accompagnée par Bruna Gonzalez , violoncelliste inventive qu’on retrouve sur les crédits de l’album. Sa voix d’une belle tessiture chante ses textes et quelque chose de frais s’en dégage. Le jeu de guitare est précis, les positions des doigts de la main gauche sont celles d’une guitariste classique et la main droite qui n’utilise aucun plectre, ne se laisse jamais aller au jeu en streaming. Le style est posé.
Si elle était du genre masculin, selon nos références évidemment lacunaires, Mar Pujol pourrait se situer dans un territoire un peu curieux, entre Nick Drake et Paco de Lucia. Il y a dans son jeu de guitare, des échos de celui si remarquable du folk singer anglais introverti. D’autre part, dans les intentions pressenties chez la jeune femme, on retrouve des signes qui furent présents chez le poète musicien libertaire castillan. Cet encadrement de première ligne vaut ce qu’il vaut puisqu’on apprend, parcourant des éléments biographiques, que Mar a en réalité puisé une partie de ses références chez d’autres chanteuses et auteures à texte. Telles que Anna Andreu, le trio vocal Marala, Maria del Mar Bonet ( Baléares) et chez Mercedes Sosa ( Amérique du sud). Les langues cloisonnent les cultures, nous n’aurions su citer ces repères. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de se pencher sur d’autres traditions artistiques. Le point de vue change. A première vue, Mar Pujol n’a ainsi pour modèles directs ni Joan Baez ni Johnny Mitchell pionnières d’un folk rock féminin vindicatif et mordant. Elle n’est pas non plus clone de Cat Power pour citer un nom récent. Ceci posé, sa singularité est à découvrir.
Mar conserve une timidité adolescente, malgré la maîtrise de son art, un talent indéniable et de perceptibles convictions. Elle n’impose pas mais convainc, sans qu’on comprenne tous ses mots, grâce à sa musique enrichie par les séquences très remarquables du violoncelle et la justesse des combinaisons en duo. La structure des chansons s’écarte par ailleurs des formats standardisés et cette variation est plus qu’ intéressante.
Entre les titres joués, la chanteuse s’adresse aux quelques dizaines de spectateurs attentifs. Je comprendrai qu’elle ne vit pas complètement de sa musique, mais qu’elle n’est pas très sûre de le vouloir en regard des renoncements artistiques que cela peut supposer selon elle. Le projet n’est ni de plaire à tous ni de choisir des formes convenues. Il y a un héritage auquel la jeune femme tient. Ces ambitions sont énoncées avec modestie, sans revendication. L’attitude est juste et absolument crédible.
Intimité, poésie et volonté musicale se dégagent de l’écoute de Cançons de Rebost jouées devant nous. Il y a encore cette fraîcheur que ne peut offrir qu’ une âme bucolique ou une personnalité complexe mais confiante. En live Mar Pujol réussit à restituer les caractéristiques qui définissent son travail actuel sur disque. Il évoluera encore, pourquoi pas vers des formats alternatifs qu’on imagine volontiers associés aux possibilités de l’électro?
https://hiddentrackrecords.bandcamp.com/album/can-ons-de-rebost
photo mise en avant par Juan Miquel Moralez
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.