Black Star (01/2016) – Post Pop Depression (03/2016). Pourquoi mettre côte à côte, en ouverture de la chronique du nouvel album d’Iggy Pop, ces deux titres et leurs dates de sortie? La question est recevable. Car il n’y a, évidemment, pas de rapport direct entre les deux. Sauf que la disparition récente et inattendue de Bowie, m’a immédiatement évoqué le lien implicite qui pouvait les relier. Soit celui qui aura uni les deux artistes haut de gamme, depuis les années soixante dix. Lien artistique, esthétique, de Raw Power des Stooges jusqu’à The Idiot et Lust for Life, pour n’en retenir que les sommets. Lien existentiel et de fidélité, générationnel aussi. Bowie est parti – trop tôt – à 69 ans, James Newel Osterberg alias Iggy dit « L’Iguane », né en 1947, y arrive – sans intention de départ – mais il en tient compte. La dernière collaboration en jumeaux – Iggy le rugueux et David le complexe – ne date que de 2011, avec le live Iggy Goes Bowie. Soit l’ultime preuve et écho de la présence de l’œuvre de l’un dans celle de l’autre et réciproquement. Dont acte. Et si Pop ignorait au moment d’enregistrer ces nouveaux titres, que Bowie ne les connaîtrait pas, comment ne pas y entendre nous, encore, quelque chose de ce double?
L’alter ego qui ravive l’esprit des années Bowie, s’appelle Joshua Homme Le leader des QOTSA s’est chargé de revivifier l’Iguane sur neuf titres absolument maîtrisés . Après les épisodes en français du houellebecquien Préliminaires (2009) et d’Après, album de reprises de 2014, Joshua Homme s’est attelé, à la demande du chanteur, à composer pour la somme de textes épars qu’il lui avait été adressée. Le très doué Josh a relevé le défi et produit un album dont on comprend dès la première écoute, qu’il est l’une des plus belles réussites d’une carrière solo de 17 albums. Enregistré en deux sessions d’une semaine dans le ranch studio de Homme, sis au cœur du désert californien, Post Pop Depression s’est fabriqué avec l’appui d’un super-groupe efficace. Matt Helders des Arctic Monkeys à la batterie, Dean Fertita – QOTSA – et Homme tenant les autres instruments, complétés de quelques musiciens additionnels pour des ovedubs bien sentis. Guitares en avant, il oscille entre ambiances blues et rock rocailleux, jouant dans l’écriture sur oppositions et contrastes. Nous ne pourrons qu’apprécier; plus heureux de retrouver ici Iggy Pop que sur les publicités du Bon Coin, certes rigolotes. Les mélodies sont toutes au dessus de la moyenne, et leurs mises en formes nous baladent du dancefloor « Sunday » jusqu’au camp indien « Vulture ». La voix de baryton d’Iggy est désormais celle d’un crooner rugueux qui n’oublie pas qu’il fut l’adepte, si ce n’est le géniteur, du chant incisif et hargneux. C’est à dire ce jeune gars qui logeait dans un mobile home quand, sortant d’un concert des Doors, il s’en déclara déçu avant d’affirmer qu’il pourrait faire aussi bien ou mieux que Morrison. L’affirmation ne fut pas une parole en l’air.
Post Pop Depression, malgré son titre – trouvé par les musiciens se sentant seuls après le départ d’Iggy – n’a rien de dépressif mais tient, en regard des textes, de l’humeur désabusée. Pop y aborde des préoccupations d’une épaisseur certaine qui conviennent au grave de sa voix. Questions liées à l’âge et à la diminution des forces, au souvenir du passé »German Days », aux amours perdues »Gardénia », à la mort »American Valhalla » qui est « la pilule dure à avaler« . Tout cela est-il un constat de la belle maturité ou un bilan? Le chanteur-auteur a déclaré (interview de la revue Noisey) que l’album enregistré au printemps 2015 serait probablement son dernier. Si c’est bien le cas, Post Pop Depression sera alors une conclusion parfaite. Pop y délaisse la provocation mais conserve la présence affirmée, réalisant avec Homme un album qui tient de la signature et allie énergie et complexité. « Il ne me reste que mon nom » chante-t-il . Sauf que ce nom n’est pas n’importe lequel, qu’un nouvel album était sans doute une prise de risque et que Pop évite définitivement caricature ou renoncement dans une confortable mollesse.
Autre signe du tempérament de l’artiste et pichenette au système, Post Pop Depression, sorti sur le label Loma Vista, est en partie financé par Iggy Pop lui-même. Celui qui se fit si souvent jeter faute de ventes suffisantes, a décidé d’investir ses propres économies dans cette affaire. Encore vif l’Iguane, si tant est que quelqu’un en ait pu douter ! Une tournée européenne est en route ce printemps.
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Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.