Signés chez Subpop – label dont la fortune se fit avec feu Nirvana – les Heron Oblivion n’ont rien à voir avec les bûcherons grunge de Seattle, mais se rapprochent par leur style, des signatures actuelles de l’éditeur nord américain. On les voit ainsi volontiers cousins des Comets on Fire (deux membres en sont issus), de Dinosaur Jr (même goût pour les Fender Jazz Master), ou encore d’un artiste comme Kurt Vile, ce dernier cité pour leur côté folk très marqué.
Ces californiens d’Oakland, produits de la scène néo psyché bien implantée autour de la baie de San Francisco, pourraient constituer ce qu’on nomme «Super groupe» quand on veut désigner une formation réunissant des musiciens s’étant déjà fait connaître ailleurs. En ce sens, avec Heron Oblivion, nous n’avons pas à faire à des amateurs ni à des débutants, même si les quatre faux coolos au look beatnik ne sont ensemble que depuis 2014.
Leur musique – qui elle aussi ne vient pas de nulle part – est un savant mélange: un mixage et une construction quasi bipolaire, dans laquelle nous conduit la voix peu commune de leur chanteuse Margaret Baird. La dame, qui officie en même temps aux baguettes, offre par cette position singulière, une particularité supplémentaire à un groupe non adepte des séductions faciles. C’est Moe Tucker dotée d’une voix et qui prend les devants, camouflée sous une épaisse et longue frange brune.
Immédiatement l’approche du groupe fait penser au folk complexe des seventies anglaises, dont le quatuor a intégré les démarches essentielles. Soit la mise à l’honneur de la voix féminine, pour des titres longs avec harmonies vocales, coupés d’envolées musicales tarabiscotées, frôlant parfois le délire improvisé (leçon prise chez les combos psychédéliques des sixties finissantes). La formule fit les riches heures de formations un peu oubliées aujourd’hui, comme Pentangle ou Fair Port Convention pour les plus fameuses.
Dans leur absolue dualité, les Heron Oblivion, d’un autre côté, ce sont les Husker Dü qui joueraient avec Hendrix. Les guitares de Noël Von Harmmonson et de Sheldon Saufley – parfois indéchiffrables – s’appuient sur la basse de Ethan Miller (ex Comets on Fire) et ne se gênent pas pour arracher du sol des chansons qu’on pensait jusque là bien posées. C’est une des forces majeures du groupe, libératrice d’énergie (« écouter Oriar »), jouant des furies sur six cordes comme on pouvait en entendre chez les anglais de Pink Fairies et de Tomorrow où officiait un certain Steve Howe.
Le chant de Mag Baird naît directement de la scène folk grande veine (elle se produit aussi en tant que guitariste d’un duo acoustique formé avec sa sœur). Mais, on peut s’en douter, ce chant est celui d’une prêtresse tribale (« Sudden Lament ») qui a oublié les bons sentiments et l’engagement de Joan Baez et lorgne vers le Jefferson Airplane de Signe Anderson. On délaisse les bonnes causes pour conter d’incroyables aventures de lapin blanc. Les humeurs planantes qui se dégagent du chant ensorceleur de Baird (« Your Hollows ») sont suffisamment étirées sur la durée pour conduire l’auditeur vers l’hypnose (« Seven Landscapes » et ses humeurs brumeuses à la David Lynch). On y sombrerait si nous n’en étions extraits par les guitares passées sous flanger, delay et pédale wha wha (« Rama »). Sur les vidéos du groupe on montre les hommes de main de la belle, rebondir sur leurs deux pieds, après être restés la tête dans des nuages indistincts. Secousses électriques garanties pour ce premier opus.
Alors pourquoi aujourd’hui apprécier Heron Oblivion et sa musique psychédélique ? Puisque c’est de cela qu’il s’agit – le groupe est en bonne place sur la sélection de Mojo (Mai 2016) consacrée au renouveau du genre. C’est un recyclage cette affaire ? Oui. Mais le rock est une affaire de recyclage. Certains sont plus habiles ou singuliers – les plus intéressants – et arrivent à faire penser qu’on entend quelque chose de neuf. Et quand la sauce prend, on a, pour un temps plus ou moins long – c’est une autre question – une œuvre en mesure de s’inscrire dans ce domaine qu’on appelle Art et non pas distraction. Il y a quelques exemples. Heron Oblivion avec les sept titres (chiffre symbolique, donc psyché?) de Your Hollows s’y retrouve. «Après avoir longuement jammé l’album s’est fabriqué» déclare Ethan Miller – par ailleurs musicien solo pas exactement anodin. Si on voulait être critique et sévère, on pourrait suggérer que les quatre notoriétés de l’underground n’ont peut-être pas pris de risque énorme? Qu’ils ont mis en forme ce qu’ils avaient largement testé de leur côté, pour un collage musical réussi. Je n’irai pas dans ce chemin. La seule question finale que je poserai sera: et maintenant, comment modifier la formule Ethan ?
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Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.