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Disques

Manny / Variétés sauvages

Cérémonie des Césars en toile de fond, hommage musical au 7ème art avec des clips qui célèbrent le cinéma au travers d’images empruntées à deux réalisateurs Césarisés, Jean-Luc Godard et Wim Wenders. L’occasion de faire un travelling arrière sur l’album de Manny, Variétés sauvages , sorti en autoproduit (2021) en attendant de trouver la distribution qu’il mérite. Pas facile aujourd’hui de trouver l’album sur les plateformes de streaming (hormis SoundCloud), mais la plupart des titres sont disponibles sur sa page YouTube, élégamment habillés d’images choisies.

Manny, c’est Manfred Kovacic, un érudit de musique, de sciences, de philosophie et d’art en général. De formation classique (1er prix de Conservatoire à Marseille), Manfred a fait ses classes dans les années 70 au sein du collectif de rock progressif Barricade avec Hector Zazou, Joseph Racaille et consorts. Ses influences originelles vont de Kurt Weill à Robert Wyatt en passant par Captain Beefheart ou Alan Vega, mais sa curiosité va bien au-delà.

Clavier et sax de Bashung dans les années 80, il a quitté la scène pour créer son propre studio d’enregistrement, Vega Studio à Carpentras, construit autour d’une légendaire console EMI TG 12345, rendue célèbre par les Stones et les Beatles, similaire à la pensionnaire des studios Abbey Road. En 1989, il sort un premier album,  Encore une heure,  à l’ambiance déjà très cinématographique, avant de se consacrer à la musique des autres. En une trentaine d’années, Vega Studio est devenu un haut lieu de coolitude où de nombreux artistes sont venus chercher un son vintage, des plus célèbres (Renaud, Jeanne Cherhal, Julien Doré, Keren Ann, Noir Désir, Les Négresses Vertes, , Zebda…) aux plus indés : Bastien Lallemant –Fred Poulet – Herman Dune –- Mademoiselle K – Mama Béa Tekielski – Tanger – Teenage Fanclub  – The Psychotic Monks -– Zaragraf et d’autres…

Au fil des années, Manfred a patiemment construit son nouvel album Variétés sauvages, esquissant peu à peu son storyboard à la manière d’un long métrage… façon Jim Jarmush… ou comme un collage à la Godard, en profitant du passage d’éminents complices pour leur faire interpréter son script au Studio Vega, sa Cinenitta à lui où viennent enregistrer les derniers romantiques. Un casting grandioso , dira-t-on…Et pour porter les scènes de son long métrage, Manfred a invité dans son auberge espagnole des chanteuses de caractère, Clarys Pivot, Lizzy Ling, Victoria Lukas, Lou Nils ou encore Lou Richard. Le tout enregistré par Jean-Michel Bourroux et ornementé par Steve Forward, ingé son hors catégorie (de Ray Charles à McCartney, Depeche Mode, Robert Palmer, Fischer-Z, Hallyday,  Bauer, Chapelier…) et réalisateur de nombre d’albums d’artistes corses issus des Studios Ricordu ces dernières années.

Variétés sauvages , un bel album d’auteur qui convoque émotion et intelligence. Manfred y allie la qualité de l’écriture, le sens de la formule marquante et des arrangements complexes qui accrochent l’oreille, le tout porté par des grains de voix de caractère. L’habillage de ces chansons avec les images empruntées à Wenders et Godard résonne comme une évidence. Oui cet album a une cinégénie forte et tant mieux si les images qui le transportent permettent de découvrir les découpages du dernier film du maître de la nouvelle vague. Des clips qui célèbrent la poésie, la beauté -parfois sombre et inquiétante-, et un romantisme avéré sur fond d’images syncopées et hypnotiques empruntées à deux œuvres mythiques récompensées, … pas aux Césars mais au Festival de Cannes : Les Ailes du désir de Wim Wenders et Le livre d’image de Jean-Luc Godard.

Couleurs flamboyantes ou noir profond, illustration en un florilège d’images :

  • « Dis-moi des mots d’amour »

Un texte désespéré à souhait de Pierre Eliane -le moine chanteur-, avec le piano entêtant de Jacques Bouniard et l’orgue de Manfred qui se répondent ad lib, le tempo implacable d’Arnaud Dieterlen et Mathieu Rabaté et la guitare acérée d’Alice Botté. Les images soutiennent l’impression de dernier élan romantique avant l’apocalypse. Où « Les Anges déchus » du cinéaste Hong-Kongais Wong Kar-Waï ont leur citation.

« Dans ce chaos rempli d’orgueil /De froid désir et de puissance /Tu sais j’entends l’écho profond /Des longues nuits d’adolescence […] Avant que nos espoirs déçus nous fassent mordre la poussière /Avant que des anges déchus tombent en vrille sur la terre /Dis-moi des mots d’amour. »

  • « Sans amour les idées meurent »

Rythmique de plomb survolée par la clarinette et les chœurs de Manfred Kovacic. Clarys Pivot pour porter la voie vers la conscience politique, sur fond d’absurdité du monde, avec une cavalcade d’images syncopées pour un voyage (en train) au bout de la nuit, portrait de Céline en filigrane comme pour renvoyer à son prologue :

« Voyager c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force…Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. »

(Louis-Ferdinand Céline – Voyage au bout de la nuit – Editions Denoël – Prix Renaudot 1932)

  • « De Loin »

Une ode au changement de vie avec ce deuxième titre de l’album chanté par Manfred himself. Plus complexe qu’il n’y paraît…

« Nourrir le feu, enflammer les sens /J’reviens de loin /J’ai plus d’hier, de lendemain /Plus d’ailleurs, plus que l’instinct /Rendu à l’évidence /Un chemin qui commence. »

  • « Simple passant »

Une autre invitation au voyage, plus clandestin que touristique, chantée par Lizzy Ling. Un désespoir qui colle à la vision berlinoise de Wenders. Un destin banal où tout malheur porterait sa part d’espoir…Une contrebasse superbe pour souligner le trait et une partition de piano magique de Jacques Bouniard.

  • « En paix (jusqu’aux os) »

Une ambiance de fête foraine sur fond de guerre intensive. Un voyage en absurdie comme il en existe tant…Mathieu Rabaté aux drums et Seb Martel aux guitares pour accompagner Manfred dans une tournerie endiablée sur toile du Livre d’Images de Godard.

« Apprivoiser le douleur /Hasarder le plaisir /Délaisser la noirceur /Pour être en paix jusqu’aux os. »

  • « Remets la lumière (one shot) »

Des bribes du Livre d’images, la poésie de Rimbaud à l’épreuve d’images surexposées. Pour la sensualité de la voix de Clarys Pivot avec un point d’orgue sur « ici » et avec les riffs de guitare sauvages de Seb Martel pour griffer la toile.

Voilà pour cet hommage en musique au cinéma de genre. Et pour en savoir plus, retrouvez l’interview de Manfred par André Paldacci sur Frequenza Nostra.

https://manny4.bandcamp.com/album/vari-t-s-sauvages

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