Il y a quelques années, je trouvai aux rayons beaux livres de la librairie Nijinski, place du Châtelain à Bruxelles, une édition épuisée du «Jim Morrison, mort ou vif» d’Hervé Muller, parue chez Ramsay au tout début des années 1990. Il pleuvait ce jour là et la lecture du livre me fût une appréciable occupation. L’ouvrage avait connu un précédent sur le même sujet, presque obsessionnel chez Muller, édité en 1974 et intitulé «Jim Morrison au-delà des Doors». Je l’avais lu pendant mes années d’adolescence, ainsi qu’une seconde publication de l’auteur consacrée à Dylan. Ces petits livres rock, très contre-culture à l’époque, étaient alors publiés chez Albin Michel. Au mitan des seventies, il y en avait peu. Pour ceux qui rêvaient de pop music, ils constituaient les compléments nécessaires à l’écoute de nos premiers disques, aussi rares que vénérés.
Hervé Muller vient de faire ce grand passage dont nul ne revient. Seul chez lui, à soixante douze ans, ce qui n’est pas très vieux et très triste… Cinquante ans plus tôt, il avait été ce tout jeune journaliste de Rock and Folk puis de Best qui, en Mai 1971, était un soir tombé nez à nez avec le chanteur des Doors en exil parisien, toquant à sa porte, ivre mort. Alors en toute petite forme, Morrison s’accrochait à qui se montrait aimable et lui redonnait confiance en un avenir qu’il sentait s’obscurcir. Ce fût le cas du journaliste débutant. Les deux se fréquentèrent souvent, jusqu’au 3 juillet et sa débandade finale entre rue de Seine et baignoire tiède bien inutile. Après ça, Hervé Muller restera à jamais marqué par ces semaines d’amitié. Avec ses deux ouvrages essentiels et la traduction de « An American Prayer » chez Christian Bourgois, il deviendra le spécialiste français des Doors et de Morrison en particulier.
Pionnier de la Rock critique française, Hervé Muller est de ceux qui furent les premiers à exercer leur plume avec passion (aussi pour Actuel et Le Matin de Paris), pour un genre musical et artistique qui, lorsqu’il est bon, dépasse le simple stade d’une distraction orchestrée par le business. L’actualité n’évoquera sans doute pas sa disparition. Nous devions le faire.
Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.