C’est un fait établi depuis (au moins) les Mancuniens de James: un prénom n’est désormais plus nécessairement l’apanage d’un artiste solo. Frederik est donc un quintet mais venu cette fois-ci de Berne, la capitale suisse dont l’héritage musical semble à priori bien moins évident que celle du nord de l’Angleterre. Cet inconvénient n’en semble pourtant pas vraiment un pour Rolf Laureijs, le jeunot à l’origine de ce projet musical. Déjà responsable en 2018 d’un EP de bedroom synth-pop rachitique et bancal intitulé Tears (you know), Rolf a par la suite recruté d’autres musiciens, en l’occurrence le batteur Laurin Huber et le second guitariste Christoph Barmettler, pour déclencher une tout à fait relative montée de testostérone et amorcer une évolution très calmement plus orientée rock de Frederik. Le résultat de cette nouvelle collaboration est un premier album de 8 titres sorti au mois de Février et appelé Portraits.
Plus que de simples accompagnants, ces nouveaux musiciens auront ainsi amené leur couleur respective sur Portraits. Si leur travail se reflète d’abord dans le nouvel aplomb des compositions de l’album, c’est l’harmonie avec laquelle chacun se sera intégré au projet Frederik qui ravit en premier lieu. Et c’est certainement la monochromie jaune de la pochette de Portraits qui résume le mieux l’impeccable cohérence stylistique finale. Ainsi, la direction musicale choisie est incarnée par une lenteur permanente et une certaine fascination pour l’apathie en définissant comme point d’ancrage la voix détachée de Rolf Laureijs pour une dream pop presque décharnée.
C’est ainsi tout le disque qui berce dans une langueur à la fois paresseuse et stoïque, que ce soit sur l’insolite americana du morceau titre « Portraits » ou la déambulation léthargique, les yeux grands ouverts, de « Shapeshifer ». Mais loin de s’enfermer dans une esthétique musicale répétitive et ennuyeuse, Frederik exploite au maximum les motifs chiches de son champ musical en s’appuyant sur une production plus riche qu’il n’y parait, pour en extraire d’irrésistibles boucles hypnotiques sur le velvetien « Fall ». Il dessine ensuite une fragile nervosité sur « Islands » et installe un parfum d’étrange sur l’inquiétant plat de résistance « The Beast (It’s Us) » aux claviers curesques. Quant aux singles, le presque dansant « In the Fieds » et le totalement sous Tranxène « Tropus », ils diluent leurs arguments catchy sous des rayons de lumières épars et tamisés, en préférant, comme sur le reste de l’album, la pudeur au pathos, les chemins détournés aux lignes droites, la délicatesse aux grands effets de style. Enfin, « 1999 » termine le disque de manière sèche, coupant court au superflu, presque énigmatique dans sa conclusion comme si l’histoire devait continuer à s’écrire.
Sans doute est-il nécessaire de préférer les courbes aux abrupts, d’aimer se laisser guider et engourdir pour apprécier le rythme particulier, la mélancolie austère et sourde de ce premier disque de Frederik. Mais il y a aussi sur Portraits déjà suffisamment de personnalité et de style, de mélodies impressionnistes pour s’enivrer de cette douce impression de surplace durant lequel l’apparent calme des émotions cache les troubles du coeur.
Grand consommateur de Baby Carottes et de sorbets au yuzu, j’assume fièrement mon ultra dépendance au doux-amer, à l’électropop bancale et chétive, aux musiciens petits bras ainsi qu’aux formes épurées du grand Steve Ditko. A part cela? Il y avait péno sur Nilmar.