Même si je n’ai pas encore gratté un mot à ce sujet (mais peut-être que cela viendra) et ai gardé mon affection plutôt bien cachée, Rituals, le premier album des français de Team Ghost finira sans aucun doute sur mon podium des galettes 2013. Sombrement nerveux et crispé avec sa production forte et élégante, son atmosphère évidemment cinématographique, le disque éblouit comme un soleil noir.
Ce samedi soir du mois de juin, quelques jours avant leur départ pour leurs premiers concerts new-yorkais, le nouveau groupe de Nicolas Fromageau, ex M83, joue en compagnie de Poni Hoax à Sannois, au nord de Paris, dans le juste excellent Espace Michel Berger. Nous attrapons Nicolas et Christophe Guérin (guitares, chants) tout de suite après leur (déjà impressionnante) balance pour leur poser quelques questions. Entre digressions sur Claude Puel et l’OGC Nice, déclarations d’amour pour le Giallo (film d’exploitation italien, à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotisme, NDLA) et plaisanteries référencées Dragon Ball, l’interview avec les deux amis vogue dans des eaux extrêmement détendues et calmes. A les découvrir aussi tranquilles et blagueurs, le contraste qui suivra avec leur prestation scénique, est d’autant plus fort: extrêmement puissante et physique, couillue mais carrée, riche dans les instrumentations; elle allait nous laisser sous le choc, bouche bée, un grand sourire aux lèvres.
Vous n’en avez pas plein le dos que l’on évoque M83 à chaque fois que l’on parle de vous?
Nicolas: Plein le dos, non. Au vu de l’actualité, c’est normal. Nous avons sorti nos disques quasiment au même moment et M83 vient enfin d’avoir le succès interplanétaire qu’il méritait. Qui plus est, Anthony (Gonzalez de M83, NDLA) est resté un ami. Cela ne me dérange pas plus que cela même si cela devient parfois un peu redondant.
En écoutant vos anciens morceaux, on a l’impression que vous avez passé vos journées allongés sur un canapé à regarder des films de John Carpenter.
Christophe: Ce n’est pas faux. Nous avons grandi avec les films de genre. Nicolas, Anthony et moi, nous nous sommes rencontrés au lycée. Et le frère d’Anthony, Yann Gonzalez, qui est un super cinéaste et va sortir prochainement son premier long métrage (Les Rencontres d’après minuit, NDLA), avait une vidéothèque de malade avec des films de tarés, des séries B italiennes mais aussi du Pasolini, du Dario Argento… Nous avons passé pas mal de temps devant ces vidéos en fumant quelques cigarettes pour se détendre. Toute ces références font désormais partie de nous. Nicolas est d’ailleurs encore un fanatique de ce style de films. Il adore regarder des films d’horreur italiens, des séries B, des films longs et chiants, aux effets spéciaux ridicules mais dans lesquels il remarque une esthétique particulière qui rejaillit sur notre musique.
» Nicolas adore regarder des films d’horreur italiens, des séries B, des films longs et chiants, aux effets spéciaux ridicules mais dans lesquels il remarque une esthétique particulière qui rejaillit sur notre musique. »
Nicolas: Tout à fait. J’aime beaucoup ces films pour leur plastique et leur musique. Tu parlais de John Carpenter en tant que compositeur mais chez les italiens tu retrouves aussi Fabio Frizzi, Goblin (groupe de rock progressif italien principalement connu pour avoir composé les musiques de films de Dario Argento, NDLA), Pino Donaggio. Pour moi, ce sont des maîtres de la musique au même titre que tous les grands. C’est vrai que cela nous a toujours influencé. Mais dès le début de M83, je pense que ce goût de la BO était présent, cette envie de dessiner des paysages avec de la musique.
Votre réputation de groupe cinématographique n’est donc pas usurpée?
Nicolas: Non, vraiment pas. Je pense d’ailleurs que je regarde plus de films que je n’écoute de musique.
Le point de départ de Team Ghost, ce sont d’abord vos retrouvailles à un concert de Girls Against Boys.
Christophe: En fait, Nicolas et moi, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. L’histoire de nos retrouvailles à Girls Against Boys, c’est pour la légende. La vérité, c’est que nous avons toujours été fans de ce groupe et que nous avons décidé d’aller les voir en concert à la Maroquinerie. Nicolas avait travaillé pas mal de maquettes de son coté dont un morceau qui n’est jamais sorti mais qui était une pure tuerie. Il m’a demandé si je voulais faire partie de ce nouveau projet. Dans ce cas-là, un homme doit connaitre ses priorités. J’ai donc dit oui. (rires)
Nicolas: Le concert était nickel en plus. Scott McCloud, le chanteur, a cette voix rauque très impressionnante cachée derrière une tête de poupon. Je suis allé le voir pour lui expliquer qu’il était une influence majeure pour moi et il m’a dit: « Continue à faire de la musique, mec ». Bein ouais, évidemment. (rires)
Où avez vous enregistré vos deux premiers maxis?
Nicolas: Le premier EP a été enregistré à Bordeaux, dans un super petit studio appelé « La Machine à Rêves » avec Benjamin Mandeau, le frère du Prince Miaou. D’autres morceaux ont été faits à la maison, dans la chambre. Pour le deuxième, nous avions commencé à travailler avec Benoit (de Villeneuve, chant, guitare et claviers, NDLA) et son boulot nous a tellement plu que nous avons décidé de l’intégrer au groupe.
Entre les deux maxis et l’album, il y a un grand écart au niveau du son qui est devenu bien plus rentre-dedans.
Christophe: Au moment de l’enregistrement de l’album, nous étions désormais cinq. Nous avions répété énormément avant pour arriver dans le studio totalement sereins. Nous avons enregistré à Carpentras, avec du super matériel.
Nicolas: Nous avons tous joué ensemble, au même moment et dans la même pièce, sur bande. Ce qui amène un côté plus brut, moins chiadé peut-être, avec quelques petites imperfections mais aussi un réel aspect rock. Plus que les deux premiers maxis, nous avions vraiment envie de faire un travail de groupe, un vrai disque de rock dans lequel le bassiste et le batteur trouvent leurs parties, où tout le monde participe aux compositions.
« Plus que les deux premiers maxis, nous avions vraiment envie de faire un travail de groupe, un vrai disque de rock dans lequel le bassiste et le batteur trouvent leurs parties, où tout le monde participe aux compositions. »
Rituals a été terminé en Avril 2011 mais il a mis deux ans à sortir.
Nicolas: Ce n’était pas une période simple. On cherchait le bon deal, les gens avec qui nous avions envie de travailler et cela a pris du temps. Nous sommes très contents de notre label wSphere qui croit beaucoup en nous alors que c’est plutôt une grosse structure, que c’était un pari assez risqué pour eux de nous signer. Après, certains aspects nous dépassent un peu et nous avons vraiment rongé notre frein. A un moment, j’ai poussé une gueulante pour certains mixages dont je n’étais pas content et qu’il a fallu refaire.
Christophe: D’un autre côté, c’était notre premier album et il fallait absolument faire les choses correctement.
Comment on occupe son temps dans une telle situation?
Christophe: Avec une belle dépression! (rires)
Nicolas: On a fait pas mal de remixes, on a écrit des titres inédits qui sont très bien et sortiront à la rentrée sur un EP. De toutes manières, je n’arrête pas de faire des trucs à droite et à gauche, de composer ; c’est quelque chose de naturel pour moi. Nous avons aussi des plans pour une BO et déjà pas mal de titres pour le prochain album.
J’ai un petit problème avec la pochette de Rituals. Je reconnais le talent du photographe mais je n’accroche pas du tout.
Nicolas: Cette pochette est une vraie prise de risque. A nous voir ainsi, on pourrait nous prendre pour un groupe de rock progressif qui se la joue. C’est Jean-Philippe Talaga, l’ancien boss du label Goom en charge de M83 et Cyann & Ben, qui s’occupe de nos visuels. Il est un peu le sixième membre du groupe. Il met aussi parfois son nez dans les compos et donne son avis. Il a un rôle de directeur artistique à qui on aurait donné carte blanche. Quand il est venu avec cette idée de photographie, nous avons beaucoup rigolé puis nous l’avons faite!
Christophe: En même temps, cette pochette évoque aussi une imagerie black métal. On ne vient pas de cette scène mais on écoute pas mal de trucs comme cela avec Nicolas. D’ailleurs, pour me donner confiance devant l’objectif, je me disais que j’étais un musicien black métal, que j’avais un bout d’armure et que je cavalais sur un cheval au clair de lune! (rires)
« Cette pochette est une vraie prise de risque. A nous voir ainsi, on pourrait nous prendre pour un groupe de rock progressif qui se la joue. »
Parlez-moi des vidéos pour « Curtains » et « Dead Film Star ».
Nicolas: « Dead Film Star » a été réalisé par Simon Cahn, un réalisateur talentueux et ancien assistant de Spike Jonze. Nous l’avons contacté et il nous a envoyé une première ébauche de scénario que nous avons trouvé excellente. Nous n’avons pas assisté au tournage ou au montage. Il nous a juste présenté le résultat définitif et nous étions super contents. Pour ce qui est de « Curtains », cette fois-ci, nous étions sur le plateau et c’était vraiment une expérience intéressante d’être présent pendant le shooting. J’adore « Curtains » mais j’ai néanmoins une petite préférence pour « Dead Film Stars ».
Christophe: La vidéo « Dead Film Stars » nous ramène d’ailleurs directement à ces films de genre que nous adorons. Et même « Curtains » a ce côté fétichiste que l’on kiffe bien.
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« Montreuil », votre nouveau single, est un peu le morceau extra-terrestre de l’album. Il est très pop comparé aux autres.
Nicolas: Mais tu sais, nous écoutons pas mal de musiques différentes et notamment de la pop. Pas uniquement du black métal! J’ai aussi toujours aimé lorsque des groupes très violents comme Hüsker Dü arrivaient a faire un titre plus aéré et pop. Et « Montreuil » est l’un des titres que j’aime beaucoup sur Rituals. Je pense que dans l’avenir, nous composerons plus de morceaux comme celui-ci.
Il y aura une vidéo pour « Montreuil »?
Nicolas: Je ne crois pas. J’ai bien des idées mais elles ne sont jamais acceptées par le label et les producteurs accrochent rarement à mes idées. Mon pitch, cette fois-ci, était de faire mes courses au marché avant de m’envoler sur une licorne… (rires).
La chronique des Inrocks parle de Rituals comme d’une « cathédrale sonique ».
Christophe: J’imagine que Thomas Burgel (chroniqueur des Inrockuptibles, NDLA) parlait de notre travail sur les réverbérations, du côté épique de notre musique.
Nicolas: Il y a aussi chez nous ce goût de la composition par couches. Nous n’hésitons pas à rajouter beaucoup d’effets. Benoit a un studio à domicile, avec un tas de synthétiseurs incroyables. Nous passons beaucoup de temps chez lui à essayer des sons, à les empiler pour finir par construire un amas dans lequel un certain nombre d’éléments ressortent derrière une grosse base très étoffée. C’est une manière de travailler que nous apprécions.
Et le NME qui qualifie votre musique de « coldgaze »?
Nicolas: C’est flatteur. Que le NME s’intéresse à nous, c’était déjà inespéré. Après, toute appellation est à la base un peu réductrice mais c’est pas trop mal, tout le monde comprend ce qu’ils ont voulu dire.
En parlant du NME, j’ai d’ailleurs regardé votre interview réalisée devant une fête foraine.
Christophe: C’était pour un festival appelé « The Great Escape » à Brighton. Le journaliste du NME était un jeunot inexpérimenté et nous le sentions un peu perdu parce qu’il ne savait pas trop ce que nous faisions. En plus, nous avions bien bu. C’est d’ailleurs à ce moment que Pierre (Blanc, basse, NDLA) a sorti une des plus belles phrases de toute l’existence de Team Ghost : »We are French, we are not scared ». J’essaie depuis de la replacer dans le plus d’interviews possibles (rires)!
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Un grand merci à l’Espace Michel Berger de Sannois pour l’accueil et la gentillesse.
Photos : Orimyo
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.