La cale du Petit Bain en bord de Seine est bondée. Soirée sold out. Les Johnny Mafia ont attiré tous leurs fans franciliens, auxquels s’ajoutent ceux venus en nombre depuis Sens, la ville natale du groupe. La date parisienne – ajoutée au calendrier du Sentimental Tour – deviendra-t-elle, par cette affluence, un des temps forts d’une tournée débutée en Juillet et menée tambour battant? Les quatre Johnny Mafia aiment donner des concerts, et savent faire preuve dans cet exercice d’une insolence talentueuse. Sur scène, le groupe a cette attitude fougueuse, caractéristique de ceux qui mordent le rock à pleines dents. On songe aux Strokes en les voyant, pour leur allure à la fois hautaine et décontractée, mais parce qu’ils savent aussi – comme on disait dans un temps qui ne fût pas le leur – « envoyer du bois! ».
Johnny Mafia, pour ceux qui les connaissent mal, se sont réunis pendant leurs années lycée voici une décennie – ce qui donne une idée de leur moyenne d’âge – mais copinaient déjà à l’école élémentaire… Soit le genre de lien qui, lorsqu’il tient, ne se dénoue pas facilement. On imagine les premiers accords appris ensemble puis les décisions fondamentales : qui tient la basse et qui devient batteur? Années d’apprentissages essentielles. Entre punk/garage et pop les Johnny Mafia ont duré et viennent de publier Sentimental, un troisième album très réussi dont ces dates d’automne font la promotion. L’opus conserve la dynamique de compositions qui évoquent Weezer et une frange du rock indépendant américain, mais présente – fait notable – une récente inclinaison mélodique et pop. Ce soir les deux tendances seront de sortie. Elles prendront la forme d’une déferlante d’énergie et de son, qui fera tanguer le Petit Bain. Le Sonic des quais de Saône en aurait rompu ses amarres…
Après le trio lyonnais Johnnie Carwash (convaincant avec sa chanteuse – guitariste aussi enjôleuse que sa musique est teigneuse), c’est toutes guitares en avant que le groupe déboule sur scène. Les titres durent un peu plus de trois minutes ou parfois moins. On est surpris par l’attaque soudaine de « Say Yeah! » qui provoque instantanément un pogo général et met le public en nage… Théo, guitariste, chanteur et figure centrale, plonge dans la salle et slamme en tordant les cordes de sa Fender. Grosse ambiance, qui devient festive quand grimpent sur scène des guest surgis des fans des premiers rangs. Raphaël de We Hate You Please Die vient entonner les couplets de « Sleeping » avant de replonger dans le bain de jouvence d’une salle consentant à la communion des corps. « Philip Trevor » est un grand moment de la set list. La chanson qui symbolise l’esprit de trublions joyeux des Johnny Mafia, fédère les enthousiasmes. Le mouvement enclenché par la séquence de quatre accords traduit l’engouement des followers du groupe (majoritairement entre 25 et 28 ans ) pour une musique anti-déprime, qui prend toute son ampleur en version live. On se lâche. Tout va pour le mieux dans la France du post confinement. Du moins pour le moment.
En une heure et demie intense, l’affaire est enlevée par les bourguignons. La transe retombera après un ultime rappel, dont sortent rincés mais ragaillardis ceux qui s’y sont encore jetés. Ce soir, la Seine qui coule sous les ponts de Paris a été secouée par une saine jeunesse. Joséphine Baker depuis « sa piscine » – restons dans le petit bain ! – aura tendu l’oreille et béni tous ces enfants (du rock).
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.