Deuxième album solo de Gil Rose, Brummellblues, après Star au Soto Bar (produit par Wreckless Eric), sort comme son prédécesseur chez Sunthunder Records; label espagnol et basque comme son nom ne l’indique pas, au catalogue pointu pour ne pas dire intransigeant et cela lui va bien. Le franco-suisse du rock hexagonal, séparé à l’amiable de son combo des Hydropathes (trois albums chez In Cold Blood, entreprise discographique nîmoise résolument indépendante), confirme son goût pour les finesses rock and roll et un dandysme actif et cérébral. L’homme est indifférent aux affaires de modes et demeure campé, voire un brin à cheval, sur quelques principes fondamentaux. Principes stylés, gravés dans le vinyle par la geste romantique déjantée et brumeuse de mal peignés aux chemises à jabots tels Johnny Thunder et Nikki Sudden ou, un peu plus tôt, par les hommes du « Waterloo Sunset », soit les frères ennemis de la famille Davis.
Ceci pour poser un contexte, certes un peu large et que je pourrais affiner, mais qui propose quelques figures d’un panthéon.
En solitaire, Gil Rose choisit le minimalisme. Ce phraseur sait être bref et manie lexique riche et précis comme syntaxe emberlificotée. Il s’économise, filant à l’essentiel et parfois à l’anglaise. Pour chaque titre, la messe est dite en deux minutes ou à peine plus. Guitare acoustique ou Gretsch électrique courent sur tout l’album et pourraient presque suffire à la forme d’épure choisie. Quand les chansons se font plus orchestrées, c’est avec de parcimonieux calculs dont quelques uns sont millésimés. Overdubs de slide guitar irréprochables, orgue et piano vintage, percus dosées et clap hands rythmant les passages enlevés avec, ici et là, des chœurs féminins répondant à la voix masculine (« C’est ridicule »). Au sujet de la voix, on notera les qualités du genevois jouant de registres évocateurs. On songe à un Pierre Barouh qui aurait rencontré le post punk Davey Graney sans ses Moodists sur « Les hydrocarbures » ou « Quand la lune sera haute ». A un Dylan sixties aux finales traînantes (« Oh! Monsieur météo »)’ qui aurait écouté « L’opération » de Dutronc en 1966 – ou bien l’inverse – et nous nous retrouvons la plupart du temps entre échos Dutroniens assumés (« 36e dessous ») et effets vocaux d’un crooner low fi et désabusé (« Smoking ») ce qui, sur le fond, relève du même ordre.
Avec Brummellblues, clin d’œil au maître dandy et à une certaine humeur existentielle, Gil Rose réussit, aidé d’habiletés qu’on sait logées chez Los Tuppers de Santander, un ensemble de quatorze titres cultivés et ciselés, tenant de la performance poétique et folk-rock. Poétique par le ton employé et la manière singulière de dire une promenade en bord d’un monde qu’on considère, bien que narquois, avec un inquiétude non feinte « Swiss bank blues (petite laine) ». L’auteur-compositeur, nous suggérerait la pochette de l’album, pourrait être un poor lonesome cow boy, frimeur mais un peu désemparé, avec un héritage épars, mais sans réelle home sweet home où le rassembler. Pas bégueule, il n’en veut à personne et peut-être se moque t-il de son sort (« Mon adresse, mes fesses »), prêt à laisser tomber sans en prendre ombrage, pourvu qu’on lui accordât quelques pas amoureux.
Brummellblues, ainsi fait, plaira aux gens de goût. A ceux qui aiment les blues rugueux nés en 1940, quelque part dans le delta du Mississippi, et qui en reconnaissent les réminiscences dans les riffs joués rough du MC5. Il fera sourire ceux qui savent que les bons mots se moquent de nos maux et leur jettent un sort. Ceux qui voudraient dégainer des pistolets contre les méchants et, pour ce faire, se prennent pour un Stewart Granger toujours chic, même face à la plus vache adversité. A ceux qui pensent que si un jour « Ne reste que la pluie », on pourra encore en dire quelque chose.
Bref, voilà un disque par et pour esthètes, très hautement recommandable car sans chichi prétentieux – le contraire étant un mal de notre époque dont Rose se garde bien. Une œuvre de gentleman dandy, égaré quelque part au début de ce nouveau siècle, hésitant mais déterminé, ce qui en fait une stimulante oxymore.
Sortie le 29 Février 2016
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Peintre et guitariste, adepte de Telecaster Custom et d’amplis Fender. Né en 1962 – avant l’invention du monde virtuel – pense que la critique musicale peut-être un genre littéraire, objet idéal pour un débat en fauteuil club millésimé.