Né en 1952 à Durban, Lee Brilleaux fût le chanteur harmoniciste de Doctor Feelgood, groupe mythique de Canvey Island, petite ville de bungalows et maison basses, située « under sea level » dans le delta de la Tamise. Il décéda à l’âge de quarante deux ans, il y a exactement trente ans aujourd’hui, le 7 avril 1994, d’un cancer des glandes lympathiques qui ne lui laissa aucune chance.
Au mitan des années 1970, le rock progressif remplissait l’essentiel des bacs de disquaires, dominant les ondes radios et les scènes du rock and roll. Les Feelgood en prirent le contrepied, inventant le pub rock en 1971, avec pour line up Wilko Johnson à la guitare et aux compositions, John B. Sparks à la basse et Big Figure à la batterie. Brilleaux tenait le rôle d’un front man tendu, nerveux et rageur, en avant poste, encadré par un Johnson bondissant et un bassiste qui avançait et reculait sans cesse derrière sa grosse Music Man. L’homme était fait d’excès, c’est certain et ils furent peut-être un des causes qui l’emportèrent si tôt, mais il était surtout un gentleman du rock and roll. C’est à dire un de ces hommes racés qui ne font pas de distinguo entre leurs actes et leurs mots, le terme fake étant proscrit dans son cas – cela va de soi.
Si Wiko Johnson fût l’auteur compositeur du groupe ( avant de rejoindre Ian Dury, puis de monter ses projets solo), Brilleaux en était la voix, voire presque le corps. Il tint ce rôle jusqu’au bout , donnant un ultime concert à Canvey Island – à The OysterFleet Hotel où une plaque est déposée- quelques jours seulement avant son décès. Ses prestations relevaient souvent de la performance, animées par une énergie physique d’une rare intensité. Brilleaux s’inscrivait dans la lignée des provocateurs, agressifs pour les bonnes mœurs. Je dirais de son style vocal qu’il était celui d’un grand chanteur, dans la tradition du blues et d’un rock teigneux qui campait sur ses bases et fondamentaux. Aujourd’hui on le jugerait sans doute à l’ancienne, mais aujourd’hui n’est plus le temps de Doctor Feelgood, alors gardons les choses dans leur contexte. Ainsi, avant que n’éclate en 1976 la vague punk anglaise, les Feelgoods furent ils sans l’ombre d’un doute, ce qui se faisait de plus punk sur les terres d’Albion. The Clash les admiraient, tout comme les futurs membres des Pistols. Les new yorkais de Blondie en étaient fans et il se rapporte que les américains demandèrent au groupe de Canvey, lors de leur set au CBGB, comment ils avaient fait pour réaliser un album aussi fort que Down by The Jetty ? La puissance et le minimalisme du rythmn and blues/rock & blues des anglais en impressionnaient plus d’un. Il fit école, quand bien même la recette utilisée en était – elle pourtant extrêmement simple. Producteurs de leur son, le groupe choisit très vite de jouer sans effets, avec la guitare et l’ampli, poussant un peu l’overdrive. Par ailleurs on cognait le rythme. Le système était une revendication.
Down By The Jetty (1975), enregistré au Pays de Galles en quelques jours, sortit de fait en version mono – alors que mixé en stéréo! Il fallait être direct. Même production pour Malpractice, Stupidity (live) en 1976 et Sneakin Suspicion, paru en 1977 juste avant le départ de Wilko Johnson. Le pub rock comme première étape essentielle du punk, voilà ce qu’il faut garder à l’esprit si l’on veut faire un peu de musicologie et d’histoire de la musique . Rien, jamais, n’est génération spontanée. They did it right …
La technique vocale de Lee Brilleaux découlait de la même philosophie. « On se souvient des Feelgood, comme les St Jean Baptiste des messies du punk » déclara un journaliste de The Independent à la sortie de Oil City Confidential de Julian Temple, film documentaire consacré aux premières années du groupe. Je ne saurais trouver meilleure description. J’ai vu Lee Brilleaux sur scène, avec John Mayo à la guitare, au tout début des années 1980. Serré dans un costume d’un blanc un peu douteux, juché sur une paire de boots de même ton, il avait quelque chose d’un messie punk, en effet. Un côté qui sent l’alcool et les salles de concert de seconde catégorie. Une star, mais une star à jamais challenger, coincé dans les voies secondaires de son propre registre. Destin ironique? Oui et non. Brilleaux aimait Canvey, Leigh on Sea, Southend, le Thames Delta. Il n’est pas certain qu’il ait désiré autre chose. Son sort lui convenait, je crois.
Sur la pochette en noir et blanc de Down By The Jetty, les quatre musiciens photographiés sont saisis au matin, adossés au sea wall, haut mur de béton protégeant Canvey Island des marées de la Tamise et de la mer. On y voit Lee Brilleaux les yeux mi-clos, comme endormi. Johnson raconta bien plus tard que la séance capturée près du Lobster Smack – célèbre pub local situé dans une ancienne anse de pirates, non loin des terminaux pétroliers – avait été faite après une nuit sans sommeil, le groupe rentrant d’un concert londonien. L’image est symbolique (et culte) s’il en est !
Le retour de Lee Brilleaux, ne peut se faire que dans la nuit. Le matin est un temps incertain.
Lee Brilleaux ( 10 mai 1952 à Durban / 7 avril 1994, Leigh on Sea), un rock’n’roll gentleman.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.