Depuis les sorties simultanées des antagonistes Take Refuge In Clean Living et Doomsdayer Holiday, et la tournée qui a suivi, Grails nous avait laissé sans nouvelles, ses membres se consacrant chacun à leurs projets respectifs – leur leader en tête, Zak Riles, ayant lui aussi accouché d’un premier album solo d’une grande richesse sur le label Important Records, dont lui et son groupe s’inscrivent désormais comme des figures de proue. Pourtant, dans l’ombre – la formation de Portland s’attelait à l’écriture d’un album dont la gestation allait être la plus longue qu’elle ait connu. Le résultat est un disque aux contours variés, alambiqués et surtout au style complètement inclassable.
Composé de huit morceaux instrumentaux aux mélodies subtiles et appuyées, naviguant entre les quatre et les neuf minutes, l’album nous emmène sur des routes sinueuses, déjouant minute après minute les plans auxquels l’auditeur s’attend par des variations successives – mais jamais de façon brusque: propos est donné à une certaine retenue, qui rend l’album davantage introspectif et justifie, quelqu’il soit, le sens qu’on voudra bien lui donner. Les thèmes (plusieurs se suivant parfois au sein d’un même titre, comme Grails sait les enchaîner) s’articulent plus que jamais dans une dynamique soutenue avec maestria, entre l’ombre (« Future Primitive », ou l’extraordinaire « All The Colors Of The Dark » et ses arpèges de guitares et ses choeurs Morriconiens) et la lumière (« Almost Grew My Hair », ses envolées progressives rendant hommage au Pink Floyd époque Dark Side Of The Moon).
L’instrumentation, elle, se rapproche d’un certain classicisme et délaisse les éléments quelque peu « exotiques « du passé (cithares, dombras) pour revenir à des sonorités plus familières; c’est dans les arrangements et dans les structures que Grails choisit de nous surprendre, combinant dans une formule aussi dense que riche tous les éléments et les ambiances explorés dans leurs trois derniers LPs: psychédélisme envoûtant, sonorités orientales, cinématographiques, mariages de guitares acoustiques et électriques, pianos désinhibés. Notamment sur le titre éponyme, « Deep Politics », allongé de nappes de claviers étirés évoquant ostensiblement les bandes son des années soixante-dix, ou sur « Daughters of Bilitis » (dont les violons rappelleront peut-être un thème bien connu des cinéphiles Français!). Sur « I Led Three Lives » ce sont les guitares, tout en e-bow et larsens, qui font tournoyer le son dans un crescendo puissant aidé par une basse métronomique. L’album s’achève sur « Deep Snow », ode noisy-psychédélique de sept minutes qui finira de nous convaincre: le post-rock continue d’évoluer sous bien des formes, et celle que propose Grails fait incontestablement partie des plus singulières et séduisantes à ce jour. Ce cinquième « véritable » long format de Grails n’est pas encore celui qui nous décevra (il faudra patienter encore quelques mois pour la prochaine sortie du groupe qui est déjà annoncée, le cinquième volume des Black Tar Prophecies).
En écoute: « I Led Three Lives »
[audio:http://temporaryresidence.com/mp3s/grails-i-led-three-lives.mp3]cultive ici son addiction à la musique (dans un spectre assez vaste allant de la noise au post-hardcore, en passant par l’ambient, la cold-wave, l’indie pop et les musiques expérimentales et improvisées) ainsi qu’au web et aux nouvelles technologies, également intéressé par le cinéma et la photographie (on ne peut pas tout faire). Guitariste & shoegazer à ses heures perdues (ou ce qu’il en reste).
Grails / Chalice Hymnal – Dark Globe
[…] la poursuite d’un chemin semé de quelques perles, dont Deep Politics (2011) que nous avions chroniqué à sa sortie. Énigmatique et intraduisible, Grails évoque un autre nom. C’est ainsi à […]