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Insight

Le parquet du Madcap Laughs a refait surface…

Lorsque le label Harvest confia au jeune photographe Mick Rock, la mission délicate de rencontrer Syd Barrett pour réaliser quelques clichés susceptibles de convenir pour la pochette de The Madcap Laughs, premier album solo de l’ex Pink Floyd, le jeune homme de vingt ans ne savait pas vraiment comment les choses allaient se passer ? En 1969 Barrett traversait une période pour le moins difficile, vivant en semi reclus dans un appartement partagé avec le peintre Duggie Fields. Quelques jours avant les séances prévues, Syd eut l’idée de peindre les lattes de bois de sa chambre. Pour cela il se fit aider de sa petite amie du moment, qu’on surnommait Iggy The Eskimo, vague starlette du swinging London, la plupart du temps bohème et sans domicile fixe.

Barrett aimait peindre – la peinture et le dessin constituèrent ses premiers intérêts artistiques, dès l’adolescence. Quelques toiles inachevées restaient encore dans l’appartement londonien à côté de sa collection de guitares Fender qui commençait à prendre la poussière… Comment lui vint l’envie de peindre le sol en deux tons, bleu et orange? Nul ne le sait vraiment, mais on peut considérer que l’intention et le geste relevèrent autant de l’impulsion artistique que de la lubie psychotique. En tous les cas ce fût fait. Lorsque Rock entra dans la pièce il trouva, de fait, un décor inattendu, tableau concret qui faciliterait son travail de photographe et qu’il immortaliserait avant que l’image ne devienne iconique .

Après le départ de Syd des Wetherby Mansions, Duggie Fields resta dans ce même appartement d’Earl Court, qu’il occupa jusqu’à sa mort en mars 2021. La chambre de Barrett fut transformée comme toutes les pièces, modernisées au fil du temps. Quid du parquet coloré? On n’en voit pas de trace apparente sur les images montrant la pièce, lorsqu’on y interviewait le peintre devenu célèbre, témoignant de nombreuses fois sur sa cohabitation avec le fondateur du Pink Floyd. Fields n’y fit jamais allusion. Affaire classée, oubliée. Apparemment le sol était désormais entièrement blanc…

Fields disparu, un nouveau propriétaire occupe les lieux. Lequel naturellement remet les choses à son goût. Que découvre t-il sous un linoléum blanc? Bingo ! Les vieilles lattes peintes en 1969! Elles sont toujours là… Qu’en faire? Le nouvel habitant n’est pas fétichiste. Les lames de bois sont donc enlevées, entassées. Mais il n’ignore pas que Syd Barrett le précéda ici… Alors pourquoi ne pas tenter un coup ? Une mise aux enchères. On ne sait jamais, s’il y a moyen de se faire quelques livres sterlings avec cet « incroyable vestige de la pop culture » comme l’a récemment décrit Julian Temple … Barrett, cinquante ans plus tôt, n’aurait sans doute jamais imaginé cela. On organise donc une vente aux enchères du parquet coloré et une vraie agitation s’empare de celles et ceux qui sont toujours fans de l’artiste maudit… L’ héritage iconique ne doit pas se perdre: les lattes peintes de la main de Barrett ne sont- elles pas une trace de son art ? De sa vision du monde aussi ? L’art contemporain n’a t-il pas exposé des œuvres qui, formellement, ne sont pas si éloignées de ce parquet? L’héritage – témoignage retrouvé devait être sauvé.

L’impact de l’image est toujours fort. Dans la pop culture tout particulièrement. La couverture de The Madcap Laughs est terriblement signifiante. Symbolique, elle marque une époque – aussi bien de la musique rock, au tournant de la décennie 70, que de la vie personnelle d’un artiste et d’un homme. Beaucoup plus que celle de Barrett, second opus solo – illustrée d’un dessin de jeunesse de Barrett, représentant une collection d’insectes volants ( ça ne s’invente pas)… On doit cet impact de l’image au talent de Mick Rock, qui sut parfaitement capter une atmosphère, restituer un huis clos étrange et la psyché d’un homme pourtant très jeune, qui ne savait plus quel serait son destin. Pour trouver des images aussi fortes il faut chercher longtemps.

En 2024, les nouveaux possesseurs du parquet peint sont un collectif de fans. A l’annonce des enchères voici quelques mois, ils ont uni leurs fonds pour que l’objet ne disparaisse pas dans une collection privée ou à l’étranger. Le lot de lattes colorées a ainsi rejoint The Piper, un club musical situé à Hastings, sur la côte sud de l’Angleterre. La salle du Sussex, dans le quartier de St Leonards, est renommée pour sa programmation de musique indépendante. Le lieu, certainement, aurait plu au jeune Barrett aux commandes du Pink Floyd. Le nom du club vient très directement du Piper at The Gates of Dawn, premier album remarquable dont Syd composa l’essentiel. Tenu par des admirateurs, The Piper a décidé d’installer le parquet dans la salle. En prenant le plus grand soin pour disposer les lattes telles qu’originellement assemblées. Dans une interview donnée à la presse anglaise du Sussex, les propriétaires du club déclarent : « Nous sommes honorés et reconnaissants d’être ceux qui vont conserver ces légendaires œuvres d’art de l’histoire de la musique rock. Syd et le Floyd sont une des raisons qui ont fait exister ce lieu. C’est incroyable de nous trouver aujourd’hui en mesure de montrer aux fans ces pièces iconiques. Le plancher sera respectueusement montré pour que chacun apprécie son image iconique. Syd aurait sans doute aimé ce que nous projetons de faire. Nous avons travaillé avec un historien de l’art, Paul Drummond, pour les reconfigurer autant que possible à l’identique. Il semble que quelques éléments sont manquants, mais avec ce que nous avons qui n’a pas été abîmé, une idée est de les installer sur la scène que nous utilisons pour les concerts. Ainsi les artistes actuels pourront jouer dessus. Nous examinons la faisabilité, tout en nous assurant de les protéger. Ou bien nous pensons les exposer dans la salle. Nous n’agirons qu’une fois trouvé ce qui est le mieux pour cet objet culturel qui refait miraculeusement surface. »

Paul Drummond, archiviste et historien, déclare quant à lui que le parquet peint qui servit comme élément de composition à Mick Rock puis Storm Thorgerson ( designer pour Hipgnosis, responsable de nombreuses pochettes du Pink Floyd) est « sauvé, bien que partiellement abîmé par de mauvaises manipulation, notamment après avoir été démonté « . Il précise cependant que le bois peint est fragile et sec , mais conserve les tonalités de couleurs qui n’ont pas terni. Au-delà de l’aspect physique il ajoute: « Ces lattes peintes nous racontent une histoire intrigante. L’action duelle de peindre son plancher dans des tons semi psychotiques, annonçait et préparait une autre étape pour Barrett. Il allait y briller une nouvelle fois, non pas comme une pop star du passé, mais en tant que Barrett, emmêlé dans les brumes de la psyché sombre de la condition humaine. C’est ce qui fait de ce plancher un territoire intrigant. Et comme me le dit un jour Thorgerson, « une partie de Syd était dans ce plancher »... »

Hasard ou ironie, c’est à Hastings que Barrett donna sur le Pier, en janvier 1968, son dernier concert avec Pink Floyd. Les propriétaires du Piper se préparent à planifier de prochains concerts dans le lieu, dès que l’espace sera réaménagé. On peut imaginer que l’esprit de Barrett (décédé à 60 ans en 2006) y sera très présent désormais.

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