Bergen, mai 2013. La ligne de chemin de fer venue d’Oslo (plus beau voyage en train du monde selon le Lonely Planet soit dit en passant) s’arrête ici, à l’entrée des fjords de Norvège, dans la seconde ville du pays. Juste à côté de la gare ferroviaire, dans le salon du bien nommé et très joliment classique Hôtel Grand Terminus, Eirik et Kristopher de Love Dance nous attendent. Emballés par leur fabuleux single « Safe Sounds », sa dream-pop indie sous influences années 90 aux lumineuses guitares et mélodies de très bon goût, nous n’avons pas hésité un instant à leur demander un entretien même au milieu de nos belles vacances scandinaves.
Au moment de les rejoindre, nous faisons un listing des informations que nous avons pu réunir à leur sujet: le 45 tours Elevate sorti chez Beko, un excellent EP 3 titres facétieusement intitulé Best of… et disponible gratuitement sur leur Bandcamp, des photos de promotion volontairement surexposées et une poignée de renseignements un peu vagues glanés sur Internet. Alors bien sûr, à postériori, force est de constater que ces investigations ne sont pas allées aussi loin qu’elles auraient dues et que nous avons ainsi zappé un excellent album intitulé Result très Sarah Records paru en 2007 chez les allemands de Marsh Marigold. Unique excuse à ce manque de rigueur journalistique: notre conscience professionnelle s’est épuisée contre les multiples références et pages googlesque d’un morceau de Mylène Farmer appelé « Love Dance » (super…) ; épreuve qui, tu en conviendras ami lecteur, aurait désarmé plus d’un possible candidat au prix Pulitzer. Un oubli dont les deux vikings de Love Dance ne nous tiendront pas rigueur, préférant afficher leur amateurisme musical éclairé et une forte volonté d’indépendance.
Vous pouvez nous en dire un peu plus sur Love Dance?
Kristopher: Eirik et moi sommes les deux membres originaux et principaux du groupe. Eirik s’occupe de la guitare solo et de toute la programmation tandis que je chante et joue de la guitare rythmique. Nous composons tous les deux et ne faisons rien l’un sans l’autre. Si l’un d’entre nous a une idée, il la communique tout de suite au second. Nous avons commencé en 2004 et depuis nos débuts, deux bassistes se sont succédés. Nous jouons avec le même depuis 5 ans. Des techniciens de studio nous rejoignent parfois en concert.
Eirik: En définitive, c’est nous qui prenons les décisions et faisons marcher le business (rires).
Vous vous connaissez depuis longtemps?
Eirik: Depuis 2001. Cela fera douze ans maintenant. Mais nous avons commencé le groupe en 2004.
Vous êtes des musiciens à la base?
Eirik: Non, pas du tout. En tous cas, pas d’une manière traditionnelle, pas comme tu peux l’envisager. Nous nous considérons plutôt comme des personnes passionnées par la musique. Nous avons toujours estimé qu’il était plus important de s’intéresser à celle-ci que de savoir vraiment jouer. Kristopher faisait le DJ au club des étudiants où nous avions l’habitude de trainer.
Kristopher: Nous avons appris à jouer deux accords de guitare par nous-mêmes mais nous ne nous sommes jamais considérés comme des musiciens.
Eirik: Notre approche est probablement différente des autres groupes. Nous nous concentrons sur l’aspect culturel de la musique, essayons d’en appréhender les différentes dimensions, au lieu de nous consacrer aux côtés techniques. Même si nous nous sommes améliorés de ce point de vue.
Kristopher: Depuis peu de temps, nous commençons à comprendre pourquoi et comment jouer de différents instruments peut améliorer notre musique. Jusqu’à maintenant nous étions plus intéressés à écouter de la bonne musique et à ne pas essayer de toujours jouer de la guitare de la même manière (sourire).
Vous avez une approche très intellectuelle.
Eirik: Peut-être. En tous cas, nous nous concentrons théoriquement sur ce que nous faisons avant de le mettre en pratique.
Kristopher: Nous n’avons jamais été un groupe qui passait beaucoup de temps dans le studio de répétitions. Nous n’avons même pas de batteur donc même la perspective de jammer devient très compliquée.
C’est une manière assez inhabituelle d’envisager la musique.
Kristopher: Vraiment? Non, je ne crois pas. La plupart des groupes que j’apprécie sont des gens intéressés par la musique, qui apprennent deux ou trois accords et se lancent à ce moment.
Vous vous êtes appelés Try Happiness qui était, selon moi, un super nom de groupe. Pourquoi en avez-vous changé?
Kristopher: Try Happiness n’a jamais été notre nom officiel. C’était juste un nom que nous avons utilisé pendant deux mois pour nos démos.
Eirik: Nous avons rapidement changé pour Love Dance. Et sincèrement, il n’y a pas de grande histoire derriere celui-ci.
Kristopher: Il est juste agréable d’avoir un nom de groupe qui ne veut rien dire et que personne ne va s’acharner à interpréter surtout lorsqu’il n’y a rien à expliquer derrière.
Love Dance n’est quand même pas un nom génial pour le marketing. Vous êtes quasiment introuvables sur Google.
Kristopher : C’est l’histoire de notre vie! Nous sommes nuls en marketing.
Eirik: En même temps, nous n’envisageons pas notre musique sous cette perspective.
Comment êtes-vous entrés en contact avec le label allemand, Marsh Marigold, qui a sorti vos premiers EP et album?
Kristopher: A cette époque, nous achetions beaucoup de musique sur Internet. Cela nous a permis d’entrer en contact avec pas mal de petits labels. Nous avons envoyé une démo de notre tout premier morceau enregistré sur un 8 pistes au responsable de Marsh Marigold et il a tout de suite été intéressé.
Eirik: Ensuite, il nous a demandé trois autres chansons qui sont devenues notre premier EP.
Kristopher: Comme tu peux le remarquer, nous travaillons en flux tendu, toutes nos chansons sortent au fur et à mesure et nous n’en avons aucune prête à sortir en stock (rires).
Vous a-t-on demandé de tourner ou de faire de la promotion?
Kristopher: Non, pas du tout. Marsh Marigold a sorti, distribué le CD et voulait juste que nous fassions les choses à notre manière.
Quelques années plus tard, vous avez intitulé un EP de trois titres Best Of… contenant uniquement des nouveaux morceaux. C’était ironique?
Eirik: Les dernières chansons composées sont souvent celles que tu préfères (sourire). Au niveau de la production, Best of… présentait, non pas les meilleures chansons que nous ayons jamais écrites mais sans doute le meilleur résultat que nous ayons obtenu jusqu’alors. Nous nous sommes occupés de la production par nous mêmes et nous pensons que ce EP a un bien meilleur son que notre travail précédent.
Kristopher: Nous l’avons appelé Best of… par rapport au EP de 2005 et à l’album intitulé Result sorti auparavant en 2007. Pas mal de temps s’est écoulé entre Result et Best of… Il faut que tu comprennes qu’à l’époque de Result, nous ne connaissions absolument rien aux techniques de studio. Au fil du temps, nous avons un peu plus appris. Pour le EP, j’ai proposé à Eirik de nous occuper à 100% de la production. Cela correspondait un peu à un nouveau départ pour nous. Nous avons toujours besoin de l’aide de techniciens mais nous savons désormais comment obtenir le son dont nous avons envie.
Eirik: En plus les logiciels d’enregistrement se sont vraiment améliorés depuis 2006 et sont désormais non seulement plus abordables financièrement mais aussi bien plus accessibles aux non professionnels. L’aspect Do It Yourself s’est beaucoup développé.
Kristopher: Et nous ne nous privons pas d’utiliser les versions numériques d’instruments classiques ou analogues pour arriver aux sonorités que nous désirons. Du moment que cela reste facile!
Mais les points de suspension à la fin du titre du EP sont-ils importants ?
Kristopher: Si tu estimes que ces points de suspension signifient qu’il nous reste des choses à raconter alors oui, ils sont importants. Mais au final, tu as ton interprétation sur ce sujet qui est au moins aussi bonne sinon meilleure que la mienne.
Eirik: Sans ces points de suspension, le sens du titre du EP aurait été tellement évident. Ils le rendent plus incertains et laissent des questions en suspens. Dans tout ce que nous réalisons, nous préférons toujours garder une ouverture pour une interprétation personnelle.
Sur le morceau « Bergen, again », vous chantez « It’s a rainy day in Bergen but we don’t care cos we’re in heaven« . C’est une déclaration d’amour à votre ville natale ou vous étiez juste complètement défoncés lorsque vous avez écrit cela? (rires)
Eirik: Nous sommes extrêmement fiers de notre ville. Il n’existe nulle endroit dans le monde où je me sens autant chez moi.
Kristopher: Il pleut plus de 300 jours par an à Bergen ce qui peut te sembler horriblement déprimant mais nous nous en fichons complètement car cette ville est un vrai paradis pour nous.
« Il pleut plus de 300 jours par an à Bergen ce qui peut te sembler horriblement déprimant mais nous nous en fichons complètement car cette ville est un vrai paradis pour nous. »
Est-ce vous pouvez définir de manière plus précise votre « straight up Scandinavian middle class pop from Bergen« ?
Eirik: Musicalement, une grande partie de notre inspiration vient des années 80, une période durant laquelle il y avait une vraie lutte des classes. De nos jours, nous avons des problèmes tout à fait différents mais que tu retrouves dans nos paroles.
Comme la pluie?
Eirik: Peut-être même si la météo n’est, bien entendu, pas le plus grand problème sur la terre.
C’est aussi une question de modestie?
Kristopher: Nous écrivons sur ce que nous connaissons et je t’avoue sans peine que nous n’avons pas vécu grand chose qui ressemble à une lutte. Nous venons de la classe moyenne norvégienne; d’un point de vue matériel, nous sommes comblés mais cela ne veut pas pour autant dire que nous n’avons aucun problème. Nos challenges sont plus substanciels que directement comme trouver de quoi se nourrir quotidiennement. Ecrire nos chansons, du point de vue de la classe moyenne et de la façon la plus directe possible est la manière de nous exprimer la plus honnête que nous avons trouvé! Peut-être que c’est aussi une perspective très scandinave car, après tout, beaucoup de personnes rapprochent notre musique de celle des suédois de The Radio Dpt.
Comment pouvez-vous être ambitieux avec votre musique si vous êtes aussi relax avec elle?
Kristopher: Nous nous efforçons toujours à faire de notre mieux musicalement et c’est quelque chose qui, à la base, nous pousse déjà constamment. Parce que, bien sûr, nous n’avons pas besoin de faire de la musique pour gagner de l’argent et nourrir notre famille.
Mais alors quelle importance tient la musique dans vos vies?
Kristopher: Nous avons un travail quotidien. Tu pourrais donc considérer que nous prenons notre musique comme un hobby mais nous passons beaucoup de temps à réfléchir sur nos concepts musicaux, même si c’est quelque chose d’assez difficile à définir. Mais ce qui nous appartient et nous rassemble, c’est notre groupe. Nous réfléchissons sur la structure des morceaux, travaillons sur les paroles ensemble.
Eirik: En effet, nous recherchons constamment l’inspiration. Love Dance est une partie extrêmement importante de notre vie et notre amitié s’est construite sur cette musique que nous imaginons ensemble.
Kristopher: C’est la meilleure façon que nous avons trouvée pour nous exprimer et nous réfléchissons constamment à comment le faire de la meilleure manière. Mais nos principaux auditeurs sont nous-mêmes, nous écrivons les chansons que nous aimons et si il y a uniquement deux autres personnes dans le monde qui les apprécient aussi, c’est très bien comme cela.
Mais vous avez un objectif avec votre musique?
Kristopher: Notre but principal est d’écrire des chansons qui nous plaisent. Et je crois sincèrement que si tu écris de la musique de qualité, avec le temps, elle se promouvra d’elle-même. Nous ne voulons pas dire aux gens que ceci est une bonne chanson, nous voulons qu’ils l’entendent et s’ils sont d’accord, très bien. Et s’ils ne le pensent pas, il n’y pas non plus de problème.
« Notre but principal est d’écrire des chansons qui nous plaisent. Et je crois sincèrement que si tu écris de la musique de qualité, avec le temps, elle se promouvra d’elle-même. «
Votre philosophie ressemble à celle de Factory Records.
Kristopher: Cela n’a jamais été une stratégie de suivre les idéaux de Factory Records, c’est juste ce qui semble le plus correspondre à notre volonté.
Avec cette absence de promotion, vous avez des retours de vos auditeurs?
Kristopher: De temps en temps, oui. Et je crois que c’est une bonne représentation de la manière dont Internet a fait évoluer les choses comparé à dix ans de cela. Il est devenu tellement plus facile de contacter et donner des retours et pour nous, de faire entendre notre musique.
Eirik: Nous laissons le temps à nos chansons de se diffuser par elles-mêmes donc les prises de contact se font rarement immédiatement. Certains auditeurs nous ont contacté plus d’un an après la sortie de Best of… pour nous en parler.
Si je vous dis que vous auriez pu être un groupe C86?
Kristopher: Plus jeunes, nous écoutions beaucoup plus ce genre de groupes et ce sont eux qui nous ont appris les quelques choses que nous connaissons sur les instruments. Ils ont bien entendu influencé notre écriture.
Eirik: Nos morceaux seront toujours construits sur des guitares. Mais évidemment, nous nous intéressons à d’autres styles de musique. Tu ne l’as peut-être pas remarqué mais nous volons des idées à bien d’autres genres musicaux comme la house, le hip-hop ou même les groupes de Factory Records dont tu parlais plus tôt. Maintenant, être un groupe C86 n’a jamais été notre ambition. Car nous avons toujours ce désir d’avancer, de franchir de nouvelles étapes.
Eirik: Nous avons joué à Oslo, Trondheim, Stavanger ainsi qu’en Angleterre au Festival IndieTracks l’an dernier. Si quelqu’un nous invite (et on adorerait venir en France), il y a de grandes chances pour que nous venions ou au moins que nous prenions sérieusement en compte l’opportunité… D’ailleurs, on assure pas mal en live (rires).
Kristopher: Je trouve que nous sommes meilleurs sur disque qu’en concert mais Eirik n’est pas d’accord avec moi (sourire).
Comment en êtes-vous arrivés à travailler avec Beko?
Eirik: Il nous a contacté après que nous ayons mis en ligne Best of... Il a choisi un des morceaux du EP intitulé Skisse#3 pour l’incorporer à sa compilation numérique de 100 morceaux. Nous avons eu un très bon feeling avec lui, il a su nous donner des impulsions et un stress positif pour écrire des nouveaux morceaux.
[youtuber youtube=’http://www.youtube.com/watch?v=xb8w4K2TUZA’]
Kristopher: Après avoir décidé de distribuer des 45 tours physiques, il nous a demandé, ainsi qu’à quelques autres, si nous voulions participer. Parce que nous avions dit oui, il nous a poussé à produire quelque chose, accélérer notre manière de travailler puis à enregistrer et distribuer le 45 tours Elevate.
Aucun des deux titres du single ne contient le mot « Elevate », alors pourquoi lui avoir donné un nom?
Kristopher: Je crois que c’est parce que nous ne sortons pas d’album en ce moment et que c’est juste un bon titre que l’on voulait utiliser. J’estimais, et je le pense encore, que c’est une bonne idée.
Eirik: Le mot a un sens très fort aussi: « Ecoute notre 45 tours et élève-toi » (rires)!
Qu’est-ce que vous pensez de la vidéo de « Safe Sounds », réalisée par un français?
Kristopher: Un ami de Beko nous a proposé de réaliser cette vidéo et c’était déjà très sympa de sa part. Je trouve qu’il a vraiment fait du beau boulot. Les images procurent une atmosphère à la chanson qui lui correspond très bien.
A quoi ressemble la scène musicale à Bergen?
Kristopher: C’est extrêmement actif et c’est, sans discussion possible, de loin le meilleur endroit où écouter et faire de la musique en Norvège.
Eirik: La grande majorité de la musique norvégienne actuelle intéressante vient de Bergen.
Kristopher: Mais nous ne faisons pas partie de cette scène. Nous la connaissons parce que nous allons en concert, faisons le DJ de temps en temps et connaissons des musiciens qui jouent dans plusieurs groupes différents mais nous n’avons jamais rêvé de travailler dans la musique d’une manière professionnelle. Nous jouons peut-être une fois par an à Bergen. Je crois que presque personne ici ne nous connait. Nous n’avons rien d’un groupe local ou alors extrêmement local puisque notre notoriété se situe ici, entre Eirik et moi. (rires)
Eirik: En plus, nous avons aussi une idée assez claire de ce que nous voulons faire. Alors, faire partie d’une scène musicale, laisser des gens s’impliquer dans notre musique, d’une manière ou d’une autre, c’est aussi courir le risque de la changer. Nous voulons absolument garder le contrôle.
Kristopher: Laisser les autres avoir un droit de regard sur notre travail nous est très difficile. En ce qui concerne la musique, nous ne faisons confiance qu’à nous-mêmes.
« Laisser les autres avoir un droit de regard sur notre travail nous est très difficile. En ce qui concerne la musique, nous ne faisons confiance qu’à nous-mêmes. »
Qu’est-ce que l’on peut espérer de vous dans le futur?
Eirik: De nouvelles et meilleures chansons. Nous avons tout planifié même si rien n’est encore définitif. Nous sommes vraiment fiers de nos nouvelles compositions et nous espérons les enregistrer et sortir de nouveaux disques prochainement. Tout le reste, sur quel format, sur quel label, le nombre de chansons, tout cela viendra par la suite. Pour l’instant, l’essentiel pour nous se trouve dans l’écriture. Quoiqu’il en soit, j’espère que nous arriverons à te surprendre.
Photos: orimyo
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.