En 1982 le single «Planet Rock», qui deviendra très vite un incontournable des dance floors internationaux, pose les bases d’un nouveau genre musical. Le titre de Soulsonic Force, avant-garde de la Zulu Nation new yorkaise, mêle le krautrock de synthés froids empruntés à Kraftwerk aux programmations des Roland TR 808 et 909, tout en calant samples et séquences rythmiques sur un beat funk aux ornements rap et hip hop venus du Bronx. Les producteurs John Robie et Arthur Baker – que fréquentent les New Order tout juste sortis de leur période glaciaire – sont aux manettes. L’electro-funk que s’approprieront aussitôt de nombreux Djs, naîtra ainsi du résultat de mixes savants et urbains, entre dance et innovations technologiques mises au service de la pop culture.
Au tournant des années 1980, le disco avait du plomb dans ses talonnettes et le rock était devenu cérébral. L’electro voulut ainsi réveiller les corps via son armada de machines. Dans un même élan, les japonais de Yellow Magic Orchestra lancent le synth-pop, les LCD sound System cognent dur avec un dance-punk, avatar du post punk et les anglais de Basement Jaxx, depuis Brighton où l’on retrouve l’ex House Martins Fat Boy Slim, composent «Where’s Your Head At» (avec des relents de PIL planqués à l’intérieur). Quand les français s’y mettent c’est Daft Punk qui popularise le genre avec son tube «One More Time». Puis Poni Hoax et Phoenix s’accrocheront aux boules à facettes suspendues au plafond.
À l’évocation de ces noms, on se rend compte d’une chose: si le ppmc electro s’appelle clubbing, le genre est hybride et relativement varié. Je retiendrais pour preuve indiscutable le travail des anglais d’Archive, exemple particulièrement abouti entre prog planant, trip hop et new wave, offrant une electro stylée capable de convoquer esprit, corps et beat. On retrouve, me semble-t-il, quelque chose de cet aboutissement dans les compositions des bastiais de BERTHE, menés par Olivier Bertholet et qui publient en février leur tout premier album. La musique du groupe faite d’associations, s’accroche au beat d’une boite à rythme mais utilise aussi de vrais instruments (guitare, trompette), au service d’une écriture et d’expérimentations dont la musicalité est certaine. Réuni il y a deux ans après une résidence à l‘Aghja (Ajaccio), le quartet de Haute Corse, s’inscrit dans cette démarche typique du croisement electro, entre machines, guitares, claviers et percussions. « Le beat est toujours central » s’empressera de me préciser Olivier dans un premier entretien, mais les musiciens de BERTHE, une fois rassemblés, développent tout autour des nuances évocatrices d’influences issues de leurs cultures respectives. Parmi celles ci, new wave et brit pop sont très présentes, à l’instar de ce qu’on a pu entendre chez les parisiens de Poni Hoax, proximité qui n’est pas fortuite ici. Nous verrons pourquoi. Rencontre et interview.
BERTHE! Voilà un curieux nom pour un groupe de quatre garçons? Est-ce un trait d’humour, un jeu entre masculin et féminin?
Olivier: Je ne sais pas si c’est curieux mais ça s’explique. Le nom est au croisement des genres, du temps et du clin d’œil personnel. Il est le diminutif de mon nom de famille. Et en tant que membre fondateur, je me suis autorisé cette petite coquetterie. Mais c’est aussi un jeu entre les genres. On est quatre mecs d’où l’idée du prénom féminin. Enfin, BERTHE est un prénom désuet, un peu vieillot… Et comme tout ce qui est démodé finit par revenir à la mode, on s’est dit que BERTHE connaitrait à nouveau sûrement son heure de gloire!
Laurent: Je n’y avais jamais songé! Maintenant que tu le dis, je trouve ça assez glam.
Olivier: Voilà c’est ça! BERTHE c’est glam!
Vous êtes bastiais tous les quatre, depuis quand vous êtes-vous rencontrés et réunis pour cette formation? Y a-t-il eu quelque chose de décisif, après vos précédentes expériences musicales, qui vous a donné l’idée de former ce groupe?
Olivier: On a tous suffisamment de petites rides autour des yeux pour te laisser imaginer qu’on fait de la musique depuis quelques temps déjà ! En ce qui concerne le décisif, je dirais simplement que ça tient… à une décision. J’ai décidé de former BERTHE en 2019. J’avais quelques compositions qui traînaient et que j’imaginais jouées sous cette formule (basse / guitare / voix / synthés / Groove Box / percussions / trompette). Et comme tu le soulèves, on est tous bastiais. Donc… Des gars vivant dans la même petite ville, tous musiciens, ayant pas mal de centres d’intérêts communs, je suis sûr que tu imagines déjà beaucoup plus facilement qu’on devait se connaitre depuis une paire d’années (rires). On a tous tenté plusieurs expériences musicales croisées les uns avec les autres.
« Des gars vivant dans la même petite ville, tous musiciens,
ayant pas mal de centres d’intérêts communs »
Laurent: Avec Pasqua qui s’occupe des machines du groupe, nous sommes les dernières recrues. On avait déjà bien déliré tous les deux en créant Machination, un duo batterie / machines qui s’est produit au festival Zone Libre. Je joue aussi avec Jacky dans le Jakez Orkeztra depuis 2 ans. J’avais vraiment besoin de quitter ce rôle de batteur pour découvrir d’autres sensations sur scène et tester ma force de proposition sur un autre instrument. Et pari gagné, je prends un plaisir maximum !
Après quelques écoutes, j’affirmerai que vous êtes un mélange d’électro et de new wave? Etes-vous d’accord avec ce point de vue ?
Laurent: Oui, c’est comme ça que je le sens aussi. J’y ajoute mes influences post-rock et j’utilise pas mal de pédales d’effets pour fabriquer une partie de l’identité sonore du projet et appuyer à mort les montées électroniques !
Olivier: Chacun ajoute ses influences tout en servant l’intégrité du projet. Et c’est ça qui est cool ! Jacky est un vrai mélodiste, ses lignes de guitare, ses thèmes, ses gimmicks dessinent clairement l’identité du groupe. Il y a du The Cure, du The Smiths, du Siouxie and the Banshees dedans! Pasqua retape toutes les parties électroniques, sans jamais trahir le propos musical. Tout ce qui passe par ses mains finit par upgrader! Il a une culture musicale aussi étendue qu’elle est pointue. Il a ses propres références qu’il finit toujours par faire ressortir dans les sonorités électroniques qu’il nous sert.
Si tu veux, on est des kids 80’s / 90’s et des curieux de 2020! On a digéré suffisamment d’influences pour que certains morceaux sortent et qu’on se dise après coup qu’on leur trouve une couleur tour à tour post punk, tour à tour disco, tour à tour new wave, tour à tour électro… Bref, ça se fait la plupart du temps sans aucun calcul. C’est un peu comme le vélo! Tu apprends à en faire et tu ne l’oublies plus. La musique c’est pareil! Tout ce que tu écoutes, réécoutes, apprécies, sculpte malgré toi ce que tu finis par finalement être. En tant que musicien, forcément ça se ressent dans la musique que tu composes.
Dans la scène Electro, comme dans celle de la new wave y a-t-il des références auxquelles vous tenez À part celles que vous venez de nommer?
Olivier: Oui ! Enfin je crois… en vrac et pêlemêle dans ce qui nous nourrit, on trouve Bashung, The Cure (donc!), LCD Soundsystem, Flavien Berger, Daho, Soulwax, Metronomy, Léonie Pernet, Mordisco, New Order, Curses, Pixies, Joy Division, Kompromat, Poni Hoax, Dry Cleaning, Rebotini… Il y en aurait dix mille autres, mais ça risquerait de devenir chiant à lire!
Au delà de ces influences, quelle est toutefois la ligne artistique personnelle que souhaite développer BERTHE qui, à ma connaissance, n’est pas forcément le plus banal des groupes par ici ?
Jacky: Personnellement ce qui m’intéresse sur ce projet c’est la dynamique qu’il génère. Il crée une énergie constructive dans l’agencement des lignes de synthés qui nous porte. Ensuite nous sommes tous convaincus du potentiel « live » du projet. Finalement c’est de cela que l’on débat ensemble. Comment créer des « moments », des événements à vivre ensemble et avec le public.
Laurent: Ma ligne artistique avec BERTHE c’est de faire bouger et voyager notre public pendant nos concerts. Boum !
Olivier: En février prochain sortira notre premier album, un 10 titres dont une partie a déjà été éprouvée sur scène et qui semble bien fonctionner puisque le public en redemande à chaque fois. On est tous d’accord pour dire que là où l’énergie de notre musique s’exprime le mieux, c’est en live ! Après, sur l’aspect purement artistique, c’est ce qu’on disait en d’autres termes tout à l’heure. On laisse nos influences se rencontrer sur une base de compositions que j’apporte et on crée, au fur et à mesure, une musique qui, on s’en rend compte, parle aussi bien aux 25 ans qu’aux quinquagénaires encore animés par la flamme de la nouveauté. Régulièrement le public nous cite tel ou tel groupe en nous disant qu’ils y retrouvent un petit quelque chose, qu’il y a chez nous de la nouveauté teintée de références dans lesquelles ils se retrouvent.
« Là où l’énergie de notre musique s’exprime le mieux, c’est en live! »
Comme tu l’annonces, Olivier, vous sortez votre premier LP en février. Comment avez-vous réalisé ce projet? Vous êtes-vous fait accompagner et aider pour les enregistrements qui ont eu lieu au très bon studio Red Tone de Bastia?
Olivier: On a sorti en décembre le premier single «Madame» sur le label Lake of Confidence. Arrivera le 27 janvier prochain «Cannibale», accompagné d’un remix signé P.O. L’album complet sortira dans la foulée en streaming, courant février. On est encore en discussion avec le label sur la date officielle de sortie. Pour ce qui relève de la création musicale, 8 titres étaient écrits avant l’entrée en studio mais ils étaient à l’état de maquette. Pour travailler nos productions, on s’est interrogé sur la pertinence d’un réalisateur. On a listé 10 projets musicaux français que l’on affectionne, parmi lesquels on trouvait des artistes comme Maud Geffray, Flavien Berger, Léonie Pernet, Poni Hoax etc… Sur les 10 albums, on retrouvait trois fois le même nom à la réal: Luc Rougy. Pour répondre complètement à ta question, et bien je me suis débrouillé à choper son numéro de téléphone… Je l’ai appelé et lui ai présenté le projet. On a longuement échangé, il a écouté les maquettes et a dit Ok! Luc nous a suivi dans toutes les phases de création, de la pré-prod en passant par les prises studio jusqu’au mixage. Ensuite en studio on a revu les sonorités, certaines ambiances, réécrit certaines parties et composé quasiment intégralement deux autres titres. Laurent s’est aussi collé à la batterie pour faire du layering avec les drums électro et donner plus de profondeur et de naturel au son.
Laurent: Big up Luc Rougy !
Question standard que j’ai pu poser à plusieurs musiciens vivant en Corse : comment y vit-on le fait de s’investir dans un groupe de musique hors traditio ? Les scènes et possibilités insulaires vous conviennent-elles?
Pasqua : Ça ne se vit pas particulièrement différemment que n’importe quels autres groupes. Hormis le fait de ne pas forcement pouvoir jouer dans une église. Quoi que… (sourires)
Laurent : Il faut jouer, jouer, jouer et jouer encore. Peu importe si on le fait sur une scène nationale ou dans une bergerie. Bien sûr, on a trop envie de faire voyager notre musique et de partager notre énergie!
Le genre Electro – je pense à Calvi On the Rocks – est-il bien reçu? Dans quels autres cadres est-il écouté?
Pasqua: Les musiques électroniques en Corse ont leur public, au même titre que le rock, le rap ou les musiques traditionnelles. Un public de plus en plus conséquent, grâce notamment à des festivals comme Calvi On The rocks que tu cites et qui, quoi qu’on en dise, a nourri les oreilles de beaucoup de locaux depuis des années. Mais aussi grâce à des artistes de plus en plus nombreux qui proposent des choses très variées et de qualité (Azan Caro, North Frequency Canal, ØrsØ, SH404 et bien d’autres…). Berthe rajoute un peu de grain dans le moulin, avec des liens entre les genres qui métissent cette musique de manière tranchée et originale. Nous espérons contribuer à convertir de nouveaux adeptes !
Laurent: Il faut toujours être très convaincant sur scène pour que les gens oublient les genres. Notre rôle n’est pas de défendre tel ou tel par rapport à un autre. Il faut songer au rapport entre une montée techno extatique et un chant polyphonique sacré ! La communion des âmes dans une église ou une salle de concert, e cose suprane qui se manifestent en nous et nous font nous élever ensemble… Fallait pas me donner la parole, désolé.
» Berthe rajoute un peu de grain dans le moulin,
avec des liens entre les genres qui métissent cette musique. »
Avec cet album qu’envisagez-vous pour BERTHE? Avez-vous des projets particuliers, des contacts dans l’univers musical qui est le vôtre ?
Laurent: On travaille pour le meilleur !
Olivier: Il a raison! On s’attèle à la sortie de l’album et à la tournée estivale qui va l’accompagner. On a évidemment quelques contacts dans notre univers musical, mais on a aussi clairement besoin de développer notre réseau partout sur le territoire national. On veut tourner! Ce qu’on souhaite pour 2023 ? Trouver un tourneur ! Le reste…. ? On fera ce que l’on fait de mieux ! Faire danser les gens jusqu’à ce qu’ils en redemandent !
Madame | BERTHE (bandcamp.com)
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.
BERTHE – « Polarité » – Dark Globe
[…] bastiais de BERTHE, que nous avions interviewés en janvier, viennent de publier Polarité, lp d’electro-pop aux franches influences clubbing […]