Je ne connaissais From Monument To Masses que de nom quand Golden Antenna m’a proposé de m’envoyer leur dernier EP. Découverte intéressante tant musicale que personnelle puisque ces trois messieurs, outre leur savoir faire indéniable avec des instruments de musique, semblent également avoir cette qualité simple mais rare qui consiste à voir plus loin que leur propre nombril. L’implication de leurs convictions politiques et philosophiques dans leur musique passe certes par divers samples mais ce signe particulier se révèle aussi de façon bien plus subtile. Rencontre.
Pour commencer, une petite présentation? De qui est composé From Monument To Masses?
Matthew Solberg (guitare): Matthew, je joue de la guitare et fais aussi les boucles (de guitares). Je travaille dans le bâtiment et la charpente pour gagner ma vie. J’ai rencontré ces types (Sergio et Francis, NDLA) en 2000, lorsque je suis arrivé à San Fransisco. J’ai grandi à Omaha, et j’ai commencé à jouer de la musique à Chicago.
Francis Choung (batterie): Je m’appelle Francis, je joue de la batterie, du clavier, et je m’occupe du programming, et des boîtes à rythmes. Je vis à New York depuis deux ans, ce qui fait de nous un groupe « bi-coastal », et je travaille dans le montage video.
Sergio Robledo-Maderazo (basse): – bzzz – (rires). Sergio Robledo-Maderazo, je joue de la basse et du clavier.
On commence par les questions chiantes… Tous les articles à votre sujet vous décrivent comme un groupe très engagé politiquement. C’est quelque chose que vous revendiquez, mais n’avez vous pas peur que ce soit un peu restrictif et que cela puisse reléguer votre musique au second plan?
Francis: C’est précis, oui car cette dimension politique fait vraiment partie de notre musique, les deux sont clairement indissociables… Bien sur, on l’assume totalement, et c’est donc assez naturel que le sujet revienne quand on parle de nous. Je trouverai ça dommage que les gens s’arrêtent à ce seul point de vue. Peut-être que la presse musicale a besoin de parler de ça comme quelque chose de différent, je ne sais pas… Mais dans les samples que nous utilisons par exemple, il y a le message mais il y a aussi la façon dont ils sonnent, dont nous les travaillons pour que le résultat musical soit intéressant… C’est un ensemble.
D’accord, mais si on regarde le paysage du « post rock » aujourd’hui, A part A Silver Mt Zion et quelques autres, peu de groupes ont ce genre d’engagement, la musique se tournant plutôt vers l’émotion…
Francis: Oui mais si tu y penses, un tel panorama d’émotions, c’est le vecteur parfait pour intégrer un message philosophique ou politique… Le hardcore ou le punk, c’est un peu toujours le même refrain, tu peux chanter sur l’anarchie, le chaos, ce genre de trucs, mais l’éventail de thèmes reste assez limité.
Sergio: Pour certaines personnes le fait de parler de politique est une mauvaise chose. Si tu regardes Rage Against The Machine, ils ont été vivement critiqués parce que malgré leur discours virulent, ils ont signé chez une major, et se sont fait beaucoup d’argent. Mais si tu y penses, combien de gens grâce à eux se sont intéréssés aux zapatistes, à Mumia Abu-Jamal…
Matt: Au Che…
Sergio: Oui, à Che Guevara aussi… Combien ont pris conscience de certaines choses? A vrai dire, on ne considère pas ça non plus comme quelque chose d’extraordinaire. L’organisation politique, les convictions qui vont avec sont des choses normales aujourd’hui, elles font partie de la vie de tous les jours. Combien de chansons existe t’il sur l’amour? Parfois tu as juste envie de parler d’autre chose!
Francis: Le risque avec le fait d’avoir un discours politisé, c’est de choisir inconsciemment de t’adresser à une classe de personnes plutot qu’à une autre. Mais c’est quelque chose que nous essayons d’éviter dans nos chansons.
C’est vrai. d’ailleurs dans votre nom, « From Monument To Masses », vous semblez souligner l’importance et l’influence du peuple par rapport à celles des leaders politiques… Que pensez-vous des élections présidentielles qui vont avoir lieu aux Etats-Unis dans une semaine? Ici en Europe les medias disent qu’Obama incarne vraiment un grand changement… Etes-vous d’accord avec çà, quel est votre regard sur cet évènement?
Sergio: Il y a des points positifs, en particulier le fait qu’il y a très longtemps qu’une campagne présidentielle n’a pas suscité un tel intéret, un tel engouement aux Etats-Unis. S’il est élu, sa tâche sera difficile et il faudra voir comment il s’en sort. Mais au moins, il aura amené les classes modestes, les gens des communautés noires et hispaniques à se regrouper et à prendre part plus activement à la vie politique du pays.
Matt: C’est assez étrange ce qui se passe, cet homme divise même les partis, il a des électeurs chez les conservateurs – parce qu’il y a un phénomène de culpabilité des blancs (« white middle class american guilt », ndla), dans certains milieux, suite aux années de ségrégation qui ne sont encore pas si lointaines, et il a aussi des détracteurs chez les démocrates, entre autre parce qu’il a dit qu’il ne retirerait pas tout de suite les troupes Américaines en Irak.
Francis: En tout cas, je ne pense pas qu’il révolutionnera le système autant qu’il y en aurait besoin. Ce ne serait pas possible, il y a une certaine inertie dans tout ça et un homme ne peut pas retourner la situation aussi simplement, mais si tu veux mon avis, à comparé de Bush, il ne pourra que mener le pays d’une meilleure façon.
On en revient au nom de votre groupe, et à la « théorie des grands hommes »… (voir ici, ndla)
Sergio: Oui, exactement. Ce nom s’inspire de la faculté et du besoin qu’a souvent le peuple de s’émanciper de ses leaders politiques, qu’ils soient présidents, rois, dictateurs…
Revenons-à la musique. Francis, tu vis à New York depuis deux ans. Comment le groupe a-t’il survécu à cette séparation physique?
Francis: Cela faisait déjà six ans que nous jouions ensemble, en six années tu partages plus que de la musique, tu apprends à connaître les autres… On avait un processus de composition assez classique, et en changer représentait aussi quelque chose d’intéressant. La distance n’a pas été un problème.
Matt: On travaille beaucoup avec internet. Sergio et moi enregistrons des parties, on les envoie sur notre serveur, Francis les télécharge, colle ses parties dessus, et on avance comme çà.
Sergio: On se sert aussi d’internet comme base de données, on y stocke des samples, des idées, des riffs sans trop savoir quand ou comment on les utilisera! Je crois que cette contrainte nous a ouvert des portes au final, ça nous a conduit à écrire des choses que l’on n’aurait sans doute jamais écrites autrement.
La tournée s’est bien passée pour l’instant? Vous êtes contents de votre accueil en Europe?
Matt: Oui, cela fait quatre ans que nous n’avions pas tourné en Europe. Le nouvel album devrait sortir ici, c’est un peu pour ça qu’on est là – parce qu’on est signé sur un label, qui doit donc vendre des disques, et qui doit malheureusement rentrer dans une logique « commerciale ». L’accueil a été fantastique, nous avons joué dans des salles plus grandes qu’en Amérique. Les conditions de tournée sont vraiment meilleures ici, les gens qui programment et font tourner des lieux comme celui-ci (l’épicerie moderne, ndla) sont plus investis et passionnés qu’aux USA. Là bas, la plupart ne pensent qu’à faire de l’argent et vendre à boire…
Sergio: C’est vraiment un plaisir pour nous d’être ici. C’est sur, on n’attendra pas quatre ans avant de revenir.
Francis: On l’espère!
L’album « On little known frequencies » sortira aussi chez Golden Antenna?
(Les trois hommes se tournent vers leur tour manager, avec un sourire, et balbutient une vanne que mon niveau d’anglais ne permettra pas de vous traduire.)
Matt: Oui, il sort chez Dim-Mak mais si tout va bien Golden Antenna devrait le distribuer en Europe. On espère! (Et encore un regard moqueur vers le tour manager)
Sergio: D’ailleurs, si je peux te poser une question: A ton avis les gens en Europe achètent encore des disques?
Oui, je pense… C’est un gros débat, mais je crois que le téléchargement a surtout nui aux artistes de variétés, beaucoup plus médiatisés. Le public de ce soir par exemple, celui qui est passionné, qui va aux concerts, qui est prêt à faire 100 ou 200 km pour voir un groupe, continue à acheter des disques si le contenu lui plaît…
Sergio: J’espère que tu as raison!
Vous tournez avec A.Armada, dont un des membres joue avec Maserati. Je trouve que leur dernier album, Inventions For The New Season, fait vraiment un bond en avant, et que ce groupe a su se réinventer totalement depuis son premier disque. Je trouve que votre musique est elle aussi assez singulière… Est-ce que c’est important pour vous de ne pas suivre les sentiers battus?
Francis: Merci! Bien sur, on fait attention à ne pas sortir de plans trop « cliché », et surtout de ne pas se répeter…
Matt: Il n’y a rien de plus ennuyeux qu’un groupe qui se répete. Tu peux garder un même message, mais si il ne change pas sur la forme, si tu ne te remets jamais en question, tu perds ta crédibilité… Il y a beaucoup de groupes engagés politiquement à gauche qui n’ont jamais vraiment changé de discours, ils ont fini par devenir des caricatures d’eux mêmes.
Sergio: Et le fait de toujours expérimenter, essayer des choses nouvelles, prendre des risques est aussi un besoin. Je suis fan de groupes comme Refused, ou tiens, The Clash par exemple, qui ont pris tout le monde à revers en étant un groupe de punk capable d’aller enregistrer un disque en Jamaïque!
Il y a un sample en français dans votre EP… Vous parlez d’autres langues?
Matt (en français): Je parle un petit peu français! (rires de tous, vraisemblablement à cause de l’accent)
Sergio: On exploite surtout la musicalité des samples qu’on utilise, et donc du langage dans lequel ils sont déclamés. Mais on comprend tout ce qu’ils expriment évidemment, et on se retrouve dans leur message. Le sample dont tu parles est un texte sur la révolution, il a aussi un lien thématique direct avec la France…
Matt: On essaie de dire quelque chose dans la langue de chaque pays dans lequel on joue… Ce n’est pas toujours facile, parce qu’on essaie d’éviter les « bonjour, comment ça va », et de trouver quelque chose d’approprié à chaque fois… On utilise beaucoup de samples en espagnol aussi… Histoire de rappeler aux américains qu’il existe d’autres langues que l’anglais dans le monde!
Remerciements au groupe pour son extrême amabilité / Many thanks to FMTM for their kindness.
Grand merci également à Golden Antenna, Timo et à toute l’équipe de l’épicerie Moderne.
cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).