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Insight

Jim Morrison (8/12/43 – 3/7/71), dernier tango à Paris

Au printemps 1971 L.A Woman vient de sortir chez Elektra. Il sera le dernier lp de The Doors, mais personne ne le sait encore. Jim Morrison a donné son maximum pour l’enregistrement de chansons entre rock et blues, qui démontrent toutes l’arrivée du groupe dans sa pleine maturité artistique.  Néanmoins le chanteur est fatigué, lassé peut être. Veut il encore jouer du rock and roll, incarner l’ icône charismatique et rebelle de la scène californienne et nord américaine? En tous les cas, il se pose la question.  L’ homme de vingt sept ans est aussi très inquiet,  poursuivi par la justice de l’état de Floride suite aux « incidents  » du catastrophique concert de Miami deux ans plus tôt. L’idée de se retrouver en prison le terrorise. Les juges  pugnaces de l’état ultra conservateur ne semblent pas vouloir le lâcher aussi vite et n’ont que fort peu goûté les arguments de ses avocats… Pour eux, Morrison est coupable d’outrage aux bonnes mœurs et d’exhibition. L’art n’a rien à voir là dedans.

The Doors en studio, hiver 1971

Le 21 mars, le front man barbu et épaissi par les abus , décide de partir pour Paris. A minima, cet exil français le protégera de la justice américaine.  Mais surtout il va rejoindre Pamela Courson, sa fiancée de longue date, avec laquelle il entretient une relation tumultueuse. Le couple se retrouve et loge d’abord dans divers hôtels, dont le luxueux Georges V près des Champs Élysées. Morrison aime la capitale française, le quartier latin, les bords de Seine, les libraires, la place des Vosges où il passera bientôt beaucoup de temps à écrire de nouveaux poèmes – son ambition désormais –  lorsque Pamela et lui logeront à deux pas , au 17-19 rue Beautreillis, en sous location d’un appartement typiquement parisien.

Les amoureux  voyagent en avril/mai ( Maroc, Espagne, Corse) puis reviennent à Paris. Morrison hume  l’âme ancienne  de la capitale, à la recherche des poètes symbolistes de Nerval à Baudelaire ou encore des écrivains Oscar Wilde et Scott Fitzgerald. Il fréquente aussi les bistrots où il boit beaucoup. Quant à Pamela , à 24 ans, elle est addict à l’ héroïne. Elle se fournit auprès du funeste comte Jean de Breteuil ( 1949- 1972) , héritier d’une famille de la haute noblesse française, déjà rencontré aux USA. Ce jet setter, séducteur patenté (il vit alors avec Marianne Faithfull, ce qui ne l’empêche pas de coucher avec Pamela à l’occasion ) , est  le dealer des stars du rock . C’est lui qui vendit à Janis Joplin la dose qui lui sera fatale. Toxicomane lui même, il décèdera un an plus tard, alors qu’il tentait de se faire oublier, bénéficiant de protections, caché au Maroc dans une propriété familiale…
Le personnage est exécrable, dénué de tout sens moral.  Il va, pour le pire, jouer un rôle clef dans le destin de Morrison. On le rencontre avec les habitués de St Germain des prés et les peoples qui se divertissent au Rock and Roll Circus, discothèque et club musical branché tenu par Sam Bernett.  Dans ce lieu incontournable de la nuit rock parisienne situé rue de Seine, de la fin des années soixante jusqu’au début de la décennie suivante, viennent musiciens et artistes internationaux ou français.  Johnny Halliday y a ses habitudes, la chanteuse Dani, la mannequin et aspirante chanteuse yéyé Zouzou, signée chez Vogue sont souvent là. Bernett y organisera un concert pour Gene Vincent dont les résultats seront très mitigés. C’est Pamela qui y conduit Morrison pour la première fois. Alors que le chanteur des Doors recherche plutôt l’incognito, on le reconnaît évidemment… 

Morrison et Hervé Muller, terrasse du Georges V

Lassé du rock Morrison aime fréquenter des écrivains ou des journalistes tel Hervé Muller alors chez Best. Ce dernier, jeune auteur fasciné par l’homme et l’artiste écrira le premier livre en français sur les Doors: « Jim Morrison au delà des Doors » paru en 1973 chez Albin Michel, puis « Jim Morrison mort ou vif » chez Ramsay

Jim se lie d’amitié avec des artistes et intellectuels comme Agnès Varda, Jacques Demy . Ancien étudiant en cinéma il devient proche du couple qu’il rejoint à Chambord sur un tournage de Varda.  Le journaliste/photographe franco américain Alain Ronay est également une de ses fréquentations régulières, au sein d’un cercle proche. L’exilé , peu avant l’été 1971, se voit ainsi davantage poète que musicien rock. Sur lui il porte des carnets où il note impressions, phrases et poèmes composés dans les parcs et jardins publics qu’il apprécie particulièrement. Son rêve n’est plus de tenir un micro, mais d’écrire une œuvre littéraire.

Morrison et Agnès Varda à Chambord ( mai 1971)

Au hasard des rues le grand américain rencontre  des musiciens de circonstance.  A l’occasion d’un moment d’errance plus ou moins alcoolisé, il emmène deux guitaristes en studio, le 16 juin. A la demande de Morrison, ceux qui n’en croient pas leurs yeux tentent avec lui des enregistrements de bribes de textes et poésies sur de basiques riffs de blues. Ils n’ont ni le talent ni le niveau nécessaire. Les sessions ne donnent rien de convaincant mais un audio est néanmoins réalisé, d’une durée de quinze minutes. Il subsistera sous le nom de Jomo and The Smoothies. On peut le trouver sur le net, bien que son intérêt tienne essentiellement du témoignage et non de l’art. Rien à voir avec les poèmes intitulés bien plus tard The Lost Paris Tapes , parus à titre posthume, qui furent enregistrés en 1969 à Los Angeles. Ils serviront de base pour l’album An American Prayer.

17 rue Beautreillis

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique et en Uk , L.A Woman entre dans les charts. Au printemps 1971 l’album, aujourd’hui parmi les meilleurs de tous les temps, stagne autour de la 140 ième place. « Love her madly »  en est extrait, pour devenir un premier single dans la veine de » Light my Fire » . La chanson est entraînante mais l’orage gronde sur « Rider on the storm » , en fin de face b, sorte de prémice gothique. La chanson orageuse entre au billboard 100 le… 3 juillet 1971…

A Paris, Morrison ne manque pas d’argent. Pourtant Pamela, totalement inactive, vit à ses depends. Leur relation demeure  chaotique, faite de hauts et de bas.  Fait inquiétant, l ‘état de santé de Morrison, qui n’a que 27 ans,  n’est guère reluisant à la fin du mois de juin. Après une courte période où il paraît aller mieux, il tousse beaucoup et s’essouffle souvent. Asthme ? Il ne voit pas de médecin pour autant malgré un passage aux urgences qui restera sans suite médicale. Le 28 juin une promenade a lieu à Saint Leu d’Esserent sur les bords de l’Oise avec Alain Ronay. Tous trois visitent un marché d’antiquités ,déjeunent dans une auberge pittoresque et se distraient à la fête du village. Morrison a l’air heureux ou du moins détendu et cette journée donne presque l’image d’une tranquillité retrouvée. Semble seulement. 

Morrison&Paméla Courson, 28 juin.

Morrison a minci, barbe rasée, il paraît en forme er apaisé, alors qu’il n’a plus que cinq jours à vivre…Ce qu’il ignore bien entendu. Car il y a beaucoup d’incertitudes dans le couple Morrison- Courson, des zones d’ombre. Les images souriantes ne reflètent pas toute la réalité.  Rue Beautreillis, les habitudes de vie sont mauvaises.  Pamela consomme beaucoup d’héroïne et elle y initie probablement Morrison, adepte depuis longtemps des amphétamines, du LSD pris en quantité inconsidérée et surtout alcoolique.  Morrison ne s’injecte rien, par peur des piqûres, mais sniffe la drogue fournie par Jean de Breteuil ou ses sbires de la French connection venus de Marseille. Ceux là  traînent dans tous les lieux branchés de la capitale en quête de gains rapides. Le Rock and Roll Circus en est un, comme d’autres établissements fameux rive gauche, à quelques centaines de mètres seulement de la rue Beautreillis, située rive droite juste en face de l’île St Louis. Pour aller d’une adresse à l’autre pas besoin de prendre le métro.  Tout peut se faire à pied, dans un environnement à priori agréable. L’ est il vraiment ?

La journée du 2 juillet sera la dernière de Morrison.  Il la passe à nouveau en compagnie d’Alain Ronay. Les amis déjeunent place de la Bastille. L’ américain est agité. Il calme sa toux avec du vin, se plaint de fréquentes bouffées d’angoisse. Il panique. Ronay voudrait qu’il voit rapidement un médecin.  En fin d’après-midi, particulièrement anxieux, le chanteur des Doors qui a perdu de son arrogance et de son assurance, supplie son ami de rester avec lui . Il est pris d’une crise de hoquet qui l’oblige à s’asseoir. Ronay voit son visage changer un court moment de manière lugubre. Pourtant le photographe doit partir pour un rendez vous avec Marianne Faithfull. Les deux hommes se quittent et Ronay s’engouffre dans la station de métro.  Ce sera la dernière fois qu’il verra Morrison vivant.

Puis le chanteur rejoint en marchant le 17 rue Beautreillis où il retrouve Pamela.  Il s’arrête acheter du vin , encore, au caviste en bas de l’immeuble « Aux vins des Pyrénées ». Le couple dînera dans un restaurant de la même rue, avant d’aller au cinéma voir un western: « La vallée de la peur ». Prémonitoire ? La soirée ne se termine pourtant pas de cette façon aussi banale…

le caviste voisin de Morrison ( aujourd’hui restaurant)

Vers minuit Morrison ressort. Ceci ne fût pas, pendant plusieurs décennies, dit dans une version officielle qui cacha la réalité des faits. Jim Morrison se rend rue de Seine. Il doit satisfaire une requête urgente: ramener de l’héroïne pour Pamela.  Au comptoir il boit, parle brièvement avec Bernett lequel tint longtemps sous silence cette rencontre et les épisodes qui suivront. Deux dealers sont là, en relation avec De Breteuil… Morrison est un client potentiel. Une transaction se fait. Beaucoup de témoins parmi les habitués du club, aperçoivent le chanteur des Doors. Tous se tairont eux aussi . Nul n’avait intérêt à dire sa présence dans un lieu où circulait des drogues dures. Le Rock and Roll Circus était une boîte branchée, rien d’autre… Transaction terminée, avant de repartir mais après quelques whiskies, le rocker en rupture a envie de tester cette héroïne si pure, lui a t on dit, qu’il vient d’acheter. Il se rend aux toilettes du club, s’isole. La drogue est forte . Trop. Morrison mal en point fait une crise cardiaque quasi instantanée. Il s’écroule. 

Peu après, des clients vont s’inquiéter devant une porte de toilettes toujours fermée. On informe Bernett, discrètement. La porte ouverte le spectacle est édifiant : il y a là un grand gaillard effondré,  bave aux lèvres. C’est Jim Morrison. Est-il encore en vie ? Nul ne le sait. Bernett trouve à la hâte un client ami et médecin.  Ses conclusions ne sont pas clairement connues, mais on se presse, en tous les cas, d’évacuer le corps inerte par l’arrière de l’établissement. On sort par une porte discrète, pour éviter d’être vu. Morrison est soutenu par deux inconnus qui ne demanderont pas leur compte ensuite et disparaitront leur sinistre mission accomplie. Ce qu’on  glisse sur la banquette arrière d’un taxi ressemble à un gisant: direction rue Beautreillis. Au second étage Pamela ouvre la porte, à demi endormie.  Que se passe t- il? Les deux hommes plongent aussitôt le corps qu’ils traînent, pas encore froid mais toujours sans reaction , dans une baignoire remplie d’eau la plus froide possible. L’usage est parmi les pratiques utilisées en cas d’overdose.  Un geste de la dernière chance. Dans ce cas il est  totalement inutile. Les deux transporteurs repartent.  Hagarde, Paméla regarde ce qui n’est plus que l’ombre de Morrison. Il gît dans la baignoire. Un filet de sang coule de son nez. Elle lui parle peut être mais il ne répond pas. La jeune femme est complètement sonnée par les événements, incapable d’une décision.  Désemparée, elle appelle à son secours  Agnès Varda et Alain Ronay. Il est presque huit heures du matin. Les deux amis arriveront sur place un peu plus tard. Varda comme il se doit, a composé pragmatiquement le numéro des pompiers. Elle a compris que Morrison est certainement en danger vital, ce qui échappait peut être à sa petite amie junkie… Depuis le couloir la cinéaste a vu le corps inanimé.  Quand les secours arrivent accompagnés d’un médecin, il n’est pas neuf heures du matin mais il est déjà trop tard. Pamela est interrogée par les policiers et un médecin légiste dépêché sur place. Ils ne parlent pas anglais et elle s’exprime dans un mauvais français. L’histoire qu’elle raconte est une invention mise au point (avec qui?) qu’elle a déjà raconté à Varda et Ronay : « Morrison n’a pas quitté leur adresse après leur retour du cinéma. Ils ont écouté la discographie des Doors. Il s’est senti mal au milieu de la nuit et il toussait. Il s’est fait couler un bain pour se soulager.  Pamela s’est endormie. Puis elle l’a découvert inanimé ». Voilà ce qui sera  la version officielle des faits.

Tous les efforts de réanimation ayant été tentés resteront vains, Morrison  est déclaré mort . On le transporte sur le lit de sa chambre. Cause probable du décès : arrêt du cœur déclare le premier médecin. Il n’est fait aucune autopsie ni analyse toxicologique, le légiste confirmera. Pour la forme il demande si le défunt se droguait ? Paméla persistera dans le mensonge , dira que non. On ne trouvera pas la moindre trace de substances illégales dans tout l’appartement. Nettoyé? Brouillant les pistes, la jeune femme désigne son compagnon sous le nom de Douglas James Morrison, exerçant la profession d’écrivain… Le médecin, qui n’était pas fan de rock ne fait à aucun moment un rapprochement avec la star connue sous le nom de Jim Morrison. Il trouve toutefois qu’un écrivain poète est rarement suffisamment argenté pour loger dans un si bel appartement ? Pamela répondra qu’il avait une fortune personnelle…

Entrée du Rock and Roll Circus

Dans la nuit du 3 juillet, le décès de Morrison fût pourtant sur les lèvres de quelques uns avant même que secours et police n’arrivent rue Beautreillis. Pour ceux qui passaient le temps au Rock and Roll Circus, il n’y a aucun doute. Le charismatique leader des Doors est ce type qui a fait une overdose dans les toilettes de l’étage.  Il va rejoindre « le club des 27″…et c’est le numéro 4… après Jones, Joplin et Hendrix venu chez Bernett lui aussi. Dans une autre discothèque de la capitale, un DJ annonce même le décès au micro, pendant que les noctambules s’animent encore sur la piste de danse. Comment le sait- il ? Vingt ans plus tard, il déclarera avoir été informé par deux hommes en costumes noirs, inconnus à l’allure de dealers, qui bavardaient nerveusement auprès de lui. Jean de Breteuil, de peur d’être inquiété, panique tellement cette nuit du 2 au 3 juillet, qu’il réveille Marianne Faithfull dans leur chambre d’hôtel. Le couple fait ses valises et prend dans la matinée un avion pour le Maroc. Faithfull en témoignera plus tard, confiant que De Breteuil pensait être responsable de la mort de Morrison. L’aristocrate décadent était il avec ceux qui ont ramené Morrison rue Beautreillis, sortant du Rock and Roll Circus par la porte dérobée de la rue Mazarine? Il n’en était possiblement pas loin…Et qui était la femme aperçue par des témoins sur ce même trottoir? Au même moment? Rien n’est sûr… De Breteuil, quoi qu’il en ait été, prend la fuite. C’est presque un aveu.


Dans la journée , Bill Siddons, manager des Doors est averti. Il n’en croit pas ses oreilles et maudit Paméla et tous les junkies de la planète.  Il gagne Paris par le premier vol s’occupant de tout, sans toutefois voir le corps du défunt qui repose dans un cercueil fermé. Courson reste atone. La famille Morrison est informée. Que fait on du corps ? Le chanteur était en mauvais termes avec ses parents, ceux ci se désintéressent de la situation et confient la question à Siddons. Le sept juillet, Morrison est inhumé au Père Lachaise en présence d’un comité réduit de sept personnes seulement,  dont Pamela Courson et Agnes Varda. On prétend que ce décès plus ou moins douteux, fut tenu au secret y compris par l’administration française. L’ enquête et l’autopsie ont été volontairement bâclées, de toute évidence. Aucune publicité n’est faite autour de la soudaine  disparition de celui qui fut une immense vedette. Il est probable que les autorités françaises ne tenaient pas à gérer une émeute. On étouffa l’affaire.

Tombe de Morrison avec buste ( années 1980)

Courson repartit aux Etats Unis. Inconsolable. Elle ne se débarrassera jamais de son addiction et décèdera en 1974. A 27 ans elle aussi…
Les Doors restant ne réussissent pas une carrière post Morrison. Nul ne peut le remplacer et tout s’arrêtera de fait après deux albums sans aucun succès. Siddons reste manager du groupe jusqu’en 1972. Il sera la cheville ouvrière de la réalisation et de la publication de An American Prayer en version disque (1978) , avec un dernier backing track inspiré, joué par Densmore, Krieger et Manzarek. Soit l’ultime témoignage de l’art de Jim Morrison.

Image mise en avant, Morrison rue Beautreillis, mai 1971.

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