Le 18 septembre 1970 Jimi Hendrix meurt. Etouffé dans ses propres vomissures, conséquence d’une overdose de vin et de barbituriques selon l’autopsie réalisée par le légiste londonien qui examine le corps. La fin prématurée et solitaire ( nous verrons pour quelle étrange raison ) du guitar hero presque demi dieu, paraît une chute brutale et pitoyable, résultat probable d’un mode de vie devenu difficile à supporter, sur le plan physique comme sur le plan mental, ainsi que de plusieurs différends qui préoccupent alors le musicien afro américain.
En cette mi septembre 1970, Hendrix loge au 21 Lansdowne Crescent, quartier de Notting Hill, dans un hôtel où il tente de se reposer depuis son retour fin août d’une longue tournée européenne. Après une soirée et une partie de la nuit agitée – fête chez Eric Burdon, disputes violentes avec Monika Dannemann sa nouvelle petite amie rencontrée une première fois à Düsseldorf en 1969 – Hendrix et Dannemann rentrent vers trois ou quatre heures du matin dans leur chambre du rez de chaussée de l’hôtel Samarcande. Il semble que vers six heures, Hendrix , qui ne s’est toujours pas endormi avale une très forte dose de somnifères. Cet ultime excès lui sera fatal. Depuis quelques temps Hendrix dort mal, il est grippé, veut se débarrasser de Michael Jeffery, son manager, escroc à ses heures qui l’exploite. Tout cela le préoccupe au plus haut point mais il ne trouve pas vraiment de solution et un mal être s’est installé. En fin d’après-midi le 17 septembre, il a envoyé une sorte de S.O.S à Chas Chandler, son premier manager qui l’aida à débuter, sous forme d’un appel téléphonique resté sans réponse. Le répondeur de Chandler enregistrera ces mots: « J’ai besoin d’aide bad man… »
Le matin du 18 Septembre à un horaire mal défini, Monika Dannemann qui se réveille, découvre Hendrix les yeux clos, étendu et livide. Il est entouré des restes épars d’un vomissement abondant et ne bouge pas. Sans être suspicieux, on peut s’étonner que la jeune femme ne se soit aperçu de rien un peu plus tôt tant il y a de souillures sur le lit et le corps de la star du rock… Hendrix respire t’il? La jeune femme prétendra que oui à ceux qui l’interrogeront dans la journée, mais s’en est elle assurée vraiment? Hendrix ne lui répond pas en tous les cas. Au minimum il est inconscient. Si Monika Dannemann appelle les secours, elle ne tente toutefois rien de plus… Puis, très étrangement, elle sort acheter des cigarettes, sans davantage se soucier de son boy friend qu’elle laisse en état d’urgence… Quand l’ambulance arrive aux alentours de onze heures, les secouristes découvrent une porte grande ouverte et un Jimi Hendrix seul sur son lit, recouvert de vomissements déjà séchés. Il est probablement trop tard pour quoi que ce soit, ainsi l’aspiration de la trachée ne sert elle à rien. On fonce aux urgences. Pas de pouls ni de souffle perceptibles. Après un massage cardiaque de trente minutes l’homme est déclaré mort par les médecins de l’hôpital St Mary Abbot. Il l’était à son arrivée. Hendrix, à midi quarante cinq rejoint ce jour là le club des 27… Il va y retrouver Brian Jones disparu un an plus tôt et le bluesman Robert Johnson qui inaugura le cercle dans d’obscures conditions. Le 3 octobre Janis Joplin viendra frapper à leur porte. Londres a fait Hendrix puis Londres l’a défait, dirait on.
Hendrix et Monika Dannemann, 17 septembre 1970 avec « Black Beauty » jardins de l’hôtel Samarcande , Londres. photos M.Dannemann
Quatre ans auparavant, c’est Chas Chandler, bassiste de The Animals qui a découvert le guitariste alors quasi inconnu, qui se produit dans un club de Greenwich Village. Hendrix n’a pas de carrière véritable, il cachetonne au coup par coup. Libéré d’un engagement militaire précoce, le garçon de Seattle se joint à des formations sans ambition qui utilisent son habileté. A Londres, ville en plein essor artistique où Chandler l’invite, il pense qu’il peut réaliser quelque chose de plus intéressant. Il y arrive le 24 septembre 1966. Tout son avenir reste à inventer. Son talent unique l’aide dans cette nouvelle étape, Chandler a vu juste et rapidement le guitariste surdoué enregistre un titre dans les studios de la BBC. Il donne son premier live quelques jours plus tard dans le minuscule Scotch of St James, situé 13 Masons Yard, conduit par Chandler qui s’occupe de lui. Il ne tarde pas à se faire remarquer et dès octobre Eric Clapton l’invite à rejoindre Cream pour une date. Le trio de british blues donne un concert à l’école polytechnique de Little Titchield Street. Hendrix se joint aux anglais, il impressionne tellement que tous les grands guitaristes du moment ( Beck, Townsend, Lennon, Ayers…) ont vent de ses performances. Ils se précipitent au Bag O Nails (Soho) pour entendre jouer ce phénomène rock qui vient de former son propre groupe The Jimi Hendrix Experience. Succès instantané. A vingt trois ans Hendrix s’invente lui-même. La capitale anglaise lui en offre l’opportunité. Il la saisit.
La ville lui convient si bien qu’il loue un appartement au 34 Montagu Square, Marybone, avec sa compagne anglaise Kathy Etchingham rencontrée à son arrivée. L’adresse est sans voisins directs, entourée de bureaux. Le guitariste bohême peut jouer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit sans déranger quiconque. Coïncidence, Haendel a séjourné juste à côté, mais Hendrix croit dur comme fer qu’il occupe la même demeure que le grand compositeur classique. Ce serait un signe. Il compose « The Wind Cries Mary » dans cette maison. Pour la première fois de sa vie, l’américain en exil choisi se sent bien et véritablement à sa place.
The Bag O’ Nails club aujourd’hui.
Le soir il fréquente les clubs de la ville où il croise les vedettes du milieu des années 1960. Johnny Halliday l’engage pour faire sa première partie, il sympathise avec Jagger en janvier 1967, rencontrant pour la première fois le Rolling Stone au Speakeasy, club branché du 48 Margaret Street. Le 30 janvier 1967, sont enregistrées en direct à la BBC, les chansons « Hey Joe », « Rock Me Baby », « Foxy Lady ». Dans les semaines qui suivent The Jimi Hendrix Experience parcourt l’Angleterre, entouré des groupes branchés du moment, dont Pink Floyd où Syd Barrett commence à montrer de temps à autres les premiers signes d’un certain désordre mental. Les deux garçons sympathisent, Hendrix plus âgé que Barrett le prenant même en amitié le temps de la tournée. En juin The Jimi Hendrix Experience fait une reprise de « Sergent Pepper » des Beatles tout juste sorti dans les bacs. Le public du Saville Theater en reste médusé…
L’homme est tellement à son aise dans l’univers londonien qu’il décide de s’installer en achetant en 1968 un grand appartement à Mayfair. Aujourd’hui musée, l’adresse est située au 23 Brook Street, tout près de Westminster. Kathy Etchingham raconte qu’il ne fût pas facile de convaincre les agents immobiliers de vendre un bien à Hendrix. Ceci en raison de sa réputation relativement tapageuse. Néanmoins le couple devient propriétaire et meuble leur acquisition selon des goûts inspirés par le mouvement hippie et les modes psychédéliques. Hendrix ne supporte pas la moquette grise qui recouvre le parquet, il la fait arracher et couvre le sol de tapis chamarrés. Tout souri à Hendrix qui enchaîne succès et conquêtes féminines, se révélant peu fidèle à sa compagne officielle.
La chambre d’Hendrix, 23 Brook street
Hendrix est devenu une star. Il joue à Woodstock, tourne sans cesse. En 1969 sur fond de dissensions The Jimi Hendrix Experience s’est séparé mais Hendrix a reformé un Power trio efficace. Ce sera Band of Gipsys, dont on découvre une célèbre prestation à Woodstock, dans un concert toutefois largement porté par Hendrix lui-même. En 1970 la carrière du guitariste gaucher atteint une apogée. Elle montre cependant de premiers accrochages avec Jeffery, lequel organise des tournées très lucratives obligeant le trio à jouer aux USA et dans toute l’Europe durant de long mois. La cadence épuise le guitariste chanteur qui ne se ménage pas et mène un train de vie très rock and roll. Le 27 août c’est exténué qu’il atterrit à Heathrow. De retour en Angleterre il va participer triomphalement au festival de l’île de Wight, trois jours plus tard, puis rentrera à Londres. Il vient d’inaugurer l’Electric Lady à New York le 26 août, son propre studio d’enregistrement, financé à part égale avec Jeffery. Beaucoup d’argent est en jeu mais Hendrix est désillusionné par l’industrie de la musique… A Londres il ne rejoint pas l’appartement de Mayfair, puisqu’il a rompu avec Kathy Etchingham depuis plusieurs mois. Séducteur impénitent il rappelle presque aussitôt Monika Dannermann, l’artiste et patineuse artistique rencontrée en 1969, qui fréquente le milieu branché londonien en véritable groupie. Le couple séjourne d’abord au Cumberland Hotel où Hendrix espère se reposer. Six jours avant son décès, soit le 11 septembre 1970, il y donne sa dernière interview à Keith Altham pour le magazine New Musical Express (NME). Puis le nouveau couple choisit un autre hôtel, et gagne le 21 Lansdowne Crescent à Notting Hill. Le 16 septembre, soit deux jours avant son décès, Hendrix se produit au Ronnie Scott, club musical de jazz situé dans Soho. Il accompagne son ami Eric Burdon sur le titre « War », en fin de concert du nouveau groupe de l’ex The Animals. Nul ne sait qu’il s’agira de la dernière prestation d’Hendrix.
le 16 septembre avec Eric Burdon. Sur scène pour un titre.
Le médecin légiste qui donna son rapport au St Mary Abbott Hospital, y observe et note la très grande quantité de Vesparan présente dans le corps de la star défunte. Hendrix s’est intoxiqué avec le barbiturique, voilà sa conclusion. Par ailleurs il ne constate pas d’excès de drogues ou d’alcool dans le sang du musicien. Ce qui étonnera le chirurgien qui découvrit pourtant beaucoup de vin dans son estomac… La chose lui parut peu compréhensible, d’autant que dans l’ensemble le jeune homme n’était pas en mauvaise santé. De même le comportement de Monika Dannemann est intriguant ce 18 septembre, comme ses témoignages contradictoires déposés dans les heures suivant le constat de décès.
Quelques années plus tard de nouveaux faits sémeront le trouble sur la version officielle. Rapportés dans le livre écrit par Tappy Wright, ancien assistant d’Hendrix. Ce dernier y prétend avoir recueilli des confessions du manager en disgrâce, Michaël Jeffery: « Je devais le faire? Jimi valait pour moi beaucoup plus mort que vif. Ce fils de pute allait me quitter. Si je le perdais, je perdais tout ». Mais faire quoi? Les faits supposés sont rocambolesques et criminels s’ils sont exacts. Selon Wright, c’est Jeffery , accompagné d’hommes de main, qui aurait délibérément empoisonné Hendrix en lui faisant avaler les barbituriques puis en l’étouffant dans le vin. Ceci avec ou sans la complicité de Dannermann? Telle est la confession que l’ancien manager de Jimi Hendrix lui aurait fait. Problème, Jeffery ne peut se défendre de ces accusations ni les infirmer, puisque décédé dans un accident d’avion en 1973. Quant à la petite amie du mois de septembre 1970, elle s’est suicidée en 1996 pour raisons inconnues… Rien n’est donc prouvé. Ces révélations tardives ne furent elles qu’un coup de publicité de Wright – certes de très mauvais goût – pour vendre son livre? Nul ne le sait. Enquête close.
Hendrix est enterré le premier octobre 1970, au Greenwood Cemetery de Seattle. Miles Davis, Eric Burdon, Johnny Winter, Mitch Mitchell sont présents à ses obsèques. Par la suite on se disputera son héritage. Kathy Etchingham intentera un procès contre Monika Dannemann pour responsabilité dans la mort d’Hendrix. Cette dernière le perdra.
Londres fit et défit le gaucher aux grandes mains, lequel écrivit le 17 septembre un poème commençant par cette phrase: « The story of life is quicker than the wink of an eye… »
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.