Ce retour dans une salle de concert depuis un an et demi ne s’annonçait pas de prime abord sous les meilleurs auspices. Arrivé à la bourre au Radiant-Bellevue, je manquais non seulement la première partie (désolé Coma) mais aussi le tout début du concert de Grandbrothers. Sans même évoquer ma frustration, il devenait difficile avec un tel handicap horaire de trouver un coin convenable pour prendre des photos correctes, une vidéo regardable ou juste voir le concert autrement qu’en diagonale; une des enceintes confortablement dressée à la droite de mon champ de vision. Bonne surprise néanmoins: le set avait lieu dans la salle appelée Club Bellevue. Cette dernière, d’une capacité de 240 places debout, offrait plus de proximité et proposait une belle intimité avec le duo de musiciens germano-suisse.
En observant donc de mon recoin les deux membres tout de noir vêtus de Grandbrothers, c’est à dire Erol Sarp assis (la plupart du temps) derrière son piano à queue et Lukas Vogel penché sur un ensemble complexe de machines, la collaboration en live entre les deux musiciens pouvait sembler un peu nébuleuse. Et s’il était tentant d’imaginer simplement les parties piano jouée par Sarp et la programmation électronique complémentaire assurée par Vogel, il n’en est rien. Ils s’arrêteront même de jouer pendant quelques minutes pour expliquer (et en français, s’il vous plaît) que tous les sons et les notes proviennent du piano, comme un instrument partagé entre les deux musiciens, et d’un système électromécanique de marteaux jouant sur cet instrument. Ces notes transmises sont alors traitées et réimaginés en direct par Lukas Vogel par l’intermédiaire de ses machines. Et, au final, cette équation du traitement du son entre les deux musiciens semble définir en creux la qualité de la prestation du live et en ouvrir les perspectives bâties sur une virtuosité rigoureuse dans le jeu, un artisanat ingénieux et innovant et des technologies ordonnées par le sensible. Cette appareillage explore un territoire musical puissant dans son évocation mais aux contours étrangement indécis, presque mystérieux dans sa réunion de forces contraires, dans cette interconnexion de contrastes. La musique de Grandbrothers se construit ainsi dans un espace de paradoxes stylistiques constants et délicieusement troublants: tout à la fois furieusement mélodique et fréquemment proche de l’expérimentation, carrément cinématographique et toutefois intimiste, vertigineusement introspective mais pourtant entrainante et dansante (avec évidemment l’hypnotique « Bloodflow » en point d’orgue pour rallier tous les suffrages du public). Qu’une telle performance si précise, si digne d’admiration dans son organisation et son exécution, avec cet équilibre toujours précaire et stimulant entre néo-classicisme et électronique, l’intellectuel et le sensible tout autant que cette élégante approche du subtil, soit de plus réalisée par des musiciens apparemment aussi modestes et bienveillants avec leur public rajoute au caractère délicieusement enivrant de cette prestation.
Crédit portrait photo Grandbrothers: Toby Coulson
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.