C’est sans doute ce que l’on appelle une interview compliquée : débutée avant leur concert au Fireworks Festival de Paris le 17 février, déplacée ce jour là des loges jusqu’au catering du Point Éphémère pour se prolonger, par manque de temps, par des échanges de mails pendant plus de deux mois avant de se résoudre, enfin, à en reporter la fin à un hypothétique retour du groupe dans l’Hexagone. Difficile pourtant d’en vouloir à qui que ce soit : les Blouse sont tout simplement adorables. Accompagnés pour leur tournée de Misty Mary aux claviers et Paul Roper à la batterie, les deux jeunes gens à l’origine du groupe de Portland (le troisième, Jacob Portrait – au milieu sur la photo ci-dessus, est actuellement en tournée avec Unknown Mortal Orchestra) sont affables et attentionnés, toujours incrédules devant tout ce qui leur arrive. Patrick, le bassiste (à droite), dont c’est aujourd’hui l’anniversaire, a commencé à le fêter tout de suite après le concert de la veille et semble avoir du mal à se remettre de ses excès tandis que Charlie, la chanteuse (à gauche donc), est à l’image de sa voix : extrêmement mesurée dans ses propos, diaphane, fragile et d’une délicatesse quasiment surnaturelle. « Ghost Dream », tu disais?
Charlie : Il a fait très froid durant notre tournée européenne et c’est le type de température et de climat qui me semblent correspondre à notre musique, au son de notre disque. Partout où nous sommes passés en Europe, les rivières étaient gelées. Je me souviens particulièrement de la glace dans les canaux d’Amsterdam. Je me suis souvent demandée ces dernières semaines si l’été conviendra à notre musique.
Est-ce que vous pourriez jouer devant les foules des festivals ou est-ce que vous pensez que votre musique est plutôt destinée à des atmosphères intimes?
Charlie : Personnellement, je préfère jouer dans des petites salles avec peu de gens. Je pense que lorsque tu joues devant des foules immenses, tout devient irréel. Je n’ai pas d’appréhension à me retrouver face à un grand nombre de personnes, c’est juste que la communication devient difficile. Lors du concert de la veille à Saint-Malo pour la Route du Rock, il y avait environ mille personnes dans la salle, c’était complet et c’était sans doute la plus grande salle dans laquelle nous avions joué. Au moment de rentrer sur scène, tout m’a paru un peu démesuré.
Vous avez commencé Blouse voici à peine un an et demi et vous tournez déjà en Europe. Quel effet cela fait?
Patrick : C’est vraiment génial. Tout est arrivé tellement rapidement mais nous apprécions chaque moment.
Charlie : C’est quelque chose d’assez irréel de se retrouver dans ces petites salles de concert, dans des petits pays comme le Luxembourg, de rencontrer des gens qui connaissent notre musique et qui viennent spécialement nous voir… Ça fait vraiment chaud au coeur. J’ai l’impression que nous sommes vraiment surpris de autant nous amuser et de passer d’aussi bons moments.
Vu de l’extérieur, tout semble s’être déroulé rapidement pour Blouse. En conséquence, est-ce qu’il est difficile pour vous d’être ambitieux pour le groupe ou avez-vous tendance à vous laisser entraîner par le courant?
Charlie : C’est vrai que nous avons été chanceux. On peut avoir l’impression que beaucoup de choses sont tombées toutes cuites dans l’assiette : nous n’avons pas eu besoin d’envoyer notre musique à qui que ce soit ou de faire notre promotion. Mais nous travaillons extrêmement dur parce que nous apprécions à sa juste valeur tout ce qui nous arrive et nous voulons continuer à faire de la musique. J’espère sincèrement que nous ne prendrons jamais tout cela pour acquis. Je n’oublie pas non plus que nous avons du faire des choix comme arrêter nos études d’infographie.
Patrick : De mon côté, je déteste avoir un compte Twitter mais étant donne que la plupart des groupes en ont un, nous avons du en ouvrir un, nous aussi. Donc nous nous forçons à tweeter. J’imagine que de ce point de vue, tu peux dire que nous suivons le courant (rires).
Vous avez signé chez Captured Tracks, le label le plus hype du moment, vous avez enregistré la deuxième partie de votre album en deux jours… Vu de l’extérieur, tout a l’air très facile pour vous. Mais est-ce que cette impression est la bonne?
Charlie : Ça peut en effet paraître très facile. A cause du temps très limité dont nous disposions, nous avons effectivement fini d’enregistrer rapidement l’album et eu le bonheur d’être très satisfait du résultat. Mais nous avons travaillé très dur auparavant et pris les choses très au sérieux. Nous avons passé beaucoup de temps sur l’écriture des chansons et réfléchi pour que celles-ci sonnent comme nous le voulions. Nous n’avons pas fait de compromis sur les répétitions, en nous imposant de toujours jouer ensemble pour devenir meilleur en tant que groupe. En fait, je ne dirais pas que les choses ont été faciles pour nous mais plutôt que nous avons eu la chance de nous trouver et de travailler avec des gens que nous apprécions. Cela permet de fonctionner plus vite et d’avoir moins d’incertitudes quant au résultat de ton travail.
Est-ce que vous considérez votre rencontre comme une heureuse coïncidence?
Patrick: Avant de commencer Blouse, je n’étais même pas sûr que j’allais continuer à faire de la musique. C’est la raison pour laquelle j’avais recommencé à étudier. J’avais aussi décidé de concentrer mon attention sur autre chose que la musique. Mais une fois que j’ai rencontré Charlie et que nous avons commencé à jouer ensemble, je me suis rendu compte que c’était vraiment ce que je voulais faire.
Charlie : Encore une fois, nous avons eu beaucoup de chance. Je me souviens des soirées que Patrick et moi avons passé chez moi, après l’école, à discuter de musique ensemble. Nous rêvions de venir jouer en France mais n’aurions jamais imaginé qu’un an plus tard, nous nous retrouverions ici.
Vous avez un son très marqué. Comment y êtes-vous arrivés?
Patrick : Avant que Jacob ne nous rejoigne, Charlie et moi avions un son avec plus de guitares, plutôt dans le genre post-punk.
Charlie : C’est Jacob qui a amené avec lui tout ce travail sur les claviers et il est donc en grande partie responsable de notre son. Toutes les chansons ont connu différentes incarnations et ont beaucoup évolué. Les morceaux originaux sont parfois extrêmement différents de ceux de l’album.
L’album tire sa cohérence de cette forte mélancolie que l’on retrouve sur quasiment tous les morceaux. Est-ce que c’était un choix délibéré dès le départ ou bien vous en êtes vous rendu compte de cet état de fait après les enregistrements?
Charlie : il y a des chansons qui ne sont pas sur l’album parce que nous n’avions pas l’impression qu’elles correspondaient à l’ambiance générale. J’ai dû composer beaucoup de morceaux sur une courte période de temps donc ils reflètent souvent mon état d’esprit à un certain moment de ma vie. Le fait d’avoir écrit cet album en automne a probablement aussi affecté l‘écriture de notre disque.
Comment décririez-vous votre collaboration avec Jacob Portrait pour l’écriture de l’album?
Charlie : Au moment de l’écriture, Jacob était sur la route avec Unknown Mortal Orchestra. Lorsqu’il est revenu, nous avions préparé les chansons. Nous sommes tous les trois partis en studio et avons commence à les retravailler. Jake sait très bien appréhender les morceaux et les finaliser. Il excelle dans tout ce qui est mixage et faire que les chansons coulent de source. Patrick et moi sommes partis récemment en studio pour enregistrer une reprise de the Wake (NDA : « Pale Spectre », split single avec « Talk about the Past » par Craft Spells et en téléchargement ici) . Jake était absent ce qui était une sensation très bizarre dès le début. Jouer était vraiment facile mais arrivés au moment du mixage, nous nous sommes retrouvés perdus, du style : « Jake, où es-tu?! ». Nous avions toujours besoin de lui pour finir le projet.
Quel est votre processus d’écriture?
Charlie : Au début , nous commençons avec la basse suivi par la mélodie et les paroles. Toute la chanson est conduite par la ligne de basse. Puis une fois dans le studio, chacun s’implique pour échanger en permanence afin que du point de vue du style, tout aille dans la bonne direction. A chaque fois que nous entrons dans le studio, on sent que quelque chose va se passer, que nous allons trouver la bonne sonorité et c’est ce qui se passe la grande majorité du temps.
Est-ce que l’un d’entre vous a un souvenir fort de l’enregistrement au studio?
Paul : J’ai joué sur la première version de « Into Black », celle diffusée sur Bandcamp. Je n’aimais pas le kit de batterie sur lequel je jouais. A dire vrai, je ne savais même pas que cette chanson allait être diffusée. Mais lorsque j’ai entendu le morceau pour la première fois, j’étais vraiment surpris de remarquer comment Jacob avait réussi a faire sonner aussi bien la batterie.
Petite question pour Paul et Misty, les musiciens de la tournée : comment êtes-vous arrivés à passer du son du studio a celui du live?
Paul : L’idée était d’incorporer le son de la batterie électronique de l’album sur une batterie live pour la faire sonner comme sur l’album. Ça consistait à accorder la batterie et apprendre les parties à jouer. Mais ce n’était pas si difficile que cela.
Misty : Je jouais avec Blouse avant la sortie du disque donc j’ai l’impression d’être passée par de nombreuses différentes incarnations pour les chansons. De mon coté, reproduire le son des synthétiseurs en live n’était pas si simple puisque nous utilisons des machines analogues sur scène et pas d’ordinateur portable. Il m’a donc fallu beaucoup expérimenter avec les différents sons de mon synthétiseur pour arriver a reproduire ceux de l’album.
Quel est le futur pour Blouse? Vous aviez évoqué l’enregistrement d’un nouvel album pour le mois d’Avril.
Charlie : Jacob termine sa tournée vers la fin mars donc nous avons comme projet de travailler de manière très intensive à ce moment. Certain morceaux qui n’ont pas été retenus pour l’album pourraient apparaître mais pour l’instant ce ne sont que des débuts de chansons. Il faut d’abord que je retourne chez moi et que je retrouve l’inspiration. Mais si nous ne faisons pas un nouvel album tout de suite, ce n’est pas grave, nous n’avons pas envie de nous forcer, peut-être que ce sera un EP ou deux nouveaux singles. En fait, nous n’en savons rien.
NDA : Finalement, le groupe débute une tournée nord-américaine de six semaines au mois d’Avril. On peut donc en déduire que ces projets d’enregistrements sont repoussés à une date ultérieure…
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.