Il n’y a pas que des secrets bancaires au Luxembourg, il y a aussi Sun Glitters. Si le projet de Victor Ferreira dépasse à peine les deux ans, il aligne d’ores et déjà une discographie bien remplie avec pléthores de collaborations, des remixes, EP et autres singles en veux-tu, en voilà ; assez en tous cas pour inscrire le Grand Duché sur la carte mondiale de la musique électronique. A l’écoute de son électronica imaginée pour dénicher l’humain dans les failles des constructions synthétiques, tranquille avec ses reflets lumineux comme autant de représentations d’une intimité fragile, doucement radieuse et apaisée, délicatement retranscrite en ricochets sonores par ses machines, on ne peut que féliciter le bonhomme de ce nom d’artiste particulièrement approprié. Pour son premier concert suivant la sortie de son nouvel album intitulé Scattered Into Light sur lequel Sara Cappai des Diverting Duo tient le rôle de chanteuse attitrée, nous avons profité de sa venue au New Morning fin Janvier pour tenter de comprendre la vie des musiciens électroniques hyperactifs. Pour information, après l’interview, le mystère est resté entier. Typiquement luxembourgeois.
Tu as fait partie de beaucoup de groupes traditionnels en tant que bassiste notamment. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment tu décides de prendre ton ordinateur pour composer?
Pour moi, cela représente juste le cheminement logique de ma carrière musicale. A 18 ans, j’ai commencé le hip-hop avec mes potes. Je n’avais pas d’argent donc la chose la plus facile était de prendre un micro sur scène et de rapper. J’ai ensuite joué dans beaucoup de groupes qui se séparaient après un an d’existence. A chaque fois cela me rendait fou de vivre la même histoire : abandonner tout ce travail, oublier toutes ces répétitions. Mais arrêter définitivement la musique est pour moi quelque chose d’impossible. Je me suis donc dit que j’allais faire mon chemin tout seul. L’électronique m’intéressait déjà lorsque je jouais dans mes groupes précédents donc la marche à franchir n’était pas si grande.
Cela ne t’a pas fait peur de continuer seul?
Je vis au Luxembourg. C’est un pays qui a beaucoup évolué au niveau de la professionnalisation de la musique. Lorsque j’étais plus jeune, tout le monde se bourrait la gueule avant de monter sur scène pour faire le maximum de conneries. Mais aujourd’hui, certains groupes sont tellement pros que l’on ne peut pas s’empêcher de se demander pourquoi ils ne réussissent pas mieux. Le problème du Luxembourg, c’est qu’on y est bien, qu’on y a les fesses au chaud: lorsque tu as un travail, tu as toujours peur de tout lâcher pour une nouvelle aventure. Pour moi aussi, repartir de zéro pour faire de la musique représentait un grand risque. Mais cette décision m’a beaucoup apporté et si je regarde en arrière tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui, je trouve que c’est une belle évolution.
« Le problème du Luxembourg, c’est qu’on y est bien, qu’on y a les fesses au chaud: lorsque tu as un travail, tu as toujours peur de tout lâcher pour une nouvelle aventure. «
Ta discographie est juste hallucinante pour un projet qui n’existe que depuis un peu plus de deux ans.
Oui. Je crois que je suis un petit peu hyperactif (rires). Et pourtant, deux ans après avoir quitté mon boulot pour vivre mon rêve, je compose moins que lorsque je travaillais. M’occuper des réseaux sociaux, répondre aux fans, tout cela me prend énormément de temps. Je m’y mets dès que je me lève le matin mais lorsque je regarde ma montre, il est déjà cinq heures et il ne me reste plus assez d’énergie pour être créatif. Mais j’essaie de m’organiser du mieux que je peux.
Est-ce que c’est facile pour toi de composer?
Facile, oui et non. Mon premier album a été réalisé en un mois mais le dernier – sans compter les EP, remixes et singles – m’a pris un peu plus d’un an. Pour moi, c’était un grand changement dans la mesure où je suis normalement beaucoup plus rapide en terme d’écriture. Mais cette fois-ci, je ne sais pas si c’était la pression liée à la réussite de mon premier album, toujours est-il que j’ai ressenti pas mal de moments d’hésitations et d’incertitudes. C’est vraiment Sara de Diverting Duo qui m’a permis de finaliser le disque. Dès le moment où elle a mis sa voix sur les morceaux inachevés, cela a permis d’accélérer le processus, d’arriver à un point où j’étais fier du résultat et de terminer le disque.
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Ça t’ennuie de travailler trop longtemps sur tes chansons?
Normalement, je te dirais oui. Mais étant donné que composer est devenu mon activité principale, je peux beaucoup travailler sur un morceau sans même voir le temps passer. J’ai l’impression de ne rien faire alors que cela correspond à beaucoup de travail. Je ne pourrais donc pas te dire si je prends trop ou pas assez de temps pour une chanson. Et puis une fois que celle-ci est terminée, elle n’est toujours pas finalisée. Je vais ensuite beaucoup l’écouter pour être sûr qu’elle me touche et à force, il y a toujours de nouvelles choses qui me viennent en tête: des sons qui découlent de coïncidences, qui sont arrivés au bon moment. Cela peut-être un clignotant pendant que je conduis en écoutant mes maquettes ; un bruit pas en rythme mais avec justement ce contre temps qui me plait. J’essaie de retenir cette idée jusqu’à mon domicile pour la rajouter tout de suite sur le morceau. Le hasard a souvent le bon goût de te proposer des idées intéressantes.
Tu as recyclé certains de tes anciens morceaux pour Sun Glitters?
Non, pas vraiment. Mon groupe précédent s’appelait Sug(r)cane, baptisé ainsi à cause d’un morceau de Sonic Youth. Le projet a existé environ douze ans pendant lesquels j’ai tout essayé dans le domaine de la musique électronique : de l’expérimental, du trip-hop… En 2011, lorsque j’ai commencé Sun Glitters, je voulais tourner une page et commencer quelque chose de nouveau. Bien sûr, il y a des sons qui reviennent. Par exemple, les boucles de guitare des derniers morceaux sont des samples de l’époque. Dans mon ancien projet, je les utilisais beaucoup pour créer des mélodies.
C’est le même plaisir de jouer avec une basse sur scène et derrière des machines?
C’est différent. Le fait de jouer dans un groupe, c’est plus facile pour la scène: on est accompagné, on se sent moins seul et il y a toujours un côté visuel. En ce qui concerne la musique électronique, les gens pensent souvent que l’on appuie sur Play et que le concert se déroule par lui-même, qu’il n’y a rien qui se passe. Sauf qu’avec un ordinateur, je gère tout alors qu’auparavant nous étions à quatre pour le faire. Ce n’est pas parce qu’il y a du monde sur scène en train de jouer des instruments que ces musiciens là font plus qu’un artiste électronique seul sur scène avec ses machines. Je sais que je suis toujours nerveux pour un concert électronique parce que j’ai conscience du nombre de choses à prendre en compte: toute une atmosphère, tout un monde. En groupe, tu peux être trois, quatre, cinq personnes pour t’occuper de tout cela. Pour moi, il est peut-être plus facile de jouer de la basse que de la musique électronique. Et puis, cela n’empêche en rien d’être innovant. Depuis mon ancien projet, je n’ai jamais joué le même concert ; chaque setlist est différente. J’essaie toujours de rajouter quelque chose de nouveau pour me mettre en danger. Ce soir, par exemple, sera aussi complètement original : je vais sampler et créer des nouvelles mélodies en live ce qui n’est pas évident.
« Kevin Shields a directement influencé mon univers musical et j’ai utilisé certaines méthodes décrites dans ses interviews. »
Beaucoup de musiciens électroniques, toi inclus, expliquent que My Bloody Valentine est l’un de leur groupe fétiche. Tu sais pourquoi?
C’est un groupe que j’ai découvert il y a très longtemps, chez mon cousin, au Portugal. Il me l’avait fait écouter sur vinyle et déjà à l’époque, j’avais trouvé cette musique totalement révolutionnaire. J’étais un grand fan des Cure mais par rapport à tout ce que j’écoutais, c’était un son tellement nouveau et impressionnant. Loveless est une oeuvre artistique majeure. Je suis devenu un grand fan du groupe et je crois avoir ensuite lu toutes les interviews existantes de Kevin Shields : sa manière de s’exprimer me correspondait et j’avais l’impression que nous étions sur la même longueur d’onde. Son processus de création a directement influencé mon univers musical et j’ai utilisé certaines méthodes décrites dans ses interviews. Pour ce qui est des autres musiciens électroniques, c’est délicat de te répondre. C’est le genre d’influences que tu ne comprends qu’en écoutant la musique mais quoiqu’il en soit, il y a constamment quelque chose d’évidemment magique au niveau du son chez My Bloody Valentine et c’est probablement ce que tout le monde ressent.
Le groupe ou les musiciens avec qui tu aimerais collaborer ou que tu rêverais de remixer?
My Bloody Valentine, bien sûr! (rires) Je pense que ce serait un beau challenge. J’adorerais remixer Gold Panda et je suis tombé amoureux d’un groupe suédois appelé I Break Horses l’an dernier. J’ai croisé la chanteuse lors d’un festival au Luxembourg et il y a eu un très bon contact. C’est le genre de rencontres qui te donne envie de faire un mix. Et puis, je préfère remixer des groupes rock plutôt que des groupes électroniques. Le challenge est plus intéressant et plus complexe: tous les groupes rock ne jouent pas ou n’enregistrent pas avec un métronome. Alors que pour les groupes électroniques, le travail est fait à 50%.
Ton deuxième album, tu le situes où par rapport au reste de ton travail?
Il y a un vrai changement par rapport à mes oeuvres précédentes. Déjà, la rythmique n’est plus aussi saccadée, plus autant « broken beats » qu’auparavant. La voix contribue beaucoup notamment au côté pop du disque. Mais je n’ai pas forcément réfléchi pour cet album; je compose en m’imprégnant de tout ce que je vis, de ma vie privée, de ce qui m’entoure. Si j’avais eu plus de problèmes, ma musique serait certainement plus sombre.
« Je compose en m’imprégnant de tout ce que je vis, de ma vie privée, de ce qui m’entoure. »
Est-ce que tu pourrais écrire des compositions plus house ou dance?
Je ne crois pas. Ce n’est pas mon genre. Si je sors boire un verre en boîte avec des potes, je suis capable de bouger ma tête ou mon corps au rythme de la musique parce que je passe un bon moment. Mais ce n’est pas mon truc ou mon but d’être sur scène et de faire danser les gens.
Les gens ne dansent pas sur ta musique?
Ça dépend. J’ai déjà eu de sacrées surprises en concert (sourire). Mais généralement, les gens se concentrent sur ma musique et les vidéos pour rentrer dans mon monde. Peut-être que les nouveaux morceaux vont les faire bouger un peu plus. Mais ce n’est pas mon objectif de faire de la dance-music.
Tu collectionnes les collaborations avec d’autres artistes. Ce n’est pas compliqué à gérer?
Avec Internet, les choses sont beaucoup plus faciles. Et puis pour l’instant, j’ai eu beaucoup de chance car je ne me souviens pas d’une collaboration qu’il a fallu corriger. A chaque fois que j’ai envoyé un morceau à quelqu’un avec qui je voulais collaborer ou qui voulait travailler avec moi, je me suis rendu compte après avoir reçu le chant que la personne avait compris et assimilé mon univers et que ça collait très bien. Après, il est clair qu’au moment du mix, je vais encore retravailler le chant et rajouter des effets…
Parle-moi justement de ta collaboration avec Sara des Diverting Duo sur le nouvel album.
Nous nous sommes rencontrés en Sardaigne, à Cagliari. J’étais invité pour jouer un concert et ce soir-là, Sara est arrivée avec son copain pour me demander s’ils pouvaient me filmer. Après le concert, nous sommes allés au restaurant. En discutant, j’ai remarqué qu’ils étaient fans de ma musique et nous avons échangé nos disques. Après être rentré chez moi, j’ai écouté leur album et je me suis dit « Merde, mais ce truc est génial ». Il y a un côté Lali Puna que j’adore dans leur musique. Ils m’ont ensuite recontacté pour me demander de réaliser un remix d’un de leurs morceaux et j’ai tout de suite accepté. En travaillant les voix de Sara, je me suis rendu compte qu’il y avait une alchimie particulière qui se dégageait entre mon travail et son chant. Du coup, je lui ai demandé si elle n’avait pas envie de chanter sur un de mes morceaux. Quand elle m’a renvoyé son travail, j’ai remarqué que tout s’accordait particulièrement bien. A ce moment, je n’arrivais pas à voir le bout de mon album, j’avais l’impression d’être dans un tunnel. Du coup, je lui ai demandé si elle ne voulait pas m’aider à le finaliser. Et dès qu’elle a posé sa voix, le processus s’est accéléré. Évidemment, sur le moment, j’ai hésité car son travail modifiait complètement l’atmosphère de certains morceaux. Mais étant donné le talent de Sara, cela ne m’a posé finalement aucun problème. C’est elle qui s’est occupée de la mélodie vocale et des paroles. Parce que pour ce qui est des collaborations, je ne suis pas quelqu’un qui impose quoique ce soit. Je veux que les gens se laissent aller avec ma musique et qu’ils en fassent ce qu’ils veulent. Après, les collaborations peuvent s’établir sur du plus ou moins long terme : Stefaloo et Sara sont vraiment les deux artistes qui ont atteint mon objectif, ont réussi à comprendre où je voulais aller sans que je leur donne une direction. Sleep Party People fait aussi partie de mes collaborations préférées. Mais parfois, tu comprends qu’il vaut mieux arrêter la collaboration à un seul morceau pour ne pas rompre la magie. C’est une question de feeling et jusqu’à aujourd’hui, ma chance a été de bien sentir les choses.
« Je n’arrivais pas à voir le bout de mon album, j’avais l’impression d’être dans un tunnel. Mais dès que Sara des Diverting Duo a posé sa voix, le processus s’est accéléré. »
Ce n’est pas décevant de promouvoir cet album tout seul?
Il y a déjà eu un concert à deux à Rome mais jouer ensemble est un équilibre délicat à trouver parce que l’on ne peut pas répéter. Cela reste tout de même une belle expérience surtout avec le peu de temps dont nous disposions pour le préparer. Mais je ne me sentais pas vraiment à l’aise lors de ce concert. En live, seul, j’ai tendance à me laisser aller, à suivre l’atmosphère tandis que là, je devais respecter les moments où Sara commençait à chanter. Si nous avions la chance de pouvoir répéter plus souvent, il y aurait des automatismes qui se créeraient et je n’aurais pas de problèmes à demander plus de concerts ensemble. Sans oublier que c’est aussi une question de disponibilités et d’argent puisque nous venons de deux endroits différents.
Ton morceau préféré sur cet album?
Même si je n’arrive pas à jouer ce morceau en live, j’ai un gros penchant pour « Lonely Trip ». Il me touche car cette chanson déborde d’émotions et la façon dont Sara chante dessus est incroyable.
J’aime bien la vidéo de « OnlyYou ».
Ce sont des copains, membres d’une organisation luxembourgeoise qui l’ont réalisée. Ils ont fait un super travail, très professionnel. Lorsque je leur ai présenté la chanson, tout de suite ils ont eu une histoire à me proposer. C’est l’une des premières fois où des vidéastes se sont mis à parler scénario avec moi. Leur pitch collait à la fois à la musique et au titre du morceau. Le sujet me ramenait aussi en arrière avec cette histoire qui arrive à tous les adolescents pendant une journée. J’aime d’ailleurs ce lien temporel avec ma musique : lorsque je compose un morceau, il va refléter indirectement ce qui s’est déroulé sur une journée et ici, c’est l’histoire toute simple d’une journée entre deux jeunes qui s’aiment.
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Tes projets pour 2014?
Cela faisait longtemps que j’avais le projet de sortir un livre de mes illustrations mais question budget, ce n’était pas possible. Mon label japonais a tout de suite été partant. Ce sera un bel objet. Le livre s’appelera « Vanished Moments » car l’image y représente l’immédiateté de l’instant : un effet a été posé sur une photo sans possibilité de retour en arrière. Ce n’est pas un fichier graphique sur lequel tu peux retravailler ou un fichier audio que tu peux restructurer. Par contre, est-ce que ce sera « Vanished Moments par Sun Glitters » ou vais-je utiliser mon véritable nom, je ne sais pas.
C’est important pour toi de toujours t’occuper de ton graphisme?
Oui. Je désire conserver une identité visuelle qui colle avec mes projets. Je me rappelle de l’époque des magasins de musique ; c’est par l’intermédiaire des pochettes que je trouvais jolies que je découvrais des nouveaux groupes. Et parfois j’avais de très belles surprises. J’aime l’idée que les gens empruntent quelquefois un tel chemin pour découvrir ma musique.
Photos: Orimyo
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.