Après avoir activement participé, durant la plus grande partie des années 1980, aux débuts de la scène rock, post punk et new wave nîmoise avec Les Tricheurs puis 85 a, Manu Waffler, guitariste, auteur et compositeur a été (avec la chanteuse et accordéoniste Mira) membre fondateur de Zaragraf, collectif aux inspirations ethniques nomades, venues du flamenco et des musiques des Balkans. Pendant plus de deux décennies d’activité Zaragraf a enregistré sept albums, sillonné l’hexagone mais aussi l’Europe, recevant une véritable reconnaissance dans le domaine des musiques actuelles indépendantes. On se souvient, entre autres grands moments, d’une brillante prestation sur la scène de la SMAC Paloma , donnée en première partie d’un enthousiasmant concert d’ Emir Kusturica.
Homme plus enclin à la discrétion qu’à l’exposition de l’égo, Manu Waffler est un musicien ouvert et curieux des différences, se considérant lui-même comme « artiste nomade » au croisement d’influences culturelles diverses. Ainsi faut-il comprendre le paysage musical de Waffler comme une étendue sonore non cloisonnée, temporellement et idéologiquement issue de la vague rock/ DIY . Dans un long entretien, préalable à l’interview, nous parlerons aussi bien de Doctor Feelgood inspirateurs de The Clash et du jeu de guitare de Paul Weller avec The Jam, que du prog d’Humble Pie ou des Runaways , variantes féminines de Kiss, que des Ramones comparés aux Pistols, avant d’échanger quelques considérations sur chanson française rive gauche, jazz manouche et la toujours très active scène flamenco nîmoise. Ce qui s’appelle de l’éclectisme.
Avec Zaragraf
Voici deux ans Waffler, après la mise en stand by de Zaragraf, a publié un premier album solo sur le label nîmois Melodia , dont il s’occupe par ailleurs ainsi que des artistes qu’on trouve sur son catalogue. Un exercice en solitaire auquel il n’était pas habitué, tant il s’est toujours senti un acteur (certes important) parmi les membres d’un collectif. DarkGlobe.fr a voulu en savoir un peu plus. Interview!
Tu as sorti Recigal ton premier album solo en 2023, mais l’enregistrement a débuté en 2015. Pourquoi tout ce temps ?
J’avais enregistré une douzaine de titre en 2016 mais… Il y eut un « 5 titres » fait avec Josef Anonimes c’était suffisant ainsi ! J’ai retravaillé certains morceaux, « profité » du confinement et je suis arrivé à un équilibre qui me convenait. C’est là un avantage d’être seul aux commandes et de ne plus respecter de dead lines !
Recigal est un titre qui ressemble à l’association de plusieurs mots. Peux-tu nous expliquer ce qu’il désigne ou signifie ?
Un ami à qui j’annonçai que j’allais faire un truc seul sur scène m’a dit « un récital » ? N’étant pas premier prix de conservatoire j’ai pensé que ce serait plus approprié de l’appeler « Recigal » !
La première chanson « Oh Kaliméro » est pleine de second degré, d’humour. Quel est selon toi le ton général du disque ?
Le ton c’est bon ! (Enfin pas trop souvent)
Tes influences musicales sur cet album sont multiples. Mais y a-t-il une ligne de force qui est transversale et qui le structure ?
Oser ! …Se lancer le challenge de faire des choses tout seul comme un grand et de voir ce qui se passe, aborder certains thèmes, et présenter tout cela sous la forme que j’ai connue lorsque j’ai découvert la musique : un album !
Tu es auteur et compositeur des douze titres, mise à part la reprise de Bashung « Osez Josephine ». Quel est ton mode d’écriture, de composition ?
Pas ou peu de règles, je pars parfois d’une musique, parfois une idée de texte, d’une thématique, j’ai aussi des pulsions créatives en franglais !… Je crois que pour que ça fonctionne, il faut qu’il y ait du plaisir et de la souffrance !
Les arrangements et musiciens additionnels sur disque valorisent les chansons en leur donnant du relief. Comment joues-tu ce répertoire sur scène ?
En ce moment je présente le Récigal seul sur scène, avec ma guitare quelques boucles avec des morceaux de l’album, des textes , un conte et si possible toujours une nouveauté .
Après les années Zaragraf , formation et aventure collective au travers de laquelle tu as été connu durant ses 20 ans d’existence , comment ressens tu cette aventure solo ?
Cela m’a obligé à me découvrir, à me bousculer, à surmonter le doute, à être plus à l’écoute du monde. C’est impressionnant, exaltant la liberté de bidouiller ! Par contre s’occuper de tout … la communication , la recherche de dates pour soi-même …c’est moins stimulant !
Tu viens du rock, plus particulièrement du post punk au début 1980 avec Les Tricheurs, que gardes tu en toi de cette époque, de ce départ dans la musique ?
J’ai eu vite les oreilles attirées par les sons de guitares électriques. Je me suis vraiment branché musique dans la deuxième partie des seventies, c’était une période passionnante. Il y avait la découverte de la musique des sixties, les papys du rock et du blues, Bob Marley, la nouvelle génération : Television, Devo, Joe Jackson, Doctor Feelgood … Et puis les punks ces jeunes mecs de notre époque à toi et moi, qui te disaient « do it yourself », ce que nous avons vaillamment tenté de faire. Mes amis des Tricheurs, quant à eux, sont dans mon cœur …. Si j’avais su dans les années 80 que j’écrirai ça un jour !
Tu t’es ensuite tourné vers une musique hybride, ethnique, avec Zaragraf; aujourd’hui tu chantes en français des textes qui flirtent volontiers avec l’absurde, une certaine chanson française second degré … Mais qu’est-ce qui finalement te caractérise le plus ?
Deux périodes différentes ! Je me suis éclaté à vivre l’aventure de Zaragraf, la vie de tournée qui n’est pas toujours facile me convenait. Et puis j’ai découvert des domaines musicaux que je ne connaissais pas : les musiques tsiganes , le flamenco … toutes ces musiques si nuancées, expressives , profondes ….
Nul n’est génération spontanée. Pendant notre discussion nous avons évoqué de nombreux artistes et groupes. Desquels te sens tu le plus proche ?
Cela dépend vraiment de mon humeur Je suis admiratif de plein d’artistes. J’ai toujours l’envie entendre un bel enchainement d’accord, de découvrir une nouvelle voix qui me fait vibrer
Le champ musical de Zaragraf était très ouvert. Il y a plusieurs entrées également dans ton travail solo. Mais quelle(s) musique(s) n’écoutes tu jamais ou rarement ? Y a-t-il une raison à cela ?
La variétoche, les marches militaires, les chansons systématiquement autotunées, les musiques folkloriques figées, la musique de facho ! Ça me donne des crampes à l’estomac et des acouphènes …fuck !
Crédits photos label Mélodia
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.