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Insight

Le « grand retour » du disque vinyle, en est on si certain ?

A la fin des années 1980, nous recevions une injonction de l’industrie musicale : jetez vos vinyles ! Achetez des compact disques!

Ah bon ? Pourquoi? Que se passe-t-il ?

Une nouvelle technologie arrive sur le marché. Le business est d’importance, les gains doivent être engrangés. Pas par nous, bien sûr, qui revendons aux soldeurs ( au prix du poids), une partie de nos albums pour les racheter (!) en un autre format. On nous vante partout les mérites des nouveaux et inusables cd, ainsi que la qualité du son des nouvelles platines. Il ne faut pas hésiter. Équipez vous! Nous suivons. Cahin-caha.

Grosso modo, c’est ce qui s’est passé. Il est vrai que les « vieux » vinyles pouvaient craquer ou être rayés par de maladroites manipulations. Avec le temps tout s’use. Les amateurs de musique qui, au milieu des années 1970 avaient acheté de grosses platines et chaînes stéréo pour tester Wish You Were Here du Pink Floyd, ou pour mieux entendre les guitares cristallines de Neil Young et les voix de Crosby, Stills, Nash & Young semblant passer d’une enceinte à l’autre, y avaient trouvé un incroyable plaisir. Incomparable avec celui des lecteurs mono de la décennie précédente. On suivrait donc le nouveau mouvement, pour connaître cet autre plaisir promis comme supérieur.

Bye bye vinyles poussiéreux, welcome petits cd brillants, glissés dans des platines plates, peu encombrantes et sans bruit parasite. Le progrès, pour sûr!

Puis vint l’internet! Une bonne dizaine d’années plus tard. Aux alentours de 2000 chacun s’y met. On découvrira des plateformes virtuelles. Tout se dématérialise et va coûter moins cher, grâce à de modiques abonnements. Certains plus habiles, piratent le système. Musique gratuite ! Un disque c’est devenu cher, il est vrai. Et puis il faut les stocker quelque part, créer chez soi des étagères dédiées, sa discothèque. Tout le monde n’a pas forcément la place, ni les moyens de faire collection.

Si au début des années 2000 le virtuel explose, les disquaires, eux, peu à peu implosent…En premier lieu les indépendants. On imagine que tout peut être gratuit, ou presque. Pourquoi payer pour la culture ? L’art ? Mais l’art c’est quoi ce truc ? La musique rock représenterait surtout de la distraction, n’est-ce pas? Un produit qu’on consomme. Les artistes musiciens ? Les uns remplacent les autres – dans la plupart des cas – et les esthètes ne sont pas si nombreux qui s’intéressent à des œuvres, des langages, des carrières…Du moins pour le rock, la pop, pense t-on…

Je développe. Si le consumérisme est sans doute moins vrai pour les genres classiques, jazz, il est incontournable pour d’autres. La chanson, la variété par exemple. Les vedettes vont et viennent. Quant au rock, il s’est divisé en chapelles. La majeure partie du public ne se passionne ( mettre des pincettes pour ce verbe) qu’un temps, qui dure peu. Celui de la jeunesse libre de contraintes. Et on décroche ( comme on dit), plus ou moins vite. La trentaine passée, il semble qu’on puisse diviser par deux le nombre d’auditeurs intéressés.

Remarque: La jeunesse des années 2020 écoute probablement davantage de rap que de rock. Lequel est devenu un genre pour classes moyennes, voire supérieures, dont la tranche d’âge ( par contre) a augmenté au fil du temps, en regard de l’ histoire d’un style musical désormais vieux de soixante dix ans. Ceci posé, ça ne change rien à notre question de départ : quel (s) support(s) pour la musique et en particulier le rock aujourd’hui, né avec Presley et l’invention du 45t. Et pourquoi l’un plus que l’autre ?

Voici quelques jours, Le Figaro publiait une enquête consacrée au disque vinyle – dont on reparle beaucoup depuis les années 2010 -, le quotidien qualifiant cette tendance vintage de « nouvelle arnaque ». Qu’en penser vraiment ? Après son abandon, on nous suggère en effet que le support serait et aurait toujours été le « nec plus ultra » pour écouter un enregistrement qui s’y trouve gravé. Il est vrai que les modes de production ont changé et rendent les trente centimètres vinyliques plus performants. Mais est-ce suffisant? Quelque raison motiverait cette inversion de tendance?

Ce qui reste objectif, en premier lieu, c’est que 60% du marché se fait via les plateformes de streaming. On consomme très majoritairement la musique en mode dématérialisé , sur ordinateur ou i-phone. Pas les meilleurs lecteurs, nous en conviendrons.

Ensuite les chiffres parlent d’eux mêmes. Il s’est vendu en 2023, 10 millions de CD pour 5,5 millions de vinyles. Le « grand retour » de la galette noire n’est donc pas encore acté. Ce retour annoncé serait alors un phénomène de mode? Oui. D’autant que tous les acheteurs ne sont pas équipés du matériel idoine permettant la meilleure écoute. D’autant, encore, qu’on trouve du vinyle à la vente chez brocanteurs, lieux et boutiques branchées ou alternatives, commerces bobos . Ce qui confirme la hype du moment. Les disquaires ayant survécus n’ont plus l’apanage de leur commerce. Sociologiquement, la jeunesse adhère pourtant davantage au vinyle. Celles et ceux, plus âgé(e)s, qui suivirent les injonctions cd, ne sont pas tous prêts à refaire le chemin à l’envers ! Ça peut se comprendre. A nouveau, stockage et matériel de lecture sont des questions pratiques à considérer. L’industrie voudrait – elle transformer les acheteurs en girouettes qu’on tourne à tous les vents ? Le son plus chaud du vinyle serait sans comparaison etc etc… C’est possible, mais pas certain. Nick Mason à qui on posait la question, répondait ceci : « Personnellement, ma collection est essentiellement constituée de cds et je n’ai pas de nostalgie pour les vinyles qui craquaient ». CQFD.

Bien entendu, l’objet vinyle est beau. Sa taille, sa pochette cartonnée, sa couleur quelques fois, permettent un vrai fétichisme. Il y a plus de sensations tactiles et visuelles au contact d’un trente trois tours tiré de sa pochette, qu’avec un cd dans sa boîte de plastique. C’est acquis. Le business se préoccupe de nos sens ? Oui…si cela lui rapporte. Les disques, leur vente ont généré beaucoup d’argent en leur temps. Des fortunes se sont faites sur les mises de départ. Eddie Barclay ne prétendra pas le contraire.

Pour la petite histoire, certains disques ont toutefois coûté cher quand bien même se vendirent ils à des millions d’exemplaires. Ainsi le maxi « Blue Monday » de New Order, mis sur le marché en mars 1983, fût le disque de ce format le plus vendu au monde…Mais il ne rapporta tout d’abord guère de subsides à ses auteurs, vivant toujours en HLM au début de la décennie 1980. Ceci est, évidemment, un autre sujet.

Blue Monday, New Order ( Factory records, UK)

Les maxis qui apparaissent dans les années 1970 et 1980, ont d’ailleurs une petite histoire qui leur est propre. Elle n’est pas dénuée d’intérêt pour ce qui concerne qualités ou spécificités du support vinylique. L ‘essor du disco au milieu des années 1970 fit nettement augmenter la production de 45 tours. Le nombre de hit singles du style immortalisé sur dix sept minutes par Donna Summer et Georgio Moroder ( « I love to Love you babe »), provoqua par hasard la production aux États-Unis des premiers maxis. Tout simplement par manque de supports de format 45 tours. Tom Moulton, célèbre arrangeur et producteur, avait besoin de presser un nouveau single de Swamp Dog mais aucune autre galette n’était disponible aux Media Sound Studios ( NYC) que celles d’ordinaire utilisées pour les albums 33 tours. Il décida donc de sortir le single sur grand format. Beaucoup de place restant libre sur la surface du disque, on s’aperçut que les sillons pouvaient être plus profonds ce qui permettait une restitution intéressante du son. Idéale pour une musique où les fréquences basses ( drums , guitares basses, séquencers rythmiques) étaient nombreuses et importantes pour le rendu final. L’aiguille des platines se posait mieux. Les DJ apprécièrent. On prit ainsi l’habitude de graver deux titres sur des grands disques dance. Le hasard fit bien les choses avec cette trouvaille. Les maxis étaient nés. Ils domineront les ventes durant deux ou trois décennies.

Donna Summer et G.Moroder en 1975.

L’industrie du disque est indissociable de la production musicale du XX eme siècle. Et vice et versa. De la musique rock en particulier. Presley et les autres rockeurs du début des années 1950 doivent une part de leur succès à la diffusion des 45 tours. Après guerre, on entre pleinement ( et joyeusement) dans la société de consommation. L’industrie du loisir, de la distraction se déploie. On en achète les produits. Tout est intrinsèquement lié. Ce qui ne veut pas dire obligatoirement aseptisé. Ni que la musique rock ne soit qu’un produit parmi d’autres, un élément d’une pop culture jetable. Le phénomène rock est planétaire à partir des années 1960 et l’avènement d’une nouvelle culture jeune. Le rock a besoin de médias, pour « devenir plus célèbre que le Christ » (Lennon) . Il doit de plus prendre la forme d’un objet qu’on s’approprie. L’hostie du rock c’est le disque… Le capital ne le perd pas de vue, saisit l’opportunité. Les majors s’organisent. Les profits dégagés sont toujours conséquents, ils s’appuient sur l’évolution des technologies au fil des décennies. Pour qu’ils ne baissent pas on s’adapte sans cesse. Ita missa est. Voilà un bout de réponse.

En 2024, c’est in fine le rock indépendant qui a le plus besoin des vinyles, galettes désignées comme obsolètes pendant vingt ans, de 1990 à 2010. Les mêmes artistes utilisent cependant les supports virtuels qui les font connaître ( bandcamp/soundcloud…), par les chemins labyrinthiques et sans fin des réseaux sociaux. Tout est complexe. Rien n’est binaire.

Un disque (vinyle ou non) est, avant tout, objet d’échange. Il l’ est aussi de désir, ou doit le devenir. On peut spéculer sur la côte d’un vinyle ancien, culte et collector. Ceci n’est pas applicable – pour l’heure – sur un fichier informatique téléchargé ! Ni sur un cd d’aspect plus banal , quoique la rareté de certains ( si non réédités) en fasse monter le prix dans une mesure relative. Et quid des cassettes audios qui reviennent sur le marché ?

Phénomène de mode ou véritable tendance motivée par des choix esthétiques, le grand retour du vinyle parait avant tout un mouvement citadin qui s’adresse à une part de la population dotée d’un pouvoir d’achat. Il joue sur la nostalgie d’un temps, et une envie d’authenticité. Cette dernière n’est pas sans rapport avec des courants de pensée actuels. L’hyper technologie n’est plus perçue comme la panacée. Ce n’est pas plus mal. Cependant l’industrie musicale veille toujours au grain. Et il y a un monde entre les revenus d’artistes vedettes et d’autres moins célèbres.

L’aventure du rock and roll n’est pas dissociable de celle du capitalisme. L’artiste qui s’y risque, tente d’y trouver un modus vivendi. Dans une conférence de presse à la fin des années 1960, pour la création d’ Apple, John Lennon, grande gueule, affirmait que le label des Beatles éviterait aux jeunes artistes de « ramper devant les bureaux des majors« … Ce ne fût que partiellement exact. Apple se cassa la gueule. Anthony Wilson, créant Factory dix ans plus tard avec l’argent d’un petit héritage, pensait la même chose et s’imagina révolutionnaire. En 1993, New Order – très pragmatiques- composèrent « Ruined in a day » sur leur album Republic, un des moins convaincants de leur discographie, commentant cette dégringolade à leur façon …

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